Paris, le « Black Panther » du hip-hop et les paradoxes d’Oscar Robinson Jr

Publié en Catégorie: AFRO ARTS, AMERIQUES, BAY AREA

Who said that you can’t do this
Can’t be wise or be for the movement
Qui a dit qu’on ne pouvait pas faire ça
Qu’on pouvait pas être intelligent ou soutenir le Mouvement,
PARIS, Break the Grip of Shame, 1990.

J’ai longtemps considéré Oscar Robinson JR, né à la fin des années 60 à San Francisco, comme un must en matière de hip-hop politique. Sous  le nom de PARIS, ce rappeur noir de San Francisco, allait en 1990 allumer la scène hip hop US avec une bombe nommée « The Devil made me dot it ».

Revolution ain’t never been simple
Follow in the path of Fanon and Mao just
Build your brain and we’ll soon make progress
La révolution n’a jamais été simple
Suis le chemin de Fanon et Mao
Bâtis ton intellect et bientôt nous avancerons
PARIS, The Devil made me do it, 1990.

Le contenu de l’album du même nom était tout aussi consistant et énervé ; nationalisme noir révolutionnaire, commentaires sociaux pertinents et incendiaires, références appuyées à Malcolm X, aux Blacks Panthers et à la Nation of Islam, groupe déclencheur de la politisation de Paris qui en est membre.
Avec son logo où se profilait une panthère noire, ses productions faites de basses menaçantes, de beats rapides et de groove noisy lorgnant parfois du côté de Public Enemy, Paris était plus franc, plus direct et plus social dans son approche qu’une bonne partie des rappeurs de l’époque. Une majorité était coincée dans un Afrocentrisme vague et folklorique, fait de tenues suggérant outrageusement l’Afrique, et il était difficile de percevoir là des projets politiques concrets hors du look, des noms et de la rhétorique. De tout évidence, Paris, enfant de la Bay Area, avait baigné dans l’influence des Black Panthers nés à Oakland, et il entendait porter cet héritage. Sa musique sentait l’insurrection et l’action directe.

Comin’ straight from the mob that broke shit last time
Venu tout droit du groupe (Les Black Panthers) qui a tout fait péter la dernière fois

A cette époque, considérée pour beaucoup comme l’âge d’or ,une bonne partie de la scène hip-hop semblait plutôt hériter de ceux que les Panthers détestaient : les nationalistes culturels comme par exemple l’US, l’organisation de Maulana Ron Karenga.

          Avec sa sobriété radicale, et son flow qui rappelait Rakim, Paris tranchait dans l’industrie du disque. C’est sans surprise qu’on le vit apparaître dans un clip extrait de « Fear of a black planet » 3ème album de Public Enemy, pour le morceau « Anti nigger machine » qui posait simplement et clairement la nature des relations entre la police américaine raciste et la population noire ; des rapports qui n’ont d’ailleurs pas changé.

Avec « Sleeping with the enemy », le deuxième album, on allait se rendre compte que Paris était vraiment différent du reste. Quand son label Tommy boy, label hip-hop légendaire, sous division de Time Warner, une major donc, découvre que l’un des morceaux de l’album à venir s’appelle « Bush killa », et que Paris s’y imagine en tueur de G.Bush senior il s’empresse de le jeter dehors… Le label est d’autant plus sous pression que 1992 avait été l’année du scandale du morceau de IceT et Bodycount, morceau nommé « Cop killer » qui avait créé une énorme polémique.
Sans label, Paris choisit l’indépendance par la voix de son propre label Scarface Records qu’il avait créé au tout début de sa carrière sans avoir eu l’occasion de s’en servir. L’album se vend très bien. La pochette qui montrait Paris armé d’un AK 47 attendant derrière un arbre son président préféré fit son petit effet ; l’album occasionna une enquête des Services secrets et pas mal de publicité pour Paris.
Du point de vue contenu Paris allait toujours plus loin et était beaucoup plus analytique dans ses textes que ce type de provocation pouvait laisser supposer.
Musicalement Paris est à cette heure à mi-chemin entre l’agressivité des débuts et le funk qui deviendra sa marque de fabrique. Il revendique d’ailleurs comme influences musicales le P.Funk et des groupes comme The Time de Minneapolis (proche de Prince).

Don’t you know there ain’t no future in hurtin our own
It’s bad enough that the trust and love are gone
So many people wanna destroy
But I can’t, and I won’t stop ever bein’ true to black woman
Ne sais-tu pas qu’il n’y a aucun avenir en faisant souffrir les nôtres
C’est déjà assez grave que la confiance et l’amour soient partis
Tant de presonnes veulent détruire
Mais je ne peux pas, et je n’arrêterai jamais d’être fidèle à la femme noire
PARIS, Assata’s Song, 1992.

En 1994, pleine période de succès de Dr.Dre et Snoop, Paris sort un album de G.Funk politique nommé Guerilla funk. Le contenu est toujours politique mais musicalement l’album est très marqué dans le temps ; peut-être trop. C’est aussi à cette époque qu’il sort sur son label l’album du duo féminin Conscious Daughters. Leur album nommé « Ear to the Street » qui mêle histoires personnelles, sincères et gangster culture est de grande qualité.
Paris sortira en 98 Unleashed un album qui n’aura pas vraiment d’écho, même s’il recèle d’un super duo avec la géniale rappeuse Mystic, un autre bon morceau qui confirme que Paris est vraiment fan de Sade, et d’autres plutôt moyens qu’il partage avec le pas très malin Spice 1. C’est ici qu’il disparaît de nos écrans.

