Entretien avec KOURAJ – Deuxième partie

Publié en Catégorie: CARAïBES, LUTTES ACTUELLES

Suite de l’entretien avec Charlot JEUDY et Ernest Junior GAUBERT de KOURAJ Pou Pwoteje Dwa Moun an Ayiti organisation haïtienne militante de la communauté M (masisi, madivin, makomè, miks), basée à Port-au-Prince. Dans cette seconde partie, ils nous parlent  de leur projet de bibliothèque, du projet d’ouvrir un lieu fait par et pour la communauté M, et des organisations qui travaillent avec KOURAJ.

CASES REBELLES : Où en est votre projet de bibliothèque ?

Kouraj : Nous avons commencé à faire une collecte de livres. Nous n’avons en Haïti pratiquement aucun écrit sur la question. Ou il y a seulement des écrits ou des articles sur la communauté M que des gens ont fait par rapport au VIH sida, c’est tout.
C’est pour cette raison que nous espérions beaucoup récupérer des livres et nous les faire envoyer. On a déjà une vingtaine de livres arrivés de France par des sympathisants, des personnes qui comprennent notre lutte.
Nous cherchons d’autres livres parce que ce que nous souhaitons c’est une bibliothèque surtout avec des écrits sur l’homosexualité. Parce que nous pensons que dans le pays il n’y a pas vraiment de réflexions menées sur cette question.
Et nous pensons, que même s’il s’agit de réflexions extérieures, il s’agit de choses intéressantes et que ce sont des réflexions que l’on doit mener dans notre société. Et c’est pour ça que nous voulons avoir des livres et construire cette bibliothèque.
Mais il y a des vraies difficultés parce qu’une bibliothèque ce n’est pas seulement des livres, cela nécessite un espace. Et ça demande d’autres choses et nous n’avons pas les moyens pour nous les procurer.
Mais l’idée est là. Nous avons obtenu une trentaine de livres aujourd’hui. La communauté a déjà commencé à s’en servir. D’autres personnes aussi, à qui nous avons signalé l’existence de ces ouvrages, font régulièrement des emprunts. Mais c’est vraiment difficile parce que nous n’avons qu’un exemplaire et donc…

CR: Justement on allait vous poser cette question de la recherche d’un local pour la communauté : comment est née l’idée et où en êtes-vous ?

Kouraj : L’idée c’est qu’une communauté a besoin d’un espace. Il faut un endroit où elle puisse se rassembler, étant donné que des les bars qui existent on ne s’y présente pas « ouvertement ». On est toujours les mal venu-e-s, les mal vu-e-s, les mal compris-es dans ces bars. Nous pensons qu’il nous faut un espace qui nous soit destiné. Et c’est là l’idée. Pour qu’on puisse se rassembler. Pour qu’on puisse venir avec notre petit ami, avec notre mari, notre moitié. Il nous faut un espace pour qu’on puisse les voir, parce que quand on va dans des hôtels on nous fait payer le double du prix normal. Ce sont de vrais problèmes. L’idée c’est ça : il nous faut un espace pour nous, où l’on ne soit pas discriminé-e-s, un endroit où l’on soit bienvenu-e-s.
Mais où nous en sommes ? Eh bien il y a un toujours un problème de moyens parce qu’obtenir un espace dans un pays comme Haïti, c’est un pas une chose facile, et ce lieu il ne faut pas le prendre dans n’importe quel endroit, pour recevoir des masisis parce qu’il y a une dimension de sécurité à laquelle nous devons être attentifs, pour qu’ils ne soient pas attaqués sur le trajet pour venir. Et nous avons des difficultés sérieuses par rapport à ça.

Mais l’idée est là parce que nous cherchons toujours à être en groupe, ensemble. Nous voulons constamment nous amuser ensemble, échanger. Mais il faut un espace qui soit par nous et pour nous.
Un espace où nous pouvons être en sécurité, un endroit où tout le monde peut venir, où tous les masisis peuvent venir sans difficulté, tous les trans aussi parce que quand les trans viennent, il faut pas les oublier, ils doivent être en sécurité. Il faut que le quartier soit très safe.
Oui et puis quand on parle de quartier sûr malheureusement chez nous les quartiers qui sont soi-disant sûrs sont des quartiers extrêmement luxueux, il faut beaucoup d’argent pour rentrer dans ces quartiers, c’est pas pour n’importe qui, tu vois. Ce sont des quartiers destinés aux gens « bien », aux « gens à souliers » comme on dit chez nous. Tu dois être pistonné pour habiter dans ces quartiers.

