SÉRIE
DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°13 : le MAS
Chaque semaine, le vendredi on se propose avec la série "Des forces réactionnaires" de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.
Par Cases Rebelles
Février 2023
Il y a fort à parier que les illusions, les mirages du nationalisme révolutionnaire reviendront régulièrement dans le paysage politique d'extrême-droite. Le MAS fut pendant 8 ans l'incarnation de cette tendance en France, fortement influencée par le succès italien de CasaPound.
Le MAS : un groupe et un réseau
Le Mouvement d’Action Sociale était un groupuscule français nationaliste-révolutionnaire1 et néo-solidariste et a été fondé en 2008, notamment par le chef de file Arnaud de Robert. Son emblème était la fourmi, « symbole de la Nature, de l’Organique ». Il émane des recompositions des milieux nationalistes consécutives à la dissolution d’Union Radicale par l’Etat en 2002. Des anciens d’Union Radicale avaient fondé, après un passage aux jeunesse identitaires, l'éphémère groupuscule Pro Patria en 2008, avant de créer le MAS en 2010. Outre les recompositions des milieux nationalistes consécutives à la dissolution, la naissance du MAS vient aussi des désillusions quant à l’hégémonie du Front National et la captation des forces militantes nationalistes par ce grand parti hiérarchisé, sans que cela ne permette d’accéder au pouvoir effectif.
Le MAS a aussi été une tentative d’organisation de réseau par la mise en relation, la coordination des différentes compétences, différentes visions, différents groupes et structures sans qu’il y ait dilution, dans le parti, des composantes : Méridien Zéro (Radio), Solidarité Populaire (tri raciste des démunis auxquels sont réservés maraudes, nourritures, vêtements), éditions du Rubicon (futures Éditions Némésis), le groupe Trace (sorties randos, canoë, raquettes), la Baffe Lutécienne (cours de boxe), la Maison sociale et familiale (sorties en famille), une Amap, le Cercle Georges Sorel (conférences), les écrans dissidents (ciné-club et formation à l’image), etc.
L’organisation en réseau répond à une logique de conquête du terrain avec ancrage dans le réel et développement de l’action.
Le MAS était composé de plusieurs sections dispersées dans l’hexagone France :
- Dans le nord, par exemple, le MAS Lille s’incarnait dans le groupe Cercle Non Conforme de Lille (fortement influencé par Casapound et le blog Zentropa) qui proposait des conférences, chroniques de livres, de disques, randonnées, repas, etc. Le CNC mettait en avant la convivialité et le combat pour la culture. Dans la région du Hainault est né ensuite le Hainault Non Conforme.
- Dans le sud-ouest, on trouve le MAS Toulouse, section particulièrement active ; conférences, randonnées, activités militantes. Elle était proche de la toujours active revue Rébellion qui prône « un socialisme respectueux de l’identité de chaque peuple dans une Europe forte et consciente de sa communauté d’origine et de destin » et met en avant comme mots d’ordre « Patrie – socialisme – autonomie ». On trouve par exemple sur son site internet une interview d’Alexandre Douguine, théoricien russe d’extrême droite.
- Dans le sud-est (Marseille, Aix-en-Provence, Nîmes, Nice), c’est l’association Engarda qui portait les orientations du MAS : sport, randonnées, arts et culture.
Solidarisme et modèle italien
Le MAS hérite des courants nationaliste révolutionnaires et solidaristes de l'extrême-droite française. Ces solidarismes ont peu à voir avec la doctrine développée par Léon Bourgeois, membre du Parti Radical, dans son ouvrage de référence Solidarité (1896). Depuis la fin des années 60 une partie de l'extrême-droite s'est emparé du vocable comme le Mouvement jeune révolution qui deviendra le Mouvement Solidariste Français dont Jean-Pierre Stirbois, futur n°2 du Front National a fait partie. Et d'autres groupes organisés autour de la figure de Jean-Gilles Malliarakis : " [Il] a dirigé de nombreux groupuscules de la mouvance solidariste : Jeune Nation Solidariste, Mouvement nationaliste Révolutionnaire, Troisième Voie. L’emblème des solidaristes est le trident et leur principal mot d’ordre : « Ni Trust2, Ni Soviet »."3 Si l'on s'extirpe du symbolisme grossier et du goût pour l'oxymore, il est extrêmement vertigineux de définir précisément ces courants politiques nationalistes aux accents gauchisants, révolutionnaires qui vouent aux gémonies communisme et capitalisme et se défendaient souvent d'être d'extrême-droite.
