LUTTES HANDIES NOIRES
BRAD LOMAX : BLACK PANTHER AU COEUR DES LUTTES HANDIES
Activiste pour le droit des personnes handies et membre du Black Panther Party, Brad Lomax fut mobilisé à deux niveaux durant l’époque charnière pour les droits civiques que furent les années 70. Investi dans la lutte contre le racisme et celle contre le validisme, il cherchera durant ses années d’activités à créer un pont entre les deux mouvements. Mais invisibilisé du fait de son identité doublement sujette à marginalisation, sa participation active aux sein de ces deux mouvements sera longtemps tue. On vous propose d'en apprendre plus sur la vie et les combats d'un militant dont nous vous parlions dans notre récit de la lutte 504.

Par Cases Rebelles
Septembre 2023
Les archives sur Lomax et ses idées sur l'intersection de la négritude et du handicap sont probablement limitées en partie à cause de son statut de militant de base du BPP (le travail des dirigeant·es du BPP est beaucoup plus fréquemment documenté), mais probablement aussi en raison de ses multiples identités marginalisées. Quel que soit le mouvement auxquelles elles appartiennent, les personnes marginalisées sont plus susceptibles de vivre un burn-out, d’avoir moins de ressources (y compris du temps) disponibles, de voir leurs revendications intersectionnelles ignorées et, par conséquent, d'accéder aux fonctions de dirigeant·es qui permettent de laisser derrière soi de nombreuses preuves historiques.1
Au croisement de la lutte handie et du BPP
Brad Lomax, de son vrai nom Bradford Clyde Lomax, est né à Philadelphie en Pennsylvanie le 13 septembre 1950. À 18 ans, alors qu’il vient d'être diplômé du lycée Benjamin Franklin, il se voit diagnostiquer de sclérose en plaques et commence à utiliser un fauteuil roulant dans les années qui suivent du fait de l’aggravation de ses symptômes.
À 19 ans, il devient membre du Black Panther Party et contribue à l’établissement du mouvement à Washington et aide notamment à l’organisation de la Journée de libération africaine au National Mall en 1972. L’année suivante, il déménage à Oakland en Californie, où il travaille en tant que coordinateur des relations publiques à la George Jackson Clinic, clinique des Panthers fournissant gratuitement des traitements et soins médicaux dans le cadre du programme « Serve the people ».
Il faut noter que déjà avant l’influence de Lomax, le programme et une grande partie des actions du BPP s’orientaient vers une politique du handicap, favorisant le soin communautaire dans le but de lutter contre les discriminations médicales et ambitionnant une prise en charge totale des soins pour toutes les personnes noires2. Avec notamment l’ouverture de cliniques gratuites, de stands de dépistage et de sensibilisation à la drépanocytose, un service de transport pour les personnes âgées, un projet de lutte contre l’insalubrité des logements…
Finalement, dans la mesure où le BPP était déjà ouvert sur les questions de justice sanitaire et médicale, les demandes et projets de Lomax n'entraient pas en contradiction avec la vision du collectif. Au contraire, Lomax permit d’ajouter une certaine conscience du handicap au sein du BPP et ses initiatives furent en grande partie soutenues.
Alors qu’il était en Californie depuis peu, l'inaccessibilité des transports et des infrastructures qui l’handicape dans ses déplacements l’amène à se rapprocher des mouvements pour le droit des personnes handicapées. En 1975 il contacte le directeur du Centre of Independent Living de Berkeley, Ed Roberts, et lui propose d’ouvrir un nouveau centre en partenariat avec le BPP dans l’est d'Oakland où la population est majoritairement noire.
En tant que Panther handicapé, Lomax a travaillé pour intégrer les questions politiques handies au travail du BPP en établissant des liens entre le Center for Independent Living et Donald Galloway3 . (Sami Schlack)
Finalement, après deux ans d’activité, le centre ferme ses portes faute de moyens et de soutiens suffisants. Mais cet événement ne décourage pas Lomax, qui rejoint en 1977 les mobilisations pour la promulgation de l’article 504 de l’acte de réhabilitation4 .
Le Sit-In 504

