Autour de la marche annuelle contre les violences d’État et le racisme systémique

Publié en Catégorie: POLICES & PRISONS
AU CŒUR DE L'INCENDIE

CONTRE LES VIOLENCES D’ÉTAT ET LE RACISME SYSTÉMIQUE

Depuis 2011, les familles de personnes assassinées, les victimes blessées et mutilées marchent contre les violences d’État, en réponse à un appel lancé de Montréal en 1997 par le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP) pour une Journée internationale contre la brutalité policière. Celle du 18 mars 2023 approchant, on s'entretient avec des victimes membres du Réseau d'entraide Vérité et justice qui, cette année, porte l'organisation de cette manifestation.

Marche contre les violence d'Etat et le racisme systémique

Par Cases Rebelles

Mars 2023

En cette période de forte mobilisation sociale et de contestation de l'ordre établi, il serait impératif que les combats contre les violences d’État et le racisme systémiques ne soient pas les oubliés du mouvement. Depuis 12 ans, les victimes, proches de victimes, organisations, convergent annuellement pour une marche internationale. Cette fois-ci, elle a lieu ce samedi 18 mars à Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux et même à Genève. Quelques membres du Réseau d'entraide vérité et justice, qui porte l'organisation de la marche cette année, ont accepté de partager avec nous le sens que revêt celle-ci pour eux et leurs attentes pour cette journée unique.

Mélanie Ngoye Gaham, membre du collectif Les mutilé⋅e⋅s pour l’exemple, du Réseau d’entraide vérité et justice, militante Gilets jaunes, et qui a depuis peu créé avec des camarades Amiens Antirep, insiste sur la caractère extrêmement important de la Marche, d'autant plus qu'il s'agit d'une mobilisation internationale. De ce jour-là, elle attend que les victimes soient ensemble :

Que l’on marche, que l’on fasse front, face à ce gouvernement qui met en place toujours plus de répression, toujours plus de lois sécuritaires et qui protège sa police, ses gendarmes et ses agents pénitentiaires. C’est ça que j’attends : que toutes les familles, toutes les victimes, on puisse être ensemble. La police, eux, ils font bloc. Quand un policier passe au tribunal, c’est tous les corps de métier : tu vas retrouver des CRS, de la police nationale, mais aussi la BAC. Eux font corps, donc à nous aussi de faire corps : cette date est super importante pour ça !

Elle estime aussi que cette marche à une vocation de mobilisation, d'information afin que la population comprenne ce que sont les violences d’État :

Ça ne s’arrête pas aux coups de matraques, aux meurtres des frères, de nos camarades. Derrière ça, c’est l’État au complet qui se met en branle pour nous détruire quand la police nous a pas tué⋅es. Pour nous les blessé⋅es , les mutilé⋅es, c’est les Caisses d’allocations familiales, la Sécurité sociale, les mutuelles, les impôts qui nous font des contrôles, tous ces organismes d’État, et après il y a la violence des tribunaux. J’attends d’une telle journée que l’on puisse dénoncer tout ça, ainsi que certain⋅es avocat⋅es qui se comportent mal avec nous.

Actuellement mobilisée dans le mouvement contre la réforme des retraites, Mélanie établit un lien très clair entre cette lutte et la question des violences d’État :

C’est lié parce que l’on parle de carrières hachées, et moi c’est la police qui m’a haché ma carrière : depuis 2 ans je suis en arrêt maladie et les petites retraites c’est aussi nous, nous qui vivons en quartiers populaires, les personnes racisées, les Gilets jaunes, c’est nous ces petites retraites-là. Déjà on ne va pas gagner grand-chose et en plus on a les métiers les plus durs, qui abîment le plus. Moi j’entends qu’un président puisse exercer jusqu’à 100 ans. Mais nous c’est pas pareil. On arrive à 60 ans à genoux et ils veulent nous faire travailler jusqu’à 64 ans. Déjà les 2 ans qu’on s’est pris dans la tronche étaient durs à avaler, mais aller jusqu’à 64 on ne pourra pas. Nous, les femmes du mouvement contre les violences d’État, quand on a été blessées, mutilées, eh ben notre carrière elle a été hachée et à partir du moment où on se prend cette mutilation, cette blessure, notre carrière ne sera plus jamais pareille ; on passe par des moments où même sortir de chez soi c’est compliqué. On milite donc pour ça, pour le droit des femmes, pour que les femmes aient des retraites convenables ; on milite contre toutes ces violences d’État parce qu’avoir une retraite de misère c’est une violence d’État aussi.