CR: Ça veut dire que vous n’avez pas encore pensé à des quartiers en particulier ?

Kouraj : Nous y penserons quand on aura l’argent, mais si on a pas l’argent on y pense pas du tout. Et en Haïti tout est difficile. Surtout quand il s’agit de masisi ; si le prix est de 10 gourdes et qu’un masisi vient, ils vont tripler le prix et ils diront que c’est 30 gourdes.

CR: Comment comptez-vous faire savoir que ce lieu est un lieu pour accueillir la communauté M, la représenter, etc. ?

Kouraj : Moi, je te le dis franchement : c’est le seul truc ici pour lequel tu n’as pas besoin de faire de promo ; on va le faire pour toi. À partir du moment où tu es masisi, à partir du moment où tu es madivin, tu n’as pas besoin de payer pour faire de la promo. Ah ouais, ils vont en faire de la promo pour nous! Dès qu’ils verront qu’on est  à deux, à trois ils feront de la promo.
Mais nous-même de toute façon nous ne restons pas en dehors, caché-e-s. On fait constamment des interventions dans la presse locale, tout le temps on fait des interventions publiques pour inviter la société et la communauté à réfléchir sur un ensemble de problématiques, de questions qui nous préoccupent. Bien sûr ils seront au courant. Nous inviterons la presse, tout le monde saura. On l’inaugurera publiquement, tout le monde saura que c’est un espace par nous pour la communauté M.

CR: Quels sont les moyens de connaître, rencontrer KOURAJ ?

Kouraj : D’abord nous avons un site internet, un Facebook. Nous prenons des positions publiques dans la presse, la presse écrite, la presse télévisée, la radio. Nous faisons des interventions publiques avec nos maillots, nos symboles, nos messages de sensibilisation, avec des « pamphlets », avec des banderoles. Nous sommes dans des espaces grand public. Par exemple nous avons une campagne de sensibilisation à organiser à Lakou Souvnans ce dimanche de Pâques ; le 22 la communauté M ira danser au Rara de Léogane. Nous faisons des activités publiques et ils savent que nous sommes là.

CR: Avec quels autres groupes, organisations, associations êtes vous en contact ?

Kouraj : Nous avons plusieurs contacts avec d’autres organisations. Il y a par exemple RNDDH 1, qui défend les droits humains, CARLI (Comité des Avocats pour le Respects des Libertés Individuelles), JILAP, KOFAVIV2, FACSDIS3, VDH, SEROVIE, FOSREF4, POZ (Promotion/programme Objectif Zéro Sida), ce sont des organisations qui luttent contre le VIH sida ; DOP, BAI. Il y a un tas d’organisations avec qui nous partageons nos préoccupations et nos luttes.

CR: Est-ce que vous êtes en contact avec des groupes LGBT au niveau international ?

Kouraj : Il y a un seul groupe LGBT avec qui nous sommes en contact c’est Arc en Ciel d’Afrique à Montréal au Canada5 et nous avons participé à leur festival de film LGBT qu’ils ont fait dernièrement, c’est leur 5eme. En dehors de ça nous n’avons pas vraiment de contacts avec d’autres groupes LGBT dans d’autres pays.

CR: Y a-t-il des organisations qui vous financent, vous aident ?

Kouraj : Une seule organisation nous finance à l’extérieur c’est AJWS. C’est une organisation de juifs américains aux Etats-Unis. Et ici on a de bons rapports avec l’ONU-sida qui met toujours son espace et ses moyens à notre disposition pour nos activités. Jusque là nous n’avons pas d’autres organisations qui nous aident dans le pays et à l’extérieur.

CR: Parmi les groupes qui vous soutiennent, est-ce que les vadouisants vous donnent un soutien spécial ?

Kouraj : Les homosexuels et les madivin sont plus ou moins bienvenu-e-s, bien traité-e-s. Mais il n’y a pas de position officielle de la religion vaudou. Mais nous considérons qu’il y a ici un soutien traditionnel du vaudou envers la communauté M.

CR: Est-ce que parfois vous avez l’impression qu’il y a des ONG qui vous utilisent, vous instrumentalisent ?

