Masculinités noires X Fragments : S1E6 Vincennie

Publié en Catégorie: MASCULINITÉS NOIRES

Masculinités Noires X Fragments

Voici déjà le dernier épisode de la première saison de notre série « Masculinités noires X Fragments ». On retrouve  Vincennie pour ce numéro 6.
Peux-tu choisir trois mots qui sont pour toi en rapport avec le fait d’être un homme noir et m’expliquer pourquoi ?

Pour moi ce qui symbolise l’homme noir dans sa globalité est lié à la TRANSMISSION. Déjà il y a tout ce qui a été hérité des générations précédentes, la transmission de valeurs, d’us et coutumes. On est un peuple qui a une histoire. Souvent on aime à dire que ça se transmet à l’oral alors qu’il y a des écrits, on s’en rend compte et on s’en rendra encore compte parce que tout n’a pas été découvert. Cette transmission c’est pour construire des hommes qui soient bien faits dans leur tête et dans leur corps, pour pouvoir respecter ces us et coutumes et ne pas se perdre dans ceux des autres. Chaque peuple a une particularité qui fait qu’on le reconnait : ça peut être lié à ce qu’on porte, ce qu’on grave sur la peau, la manière dont on s’exprime ou on s’habille. Et je dirai que c’est important de transmettre pour pérenniser, de génération en génération. On voit des peuples qui sont amenés à disparaître parce qu’ils ont été noyés. Ils ont peut-être embrassé trop vite l’Autre qui venait et n’ont pas su se faire respecter ; ou alors ont été effacés de la carte par des gens qui avaient d’autres ambitions.
Il y a beaucoup de sociétés patriarcales, et dans ça c’est bien souvent l’homme qui transmet. Dans la culture Manjak1 – ma culture, c’est pour ça que je permets de partager ça avec toi aujourd’hui – on a par exemple les Bois sacrés, on a des choses qui se passent entre hommes et dont les femmes sont exclues. Y a des sociétés où c’est comme ça, et à l’inverse on aura des sociétés qui sont matriarcales  – mais je crois qu’on les compte sur les doigts de la main.

Pour le deuxième mot je dirai la LUTTE. L’Histoire a fait qu’on a connu une période tranquille mais après quand d’autres personnes, visiteurs sont venus pour essayer d’envahir le continent pour des motifs qui leur sont propres, on a du lutter pour préserver ce qu’on était. Et des fois on a perdu la vie, on a vu des gens à l’époque qui ont été décimés. Aujourd’hui, que ce soit en Afrique ou dans la diaspora c’est lutter contre les préjugés, parce que l’homme noir a des particularités. Je crois qu’on est plus visibles aujourd’hui. À un certain moment, on a beaucoup focalisé sur la « couleur » de l’homme noir, aujourd’hui ça porte sur autre chose, c’est un phénomène de société où ça porte plus sur les religions. Et j’imagine même pas les hommes noirs musulmans qui sont visés. Donc pour l’homme noir c’est lutter pour se dégager de tous ces préjugés-là, pour préserver ses droits.

Après en troisième je dirais… la JOIE DE VIVRE, je pense, pour un homme noir qui réunit les conditions où sa famille est à l’abri, qui est dans un environnement qui lui convient. Je crois qu’on s’accorde à dire que quelqu’un qui a la joie de vivre la partage naturellement.

Est-ce que tu pourrais me nommer et me parler d’un homme noir important à tes yeux ?

Je ne vais pas aller chercher très loin, je ne vais pas dire mon père… Mais j’ai rencontré un homme qui s’appelle MAHAMOUDA SALOUHOU, qui est beaucoup dans tout ce qui est leadership, développement personnel2 . C’est vrai qu’à un moment de ma vie, en 2012, je me cherchais beaucoup encore, j’avais beaucoup de mal à définir qui j’étais, mon identité, ce vers quoi je souhaitais aller. Et c’est en discutant avec cette personne… on a gardé le lien depuis toutes ces années et je me rends compte en fait que c’est quelqu’un qui m’a permis de passer un cap. C’est un enseignant-chercheur basé sur Lille mais qui a une histoire assez singulière, parce que parti de son Cameroun natal il a bataillé pour arriver en Europe, après pour pouvoir aller aux États-Unis pour pouvoir enseigner, jusqu’au MIT, et aujourd’hui il collabore avec la NASA. Son dernier projet en date est la Diagora University3 à Dakar – « diagora » signifie « berger ». Quand on se donne les moyens de ses ambitions on peut aller de l’avant, c’est pas parce que la vie s’acharne sur nous qu’on doit abandonner. Et à chaque fois qu’on se rencontre je lui raconte des anecdotes personnelles et lui m’aide à mettre les bons mots dessus, à bien m’exprimer sur à quoi j’aspire. Si on arrivait à avoir plusieurs hommes comme lui sur Terre, qui sont dans ce partage… C’est un gars qui n’est pas dans la recherche du profit ; il a beaucoup reçu certes mais il aimerait redonner aujourd’hui, et faire en sorte que ce soit la majorité qui gagne et pas seulement certains individus. Le projet Diagora a été reconnu d’utilité publique, il y a en a aussi à Sfax et à Tunis. Hier je lisais un article où on interrogeait un prof de Montréal sur ce qui fait qu’aujourd’hui l’homme noir rencontre des difficultés, et on parle beaucoup de la stratégie, c’est-à-dire comment on va arriver à faire en sorte que demain le continent puisse se relever de ses difficultés, ne plus laisser d’autres venir profiter de ses richesses.