Djeneba Sangare a perdu son frère il y a quelques mois, le jeudi 24 novembre 2022, dans des circonstances terribles. Incarcéré depuis quelques jours, suite à un conflit de voisinage, Alassane, marié, père de trois enfants, est décédé à Fleury-Mérogis au bâtiment D5. Prévenue tardivement, très mal informée, sommée d'attendre le week-end pour en savoir plus sur les circonstances, la famille a été exposée à une maltraitance institutionnelle inacceptable. Quant aux circonstances de la mort d'Alassane, elles sont indéniablement troubles même si les autorités tentent de pousser la thèse du suicide depuis le début : la communication erratique du parquet n'a fait que renforcer les soupçons de la famille. Mobilisée depuis le début, réactive, cette dernière voit dans la Marche une occasion de diffuser plus largement l'histoire de son drame et trouver d'autres forces pour mener son combat pour la vérité et la justice :

De la marche de samedi nous attendons du soutien, encore et toujours. Nous en avons depuis le début mais nous savons que cette marche va réunir beaucoup de monde, et nous en avons besoin d'avancer dans notre combat. Nous avons besoin de faire entendre l’histoire d’Alassane : cette histoire dramatique lui est arrivée, mais ça peut arriver à tout le monde. On se rend compte que c’est deux mondes différents, ceux de la haute et nous, le peuple, qui sommes méprisé⋅es par ces gens complètement déconnectés de la réalité et qui ont un mépris total des familles de victimes.

La famille Sangare a également rejoint le Réseau d'Entraide :

Selon moi, une organisation comme le Réseau d’entraide vérité et justice apporte et peut apporter du soutien à une famille comme la nôtre. Qu’il s’agisse de soutien moral, de conseils puisque ce réseau englobe des familles comme nous, des familles qui ont plus d’expérience que nous. Aujourd’hui, nous avons besoin des conseils de tou⋅tes pour avancer, éviter les erreurs. Il faut faire très attention, on le sait, dans la communication sur les réseaux sociaux, auprès des médias, pour que chaque chose qui soit dite ne puisse être retenue contre nous, ne soit pas à charge dans notre dossier. Nous sommes obligé⋅es de médiatiser ce combat et cette affaire parce que si on ne le fait pas ça reste un fait divers comme un autre, et nous ne souhaitons pas que Alassane soit un fait divers.

Le Réseau d'entraide vérité et justice à la Marche des Solidarité en décembre 2021 à Paris.

Dans la nuit du 14 au 15 avril 2021, Yanis a eu un accident  : après avoir été pourchassé par un véhicule de la BAC, il a été percuté sur l'autoroute A1. Valérie, sa mère, du comité Justice et Vérité pour Yanis, explique : « Dans la version officielle, on nous dit qu'il était en contresens. Et jusqu'à ce jour, nous nous posons des questions sur les circonstances de l'accident. C'est pour cela que nous souhaitons que le dossier soit instruit et que nous puissions avoir accès aux éléments de l'enquête, et de pouvoir nourrir notre dossier pour obtenir enfin la vérité. » Après presque deux ans de combat, Valérie a enfin obtenu une première audition le 15 mars 2023 auprès du doyen des juges : « Ça s'est bien passé. Je suis dans l'attente, je l'espère, d'une réponse favorable pour l'ouverture de l'instruction.»