Kouraj : Disons qu’il y a quelques ONG qui peut-être ne comprennent pas la question et qui viennent en grands experts pour nous apporter des solutions. C’est un problème haïtien qu’il nous faut regarder avec des haïtiens et avec des yeux haïtiens. Il y a une grosse ignorance à ce sujet.
Et puis, l’un de nos problèmes c’est que justement nos détracteurs s’imaginent toujours que nous sommes manipulé-e-s par des blancs, que c’est des blancs qui nous mettent devant, qui nous manipulent et nous mettent au premier plan. Absolument pas. Moi-même, je suis un vrai haïtien et presque tous les membres de KOURAJ, c’est pas des gens qui ont vécu à l’étranger, c’est même pas des gens qui ont eu l’occasion de voyager ; c’est des haïtiens natifs-natal et qui sont de vrais masisis, madivins, makomés, miks.

Mais oui des fois on a l’impression que des ONG ne comprennent pas la question.
Je vais prendre un exemple simple : par rapport au VIH sida ils pensent qu’il faut aborder la question du VIH sida à l’intérieur de la communauté M. Mais on ne peut pas aborder cette question sans aborder la question de l’homophobie et de la transphobie. Il faut que l’on porte ces questions. Parce que les gens ne vivent pas leur sexualité dans la transparence, ils la vivent dans le marronnage. Tu comprends ? Et ça les met en danger.

Et c’est ce qui nous fait dire quand nous sommes face à eux que nous ne sommes pas des groupes vulnérables nous sommes des groupes vulnérabilisés, parce que le système politico-religieux qui est en place nous met en état de vulnérabilité, ne nous permet pas de vivre comme nous aimerions vivre.
Nous pensons qu’il y a de grosses incompréhension parce que leur logique c’est une campagne de sensibilisation et formation des pairs et puis ça s’arrête là. L’argent est dépensé dans les hôtels, dans les voitures. L’argent s’envole, tu te rends compte ? Et c’est un problème énorme parce qu’ils ne comprennent pas la nature même de notre lutte.

CR: Quels sont vos espoir, à cour et à long terme?

Notre espoir c’est que les autorités prennent une position officielle sur la question. Parce que ce qui est intéressant c’est pas quand c’est moi qui parle mais si c’est le Président qui s’exprime, le Premier Ministre, nos ministres, des députés , des sénateurs. C’est ça que nous avons comme espoir sur notre lutte. Nous aimerions qu’ils prennent des positions officielles sur la question.
L’autre chose que nous aimerions c’est avoir des moyens pour réaliser notre projet, pour tenir le cap sur nos projets. Nous souhaiterions avoir un fond d’urgence pour être en mesure de réagir directement lorsqu’il y a des victimes de violence homophobes, parce que quand des jeunes nous contactent et nous disent qu’on les a mis dehors, on n’est pas capables de les loger. Quand il y a quelqu’un de blessé, on est pas en mesure de lui payer les soins à l’hôpital, on n’a pas les moyens pour faire le suivi médical avec lui. Quand il s’agit de personnes déscolarisées, on n’est pas en mesure de les envoyer à l’école. Et déjà il y a plein de problèmes importants dans la société qui ne sont pas liés à l’homosexualité mais qui concernent toute la société, dans son ensemble. Voilà nos espoirs.
Et un autre espoir que nous avons aussi est de mettre plus de cellules à travers les villes de province pour combattre l’homophobie à travers le pays.

CR: Est-ce que voulez ajouter quelque chose ?

La dernière chose que nous dirons c’est que nous demandons la solidarité de nos frères et sœurs qui sont dans la communauté LGBT en France parce que nous croyons que notre lutte n’est pas forcément très différente de la leur même s’il sont en avance. Nous avons besoin d’eux, nous avons besoin de leur solidarité, nous avons besoin qu’ils nous accompagnent dans la bataille que nous menons. Étant donné qu’eux-mêmes sont en avance, ils ont des acquis que nous aimerions partager, que ce soit en terme d’expérience, que ce soit en terme de savoir-faire dans cette bataille qui est extrêmement difficile.

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Nous remercions chaleureusement Charlot JEUDY et Ernest Junior GAUBERT d’avoir répondu à nos questions. On envoie tout notre soutien, amour et force à KOURAJ qu’on retrouvera sans doute très bientôt dans CASES REBELLES.

On attire votre attention sur le fait que KOURAJ travaille à récupérer des livres pour une bibliothèque thématique sur la question M (LGBT). Si vous en avez à leur faire parvenir, collectez et contactez-les. Ou contactez nous ; quand une certaine quantité de livres aura été rassemblée on se débrouillera pour les leur envoyer.

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Interview réalisée par Cases Rebelles le 17 mars 2013. À écouter dans l’émission n°31.

KOURAJ sur internet : http://kouraj.org/ et https://fr-fr.facebook.com/kourajayiti

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