Le MAS s’inspire aussi notablement idéologiquement de CasaPound (CP). Fondé en 2003 par l’occupation d’un immeuble à Rome qui devint le « Centre social CasaPound », CP est un groupe, une association puis un parti néofasciste italien, d’inspiration nationaliste révolutionnaire, dont le nom fait référence à Ezra Pound4. Le mode opératoire autonome des nationalistes se réclamant de l’anticapitalisme s’est déployé sur deux plans. D’un côté, les maraudes, l’ouverture de squats exclusivement réservés aux « européens de souche » ; de l’autre, la diffusion de la culture fasciste. Ces orientations se retrouvent plus tard en France dans le Bastion social.
Le MAS, dont le slogan était « social, national et radical », employait également la rhétorique de l’anticapitalisme, de la solidarité — la stratégie est de convaincre qu’il s’agit d’aide sociale aux personnes précaires, aux plus vulnérables d’une communauté sacralisée et à l’identité figée — et de l’écologie, dans une perspective révolutionnaire.
Parmi les repères théoriques du MAS, on trouve Julius Evola, célèbre théoricien fasciste italien. En faveur d’une épuration ethnique, ce dernier vouait un culte à la tradition « aryo-nordique », convaincu de la décadence du monde moderne et de l’effondrement de la civilisation européenne. Evola a été actif auprès des régimes totalitaires du 20e siècle en Europe comme ceux de Hitler et Mussolini. Il a tenté de construire une base mystique au fascisme, résumée dans le livre Synthèse de la doctrine de la race, dont voici un extrait :
A la lumière de nos remarques sur le rapport entre la race et le droit, l’institutionnalisation, pour ainsi dire, de cette élite, moins sous la forme d’une « classe dirigeante », qui se ressent de l’idéologie de formes politiques dépassées, que sous celle d’un Ordre, dans l’esprit des anciennes organisations ascético-guerrières, représenterait une autre condition particulièrement favorable à l’œuvre constructrice ; l’idéal « classique » nous invite à concevoir, comme réalisation suprême, des Chefs dont la noblesse et la pureté raciale ne le cèdent en rien à la qualification et à l’autorité spirituelle.
Anti-capitalisme réactionnaire
En 2014, lors du meeting « Réveil des nations » qui accueille une large représentation européenne — Aube dorée (Grèce), CasaPound (Italie), MSR (Espagne), Liga Joven (Espagne), Nation (Belgique), Elam (Chypre) — le MAS, toujours représenté par de Robert, fait sensation et se démarque par des prises de position en faveur de la résistance aux grands projets, de la défense de la terre et des ZAD tout en se distanciant radicalement des « guignols qui les constituent ». De Robert prend d’ailleurs position contre les forces de l’ordre. Par survalorisation, le territoire, la terre, le sol deviennent les garants de la conservation inaltérée des racines et donc d’une certaine pureté ; le régionalisme venant ici en soutien au nationalisme. Il s’agit de miser sur le potentiel réactionnaire de ces luttes tout en désignant un ennemi commun, le capitalisme, malgré des objectifs fondamentalement divergents :
Eux veulent le chaos. Ils ont toujours voulu ça. Nous on veut un ORDRE NOUVEAU. C’est ce qui va nous différencier jusqu’au bout, et c’est ce qui nous empêchera de penser la même chose à la fin, mais sur certains points leurs analyses sont justes. Et notamment sur la désignation de l’ennemi.
De la même manière, ici le discours contre l’immigration, le remplacement et la destruction des peuples européens se construit avec le refus de faire de l’islam l’ennemi pour désigner à la place l’oligarchie, les banques, etc. Ce qui, en théorie, doit permettre de récupérer les colères politiques et recruter parmi les masses imbibées de confusionnisme.