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C’est ce trou dans son parcours qui jette à la fois le voile et la lumière sur Oscar Robinson alias Paris né à la fin des années 60 dans un milieu plutôt favorisé. Le jeune Oscar Robinson a fait des études d’économie. Et de 1996 jusque 2001 il va travailler dans l’immobilier, et se bâtir une petite fortune en étant agent de change…Et oui malgré sa radicalité au micro Oscar Robinson JR est un soldat du capitalisme.

La distance entre M.Robinson et Paris est plutôt glaçante et jette largement la suspicion sur les postures révolutionnaires et les appels à prendre les armes. Paris estime lui qu’il est inévitable de participer au système capitaliste et qu’il faut juste ne pas s’impliquer dans ce qu’il a de plus sale.  Il prétend même avoir une approche « à la robin des bois » du système boursier ; mwouarf…

A ce stade il ne reste plus qu’à brûler tous nos albums de Paris en chantant l’internationale, ce qui risque de faire baisser la qualité musicale et blanchir un grand coup l’histoire des luttes de libération. Ou bien on peut continuer à écouter les disques comme objet révolutionnaire en ayant en conscience les grosses limites de son créateur.

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          Disons qu’en 2002 la question ne se posait pas à moi vu que je ne connaissais pas encore Oscar Robinson et que je demandais juste où avait disparu Paris. Exaspéré du tournant post 11 septembre de la société américaine il revint me donner des nouvelles. Il fit la voix off d’un documentaire nommé Aftermath ; questions sans réponses sur le 11 Septembre pour le site d’info Guerilla News Network. Il lance ensuite le site guerillafunk.com qu’il nourrit rapidement d’articles de lui et d’autres personnes sur la situation sociale américaine, le guerre, la famille bush, la drogue, l’armée américaine, la violence conjugale, et pas mal de théories de conspiration…Il fournit également une critique abondante des médias du lavage de cerveau. Le tout restant très americanocentré et du coup parfois un peu léger dans l’analyse quand il s’agit de sujets internationaux… Mais l’ensemble est quand même intéressant. On trouve sur le site des suggestions de lecture, des news du label indépendant de Paris vu qu’il produit d’autres rappeurs politiques, et aussi, ce n’est pas une surprise, du merchandising.

Il sort en 2002 le très bon album nommé Sonic Jihad pour renouer avec les provocations des grandes heures et bouleverser l’Amérique bien pensante et islamophobe. La pochette de l’album montre d’ailleurs un avion sur le point de se crasher sur la maison blanche.
Malgré sa colère et son côté provoc Paris conservera un discours politique salvateur offensif et cohérent. Les médias dominants comme Fox qui tenteront de le coincer en interview s’y casseront les dents ; il connaît sons sujet.
En 2006 il sort un album commun avec Public Enemy réalisant ainsi l’un des plus vieux fantasmes de nombreux amateurs de hip-hop politique. Le disque nommé « Rebirth of a nation » est musicalement produit par Paris et il y prend une grosse place au niveau des textes ; y apparaissent aussi d’autres rappeurs politiques comme Immortal Technique, Kam et Dead Prez.

En 2008, c’est le très bon « Acid reflex » qui sort ; il y critique la politique migratoire des Etats-Unis, la politique extérieure et s’attaque aux questions douloureuses comme par exemple le manque d’unité entre les noirs et les latinos. Tout cela sur de la très bonne musique. En 2015, il sortait « Pistol Politics » son dernier album  en date complètement imprégné du mouvement Black Lives Matter. Très bien produit, servi par un flow qui refuse périmé, le 1er extrait groovait en intégralité avec un chorus de « No justice, No peace » en fond. Le titre du morceau « Night of the Long Knives » laisse par contre songeur. « Hard Truth Soldier« , troisième extrait résume pas Paris, et ses limites… Le clip est saturé d’images des Black Panthers et Paris y trône dans le même siège d’Huey P.Newton. Dans son désir de désigner les noirs qu’ils trouvent problématiques il condamne les hommes noirs qui « mettent des robes » au lieu d’être de vraie soldat ; oui Paris a beau saturer ses clips de Black Lives Matter, il n’intègre pas beaucoup les bases intersectionnelles du mouvement et demeure malgré l’imagerie un idéologue plus proche de  la Nation Of Islam que des Panthers. D’ailleurs dans ce morceau, il fait tout comme la NOI l’apologie du capitalisme noir.

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La question de savoir ce qu’il faut faire de Paris et de ses activités reste ouverte. Nous avons affaire à un entrepreneur qui rêve d’un marché libre capitaliste qui n’exploiterait pas les gens et serait lié à des systèmes de santé et d’éducation socialistes. Ce qui fait sans doute de lui un gros naïf ou un hypocrite.
Il donne même sur son site des conseils pour gagner de l’argent en investissant avec comme impératif que cela profite à la communauté en retour.
Quant à l’action strictement politique il semble considérer qu’il faille s’accommoder du bipartisme US et incite à voter pour le moins pire. Bref …
Ce n’est sûrement pas à Cases Rebelles de vous dire ce qu’il faut écouter ou pas et je reste perso un grand fan de Paris. quant à Oscar Robinson c’est un capitaliste américain de plus pris dans un tas de contradictions tout à fait contre-revolutionnaires. Mais si l’énergie qu’il transmet peut avoir sur d’autres l’effet qu’elle eut sur moi adolescent  c’est toujours ça de pris et ça pourra peut-être un jour revenir prendre à revers le capitaliste Oscar Robinson. Enfin bon là c’est peut-être moi qui suis naïf…

M.L. – Cases Rebelles

(À écouter dans l’émission #5 – Octobre 2010)

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