Elsa RAKOTONINDRINA : « Pour un projet éducatif adapté et envisagé de façon afrocentrée »

Publié en Catégorie: AFROEUROPE, AUTODETERMINATION, DECONSTRUCTION, LUTTES ACTUELLES

EGEEA (Illustration © Keith Malett)On ne répètera jamais assez à quel point l’éducation de nos enfants est un enjeu crucial et central de nos luttes de libération. Les 15 et 16 juin 2019 auront lieu à Lyon les États Généraux de l’Éducation de l’Enfant Afrodescendant (EGEEA), qui se veulent une «convergence de tous les acteurs de l’éducation des enfants afrodescendants vers un projet éducatif panafricaniste». Cette initiative enthousiasmante et salutaire est le fruit de la collaboration entre l’association JUMOKE et la Ligue Panafricaine UMOJA section France.
Pour notre plus grand plaisir nous accueillions Elsa RAKOTONINDRINA, présidente de l’association Jumoke, créatrice du webzine Afro Kidz Style, membre de la Ligue Panafricaine UMOJA et également militante au sein du collectif afroféministe Sawtche. Elle nous présente plus avant ces EGEEA, l’origine du projet et ses enjeux et nous explique comment nous pouvons tou.te.s soutenir et participer pour que ces États Généraux aient l’ampleur qu’ils méritent. Alors, lisez, partagez et, chacun.e à notre mesure, répondons présent.es !

CASES REBELLES : Peux-tu nous présenter Jumoke ?

ELSA RAKOTONINDRINA : L’association a été créée en 2017 à Lyon. J’avais besoin d’une structure pour développer des projets dédiés aux enfants et familles afrodescendantes. Je voulais aller plus loin que le projet initial du webzine Afro Kidz Style (AKS), créé fin 2014 et qui relaie toutes les initiatives qui concernent de près ou de loin les enfants afro, du lifestyle (déco, mode, littérature jeunesse) en passant par des sujets de société plus graves. L’association Jumoke m’a permis de créer nos propres espaces de transmission, et de faire se rencontrer les intervenants et les familles afrodescendantes fédérées au fil du temps autour de la plateforme AKS.

C.R.: Peux-tu nous raconter la genèse des États Généraux de l’Éducation de l’Enfant Afrodescendant ?

E.R.: À force de relayer sans cesse des injustices flagrantes qui concernent spécifiquement les enfants afrodescendants en France et en Europe (violences policières, discriminations à l’orientation, contrôles au faciès, révisionnisme et falsification historique sur l’histoire de l’Afrique et de sa diaspora dans les programmes scolaires, exercices scolaires à caractères négrophobes, négligence du personnel éducatif entraînant accidents ou la mort, réformes scolaires impactant négativement les enfants issus des quartiers populaires, atteintes à l’intégrité physique et discriminations à cause du port de locks ou de coiffure afro, album jeunesse qui véhiculent des idéologies négrophobes et qui sont pourtant réédités, négrophobie généralisée, système judiciaire de protection de l’enfance défaillant avec caractère aggravant quand il s’agit d’enfants noirs…), j’ai constaté qu’il y avait très peu de sensibilisation sur ces thématiques.

À l’époque où j’avais lancé AKS, l’enfant noir était invisible en France, dans les médias, dans les débats intracommunautaires aussi. Il y a aussi des difficultés à se saisir des enjeux liés à la parentalité et à la transmission. La plupart du temps, les familles afrodescendantes ont peu de recours, peu d’espaces où elles peuvent s’organiser contre l’assimilation programmée, contre le dénigrement de nos cultures. Tout se passe dans un cercle intime, et les stratégies que mettent en place les familles restent cloisonnées dans le foyer. Il y a bien souvent un surinvestissement dans la scolarité des enfants par exemple, ce qui peut asphyxier nos jeunes. La stratégie de nos aînés a consisté à adhérer au principe de la méritocratie, c’était comme cela qu’ils envisageaient la lutte : travailler 3 fois plus que les autres enfants pour y arriver, avancer sans faire de vagues, s’intégrer au maximum. Quitte à oublier nos langues maternelles, quitte à être dans le déni face au racisme, quitte à manquer de bienveillance envers nous même. Or, avec la conjoncture actuelle, le délitement social en France, l’échec des stratégies de réussites individualistes, le réveil de la jeunesse continentale en Afrique et le désir de reconnexion de sa diaspora qui circule de plus en plus, il y a une nécessité de s’organiser politiquement pour un projet éducatif adapté et envisagé de façon afrocentrée.