C’est en fragile équilibre sur cette ligne que des membres du MAS avaient rejoint en 2015 la mobilisation du collectif Calaisiens en colère, contre les personnes exilées vivant à Calais, avec des pancartes comme « Immigration, arme du capital ». Le collectif calaisien, une milice en réalité, s’est retrouvé à plusieurs reprises au cœur des polémiques de par la violence de ses discours et de ses actes, sans pour autant être inquiété par la justice, ou les forces de l’ordre pourtant en surnombre à Calais.
L'après MAS
Malgré l’auto-dissolution du MAS en 2016, sa radio Méridien Zéro, existe toujours. On y trouve par exemple un retour critique militant sur La manif pour tous, ou une lecture enthousiaste du livre Le Prophète assassiné de Pierre-Olivier Sabalot, écrit à la gloire de Hendrik Frensch Verwoerd, architecte de l’apartheid.
La maison d’édition issue du MAS, d’abord appelée Rubicon puis Némésis, est encore en activité et est dirigée par Thibault Philippe (ex-MAS) et Maurice Gendre. Elle avait été lancée avec la traduction du livre d’Adriano Scianca, responsable national à la culture de Casapound. Elle a publié notamment Varg Vikernes, meurtrier norvégien, célèbre pour sa carrière dans le Black Metal.
Né du MAS en 2009, la Baffe lutécienne, club sportif de sports de combats pieds-poings, existe toujours. Le club se trouve à Paris comme son nom l’indique, mais des adhérent.es développent des sessions de formation du même type en Normandie et en Lorraine. Au-delà de la formation au combat, le club permet de solidifier un réseau politique affinitaire au travers de moments de convivialité.
Arnaud de Robert est aujourd’hui impliqué dans Academia Christiana, où il est formateur et continue de développer un discours contre ce qu’il a nommé « le continuum de gestion autoritaro-libérale ». On retrouve dans la présentation d’Academia Christiana ce mélange d’ode à la patrie et la communauté sacralisée, et de discours doublé d’un appel à la justice sociale lorgnant vers l’anticapitalisme, mais traduit dans des éléments de langage complotistes comme « les puissances d’argent » et le « mondialisme » :
Conscients que le patriotisme n’est qu’un conservatisme stérile s’il n’est accompagné d’un désir de justice sociale, nous plaçons le combat contre les puissances d’argent et le désordre matérialiste au cœur de notre engagement.
En effet, pour que les hommes aient une patrie à aimer, encore faut-il qu’ils ne soient pas empêchés de s’y enraciner par un capitalisme dégénéré, réduisant l’homme à n’être qu’un consommateur nomade, vivotant au gré des opportunités professionnelles.
Rejetant dos à dos le mondialisme libéral et l’altermondialisme marxiste, deux faces d’une même médaille, nous y opposons une troisième voie défendant la créativité et les libertés dans l’ordre de la communauté.
Fidèles à notre héritage gréco-romain et à l’idéal de la chrétienté, nous revendiquons l’insolence devant ce monde vétuste et sans joie croupissant dans la contemplation narcissique de sa déchéance. Nous n’inventons rien, nous sommes de simples passeurs de flambeaux pour des âmes assoiffées de pureté.
Plus qu’une école ou un carrefour d’idées, nous sommes une communauté.
- voir Des Forces réactionnaires, épisode n°17 pour une définition du nationalisme révolutionnaire, et l’épisode n°16 sur la FANE pour le parcours de François Duprat [↩]
- Un trust est une grande entreprise qui possède une position dominante, voire un monopole au sein d'un secteur industriel. [↩]
- https://www.contretemps.eu/origines-rn-occident-fascisme-violence-vietnam-mai68/ [↩]
- Ezra Pound ( 1885 - 1972) est un poète, musicien et critique américain, apologiste du fascisme, admirateur de Mussolini et partisan d'Hitler dans les années 1930. Il sera arrêté pour trahison par les troupes américaines qui libèrent l'Italie lors de la Seconde Guerre Mondiale. [↩]