Samedi, Valérie, le comité Justice et Vérité pour Yanis, seront à la marche pour cette journée de mobilisation internationale. Contre les violences policières bien entendu mais aussi contre « la violence de la justice, les délais trop longs, le déni » :

Je vais marcher pour les autres familles qui traversent les mêmes choses que moi, je vais marcher pour que l’État reconnaisse ses fautes, je vais marcher parce qu'on a tou⋅tes le droit à la dignité et qu'on est tous des citoyen⋅nes. Justice et vérité pour tou⋅tes, tout le monde.

Pour Hadja Bah, sœur de Ibrahima Bah dit Ibo, mort le 6 octobre 2019 à Villiers-le-Bel, pour la famille et les proches, ça semble commencer à bouger au niveau judiciaire :

Enfin un juge – le troisième en 3 ans – a auditionné les policiers présents dans la fourgonnette. En particulier : les policiers se contredisent entre eux sur le motif du déplacement de la fourgonnette vers la moto, mais surtout sur son emplacement exact au niveau du trottoir, ne laissant aucune issue possible à la moto. Aujourd'hui trois des policiers sont placés en statut de « témoins assistés ». Une demande de reconstitution des faits est en cours – seul moyen de mettre ces policiers face à leurs incohérences et de demander leur mise en examen. Et nous attendons toujours le visionnement de la vidéo du bus qui était à l'arrêt en face du poteau.

Le collectif Justice pour Ibo sera présent à la Marche. Hadja estime que ce type d'événement peut éventuellement motiver des victimes silencieuses à se manifester, les encourager à porter plainte. « Je pense que les chiffres officiels de victimes sont malheureusement loin de la réalité. »

Fatou Dieng, sœur de Lamine Dieng, étouffé dans un fourgon de police le 17 juin 2007, n'a pas quitté le terrain, même si la famille Dieng a contraint l’État français a reconnaître ses multiples responsabilités devant la CEDH (Cour européenne des droits de l'homme) il y a quelques années. Fatou est particulièrement active dans le Réseau d'Entraide Vérité et Justice, dont le projet doit beaucoup à la vision qu'avait sa sœur Ramata en créant l'historique collectif Vies Volées. Elle  espère que beaucoup de personnes seront là samedi pour rejoindre les différentes marches et mobilisations puisqu'en plus de la manifestation parisienne, on marchera à Lyon, Toulouse, Bordeaux et Genève.

Nos attentes, c'est surtout qu'il n'y ait plus d'impunité, que les magistrats aient plus de courage pour condamner les forces de l'ordre, et que les politiques aussi aient plus de courage pour porter nos revendications à l'endroit où les lois se votent. Le risque que prennent les premiers concerné·es — à savoir les familles endeuillées, les victimes blessées ou mutilées — les politiques ne les prennent pas. Eux sont là à se préoccuper de leurs carrières. On veut aussi qu’il n’y ait plus cette crainte de condamner ces personnes dépositaires de l'ordre, ces agents assermentés, que ce soit au niveau de la police, de la gendarmerie, au niveau des prisons.

Pour elle, c'est évident, l'arsenal législatif qui frappe les personnes non blanches, qui vise telle ou telle communauté, ça renvoie tout simplement l'histoire de la France. Et c'est le fruit de l'incapacité de la France à faire face à son histoire, son histoire coloniale. Fatou rappelle également que le pouvoir, quel qu'il soit, dépend de la police pour se maintenir.

Souvent on parle de radicalité, mais la radicalité c'est qu'aujourd'hui on sait ce qu'on ne veut plus. Il faut peut-être aussi commencer à penser à une société sans police. C'est un travail qui devrait être fait par toute la population, mais jusqu'aujourd'hui, c'est la population qui subit qui fait ce travail.

Propos recueillis par Cases Rebelles le 16 mars 2023.

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Rendez-vous samedi 18 mars à 14h, place République à Paris, pour la marche annuelle contre les violences d’État et le racisme systémique !

Appel, villes et infos pratiques : https://www.facebook.com/events/562248309197011

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