Les sœurs zabîme, d’Aristophane

Publié en Catégorie: AFRO ARTS, LECTURES

divinOn trouve chez nombre d’antillaisEs une obsession du liminaire, du passage. Cette fascination se manifeste tant dans la littérature – chez Chamoiseau  par exemple – que dans notre univers magico–religieux et ses innombrables pratiques de transformation.  Rien de surprenant à cela : nous sommes les enfants du Passage et de ses métamorphoses impératives.

Les sœurs zabîme est une bande-dessinée d’Aristophane. Elle se déroule en Guadeloupe et raconte le premier jour des vacances – jour de passage s’il en est – de trois sœurs collégiennes. Au gré des rencontres avec d’autres amiEs de leur âge, au rythme des événements, l’anodin jouxte l’existenciel et ses profondeurs, ses abymes… Un trou maléfique. Une pipe cassée. Un manguier. Un rendez-vous pour une bagarre. Du rhum. Les aventures de cette journée charnière suivent les détours de l’adolescence, ses élans ambigus de trangression et de normativité, ses rites de passage. Toute la subtilité d’Aristophane est dans ce qu’il laisse entrevoir de la complexité des invidivuEs. Il suggère ; par-delà les apparences, les blocages, les peurs ou  les fanfaronnades de l’âge. Chez ces êtres en devenir, en voie de transformation, il montre avec beaucoup d’intelligence le jeu du bien et du mal, de la séduction, des amours et des haines fragiles. Il révèle une enfance qui déjà s’organise en classes, en castes, avec des dominantEs et dominéEs. Où déjà l’impact précoce des violences subies dans la famille se manifeste.

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On peut pourtant traverser  Les Sœurs zabîme tout simplement comme un récit d’enfance divertissant avec une petite valeur d’édification morale ; on peut aussi être happé par sa richesse philosophique et métaphysique. Aristophane dédicace son « travail modeste » au divin. Effectivement il est partout : dans ces dessins expressionnistes des enfants habités d’une présence et d’un mouvement fascinants, d’une humanité bouleversante, mais aussi dans cette nature vive, luxuriante, mystérieuse, envahissante parfois. Des arbres, des insectes peuvent être placés au premier plan comme si la nature elle-même observait les enfants. Le divin est dans chaque miracle de vie et nous sommes touTes à la même hauteur, nous dit Aristophane. Et il est en effet beaucoup question d’humilité dans cette bande dessinée.

couvertureLes sœurs zabîme est aussi irrémédiablement caribéen et guadeloupéen dans ses lieux, ses jeux, les modes relationnels. On s’y retrouve. Malheureusement le créole manque cruellement et le français ramène l’étrangeté dans ce tableau familier, intime. On s’en désole d’autant plus qu’une version anglaise existe. Cela permet en tous cas aux  non-créolophones de le lire à défaut d’œuvrer pour la sauvegarde et la valorisation de la créativité d’une langue menacée.

Firmin Aristophane Boulon est né en 1967 en Guadeloupe. Il y est décédé en 2004. Auteur de la BD indépendante, il a publié dans des revue, sorti plusieurs albums et collaboré à un ouvrage de littérature enfantine. Le trésor de dessin, de narration et de philosophie qu’est Les Soeurs zabîme a été édité chez Ego Comme X en 1996, puis réédité en 2001. Il est actuellement disponible sur commande pour le prix de 16€. N’hésitez pas si vous en avez les moyens ou faites pression sur vos bibliothèques.

Cases Rebelles (28 Janvier 2017)