En tant qu’homme noir qu’est-ce que tu aimerais transmettre aux garçons noirs ? Et aux filles noires ?

Au garçons noirs ce serait transmettre le côté de la double-culture ; on a la chance de vivre aujourd’hui en France, un pays qui a des valeurs qui lui sont propres, mais ne pas oublier que nos parents sont originaires d’un pays, d’un continent qui ont aussi des valeurs. C’est important d’apprendre, de comprendre d’où sont originaires nos parents parce que demain on doit passer le flambeau à nos enfants, qui vont arriver si on en a, ou même à nos petits frères.  Et même si on n’en a pas, on a assez de monde autour de nous. La double-culture je dirai que ça nous permet d’avoir un juste milieu, parce que des fois on n’arrive pas à comprendre nos parents, ce qui parfois les caractérise. Quand je vois mon père parfois dans des pensées, ou nos mères ; quand on participe à des fêtes – forcément la communauté on se retrouve, on a des fêtes – quand on voit les femmes qui font une sortie avec un tissu, il y a toujours le pagne traditionnel Manjak… on a beaucoup ce partage de culture ; l’alimentaire aussi. A certaines périodes on a tout ce qui est lié à la cérémonie du Bois sacré… C’est toutes ces fêtes-là. Parfois on voit nos parents s’absenter pendant une longue période et ne comprend pas pourquoi : « pourquoi il est parti, qu’est-ce qu’il fait là-bas ? »… On essaie de comprendre, on pose des questions. Et aussi parce que des fois on sera amené à voyager dans le pays d’origine de nos parents. Ne pas parler la langue maternelle c’est assez complexe ; dans mon cas mon père a toujours mis un point d’honneur à ce qu’on parle notre langue maternelle, souvent à la maison – maintenant il a pris de l’âge donc on arrive à parler un peu français à la maison (rires). Partager la langue, la culture et les valeurs pour ne pas se perdre dans l’autre et être une brebis égarée.

Aux filles… ce que je disais c’est aussi pour l’Homme avec un grand « H ». Mais aux filles c’est apprendre de leurs mamans. Bien souvent dans notre modèle, les mamans quand elles ont un enfant, les papas vont travailler ; moi c’est le modèle que j’ai eu. Ma mère travaillait, parce qu’il y a des familles qui sont modestes ; une fois que la période d’allaitement est fini, les femmes retournent au boulot. Et elles ont un rôle important à jouer dans l’éducation des enfants. Les filles doivent aussi apprendre de leur papa et les garçons de leur maman. Apprendre de nos parents les valeurs de lutte, préserver notre héritage.

L’éducation c’est quelque chose pour moi qui est primordial. Bien souvent je vois certains frères qui n’aiment pas lire ou se plonger dans l’histoire de l’Afrique en général ; mais l’éducation c’est pas que l’école, c’est aussi des rencontres, c’est aussi être curieux de ce qui nous entoure en général.

Te sens-tu différent de l’homme noir qu’enfant tu pensais que tu serais ? Et si oui comment ?

Quand j’étais enfant je voulais être avocat ; je ne sais pourquoi, ou peut-être parce que j’avais détecté que j’aimais défendre des causes, mais aussi des gens. Et à un âge où j’ai compris que je pourrais être utile aux Hommes avec un grand « H » je me suis beaucoup investi dans le domaine associatif. Après, mon sérieux à l’école je dirai,  a fait que j’ai pas pu forcément approcher des études d’avocat, ou peut-être qu’on ne m’a pas assez conseillé ou pas assez soutenu – mais ça c’est du passé – et après je suis entré dans le droit humain. Je me suis dit : à un moment ou à un autre je suis plus ou moins l’avocat de certaines causes ; j’ai eu l’occasion de participer à différents projets, que ce soit lié à l’alimentation, aux droits humains, et de ça je suis un peu devenu l’avocat que je rêvais d’être quand j’étais petit.

Pour répondre à la question je ne dirais pas « différent », je dirai que c’est juste que les projets ont évolué au fur et à mesure du temps et de l’âge, mais je pense que les valeurs restent les mêmes : le côté entraide, sensibilité aux causes qui touchent la communauté directement, ou l’ouverture vers l’autre pour apprendre, comprendre et bien vivre, ensemble.

Interview réalisée par Cases Rebelles le 21 octobre 2017.

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Masculinités noires : fragments de réponses?
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  1. de Guinée-Bissau []
  2. Professeur de Leadership et Entrepreneurship []
  3. université privée []