Il y a aussi une nécessité de redéfinir posément ce qu’est aujourd’hui le cadre familial panafricain, d’organiser nos réparations, nos réconciliations avec le continent. Il est crucial pour les organisations panafricaines de se saisir de l’enjeu de l’éducation des enfants et de toutes les thématiques que cela regroupe, car c’est à partir de ces réflexions qu’on déterminera quelle société nous souhaitons voir arriver demain.

Les États Généraux de l’Éducation de l’Enfant Afrodescendant vont permettre d’engager un dialogue intracommunautaire sur des questions qui peuvent être sensibles, et de focaliser tous les esprits sur les problématiques de la protection et de la transmission selon nos propres critères.

C.R.: De quelles manières peut-on participer à ce beau projet et quels sont vos besoins ?

E.R. : Il y a actuellement une campagne de financement participatif en ligne. Une participation financière nous aidera à faire venir des associations et intervenants qui sont impliqués dans les thématiques éducationnelles qui concernent les enfants afrodescendants. Comme les EGEEA sont initiés par la Ligue Panafricaine Umoja et l’association Jumoke qui sont toutes deux des organisations auto-financées, nous avons besoin du soutien de tout un chacun pour mener à bien ce projet.

C.R. : Il y a aussi un appel à soumettre des contributions pour l’événement ; peux-tu nous en dire plus?

E.R. : Les EGEEA sont organisés autour de 6 thématiques qui sont les suivantes :

  1. La négrophobie et violences institutionnelles dans le parcours de l’enfant et les violences policières : les stratégies pour se soustraire à un déterminisme social,
  2. Protéger les corps noirs et les cheveux de nos enfants : la question de la santé, l’alimentation, des violences sexuelles, micro-agressions et fétichisation,
  3. Devenir soi-même : genre, atypicité, handicap et santé mentale, accompagner l’enfant en marge d’une afrocentricité essentialisée,
  4. Entre traditions, histoire et patrimoine culturel, les enjeux de transmission afrodescendante intergénérationnelle et panafricaniste : voyages, langues, histoire, culture, rapatriement,
  5. De la représentation à l’accomplissement d’une vie: libérer les imaginaires afro,
  6. Quelle parentalité afrodescendante? Le cadre familial, paternité et maternité, rôle-modèle, pédagogie et la question des violences éducatives ordinaires (VEO).

Nous faisons un appel à soumissions sur ces thématiques aux choix, sous forme de communications écrites, orales ou sous forme d’atelier. Cela peut concerner autant les au.teurs.trices, les juges, les historien.nes, les enseignant.es, les CPE, les médecins, les développeur.ses de jeux, les artistes, que des organisations panafricaines et des représentant.e.s d’associations. Nous souhaitons particulièrement inciter les familles à témoigner de leurs stratégies, de leurs expériences de façon intergénérationnelles.

C.R. : Quand le programme sera-t-il disponible ?

Association JumokeE.R. : Vous pouvez déjà lire les différentes problématiques dans le document de l’appel à soumission, téléchargeable sur la page d’accueil du site de l’association Jumoke. Le programme définitif, quand à lui, sera disponible à l’approche des EGEEA, qui sont prévus pour les 15 et 16 juin 2019, date de la Journée internationale de l’enfant africain. Il sera ajusté en fonction du budget reçu grâce à la cagnotte en ligne, et des différentes communications reçues et sélectionnées par le comité d’organisation des EGEEA.

Un grand merci Cases Rebelles pour cette interview et pour votre travail!

*     *     *

Merci à Elsa Rakotonindrina.
Interview réalisée le 8 avril 2019.

Pour contacter les organisateur.ices des EGEEA :  contactlpu [at] lp-umoja.com , contact [at] jumoke.fr , ou sur les réseaux sociaux