L’application longtemps retardée de cette législation historique, interdisant aux agences, programmes et activités financés par le gouvernement fédéral américain de discriminer les personnes sur la base de leurs handicap, pousse plus de 150 militant·es à occuper les locaux fédéraux du département de la santé de San Francisco afin d’obtenir enfin leurs droits.
Brad Lomax et Chuck Jackson5, mobilisent alors les membres du BPP pour soutenir l’événement : durant toute la durée du sit-in (25 jours au total), plusieurs Black Panther se chargeront d’offrir et de délivrer quotidiennement des repas à la centaine de personnes présentes à l'intérieur des locaux. Permettant ainsi à ces dernier·res de maintenir l'occupation durant plusieurs semaines.
« Sans la présence de Brad Lomax et Chuck Jackson, les Black Panthers n'auraient pas nourri les participant⋅es occupant le H.E.W. bâtiment [...] sans cette nourriture, le sit-in n’aurait pas tenu. » Corbett O’Toole6
Au-delà du soutien matériel, le BPP offre aussi la deuxième plus importante couverture médiatique au sujet du sit-in : l’hebdomadaire officiel du parti publie en moins d’un mois, pas moins de dix articles et/ou annonces sur l'événement, avec la contribution de Lomax qui fournit alors des informations sur les avancées en cours.
Après plusieurs semaines de sit-in , une vingtaine de personnes sont désignées pour se rendre à Washington afin d’échanger avec les responsables de l'administration Carter. Son billet d’avion pris en charge par le BPP, Lomax se rend alors à Washington avec d’autres représentant·es (dont des militant·es noir·es, notamment : Joyce Ardell Jackson, Chuck Jackson, Dennis Billups et Ron Washington). Sur place, le groupe conserve sa détermination et ne cède rien. Leurs revendications sont finalement entendues et le 28 avril 1977, Lomax et les autres participant·es sortent victorieu·x·ses des échanges : l’article 504 est enfin signé par Joseph Califano, le secrétaire du département de la santé.
Quelques mois après cette victoire, Brad poursuit son investissement auprès du BPP en gardant toujours en vue ses objectifs. Il souhaite notamment améliorer l’accessibilité des locaux principaux du BPP et du Oakland Community Learning Center en installant des rampes d’accès et des barres d’appuis. Il inscrit dans un de ses derniers rapport une liste de contacts de militant·es et de professionnel·les du handicap pouvant se porter volontaires pour travailler sur ces questions d’accessibilité.
En 1984, il meurt à l'âge de 33 ans, son état de santé s’étant aggravé au fil des années. Dennis Billups, militant noir ayant connu Lomax lors du Sit-in affirme :
"Je ne pense pas que toutes ses aspirations aient été réalisées, même après la manifestation [...] Il voulait vraiment obtenird avantage."7

Précurseur des Black Disability Politics
En 2020, la sortie du film documentaire Crip Camp sur la plateforme de streaming Netflix permet au grand public d’apprendre l’histoire moderne de la lutte pour les droits des personnes handicapées aux États-Unis. Ce dernier met en lumière les nombreux militant·es impliqué⋅es dans le mouvement, dont Brad Lomax qui après avoir été longtemps invisibilisé, bénéficie enfin d’une légère réhabilitation au sein de l’histoire mainstream et blanchie des luttes handies. La majeure partie des articles à son sujet suivent d’ailleurs la sortie du film, le plus notable étant celui qui lui à été dédié par le magazine The New York Times, faisant partie de la série “Overlook No More” visant à mettre en lumière les militant·es oublié·es de l’histoire.
Plus récemment, dans le livre Black Disability Politics sorti il y a un peu plus d’un an, l’autrice Sami Schlack, qui lui consacre plusieurs pages, explique vouloir « reconnaître et honorer son rôle historique important” en tant que “figure essentielle de la politique du handicap pour les handicapé·es noir·es. ».
Aujourd'hui pour beaucoup, son travail ainsi que ses engagements font de lui l’un des précurs·eur·euse·s d’un militantisme à l’intersection de la race et du handicap.
Bibliographie :
The Intersections and Divergences of Disability and Race- From The 504 Sit-In To The Present. Keith Rosenthal
Connelly, E. A. J.(2020, July 8). Overlooked no more : Brad Lomax, a bridge between civil rights movements. New York Times.
Black Disability Politics- Samy Schlack. (2020)
Lomax's Matrix: Disability, Solidarity, And The Black Power Of 504. Susan Schweik.
Cases Rebelles, septembre 2023.
Vous aimerez peut-être aussi :
- Sami Schlack, Black Disability Politics [↩]
- Lire à ce sujet Bassett MT. Beyond Berets: The Black Panthers as Health Activists. Am J Public Health. 2016 [↩]
- Donald Galloway est l'un des premiers noir·es (avec Johnnie Lacy) à occuper une position de leader au sein du mouvement Berkeley Independent Living Center (ILC) au milieu des années 1970. [↩]
- Pour en savoir plus, lire ce précédent article de Cases Rebelles sur le sujet. [↩]
- accompagnateur de Lomax et membre du BPP [↩]
- Overlooked No More: Brad Lomax, a Bridge Between Civil Rights Movements. Eileen AJ Connelly. The New York Times (2020). Corbett O’Toole est une militante blanche anti-validiste présente lors du Sit-In. [↩]
- Overlooked No More: Brad Lomax, a Bridge Between Civil Rights Movements - Eileen AJ Connelly (2020) [↩]