Des forces réactionnaires n°15 : Marcel Bucard et le Parti franciste français

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DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°15 : Marcel Bucard et le Parti franciste français

Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.

Série | Des forces réactionnaires

Par Cases Rebelles

Décembre 2022

Dans l'entre-deux guerres, la réaction gronde : ligues, association d'anciens combattants, royalistes, etc. Un vétéran de la première guerre mondiale, Marcel Bucard s'enthousiasme pour l'avénement du fascisme en Italie et la figure de Benito Mussolini. Il va créer en 1933 le Parti franciste français (PFF), un parti explicitement fasciste. Le francisme sera l'un des principaux partis collaborationnistes et on trouve dans ses rangs des hommes qui jouent un rôle déterminant dans l'éclosion moderne de l'extrême droite française. "Des Forces réactionnaires" : c'est le 15ème épisode.

Marcel Bucard est né en 1895. Il est sur le point de rentrer au petit séminaire quand la Première guerre mondiale débute. Il est engagé volontaire et monte au front fin 1914. Au sortir de la guerre, il est au grade de capitaine et est multi décoré. Il souffre d’une blessure à l’oreille dont il ne s’est pas totalement remis. Toujours militaire, il est affecté à la commission inter-alliée des territoires rhénans ; il quitte l’armée en 1923 à cause de la blessure.

Aux législatives de juin 1924, il est candidat malheureux dans l’ancien département de Seine-et-Oise, sur la liste d’André Tardieu du Bloc National (centre droit). Il milite un temps à la Fédération nationale catholique (FNC), un groupe de pression, exclusivement masculin, qui lutte contre la laïcité.
Le Faisceau, premier mouvement fasciste français et aussi premier à naître hors d'Italie, est fondé le 11 novembre 1925 par Georges Valois, ancien de l’Action française. L’inspiration est clairement mussolinienne. Valois rêve du fascisme comme instrument de réconciliation de la France monarchiste et du peuple héritier de la révolution française.
Marcel Bucard y est propagandiste et même chef du service de la propagande, brièvement. Mais il y intrigue surtout contre Valois pour des raisons d’idéologie, de pouvoir mais aussi d’argent, une de ses obsessions. Il conspire incessamment avec Philippe Lamour, autre membre du Faisceau, pour faire tomber Valois, l’accusant notamment de sympathies communistes.
De fait, Valois rejoindra la gauche après le Faisceau : résistant, il mourra en déportation.

Bucard est débarqué en mai 1928 du fait de sa participation à la création du journal L’Ami du Peuple par le milliardaire François Coty, qui est également propriétaire du Figaro. Coty est un nationaliste qui refuse toute forme de synthèse entre capitalisme et socialisme. Le nouveau quotidien, dont la ligne éditoriale est xénophobe, antisémite et nationaliste, entend être un contrepoids à l’influence du journal L’Humanité.
Bucard participe à la création des Croix-de-Feu, une organisation politique nationaliste composée d’anciens combattants décorés de la croix-de-feu ; il en prononce le discours de fondation en 1928.
Il suit un temps Gustave Hervé qui lui donne la direction de sa Milice socialiste nationale. Il y reste de 1932 à 1933 mais l’organisation peine à recruter des adhérents et récolter des fonds. Il part fonder le Parti franciste français non sans débaucher de la Milice un groupe qu’il associera à cette création. Le Parti franciste français ou Mouvement franciste naît officiellement le 29 septembre 1933 :

Je fonde ce jour, publiquement, un mouvement d'action révolutionnaire. Son but, c'est de conquérir le pouvoir, d'arrêter la course à l'abîme où nous emportent les luttes fratricides des partis et des classes et l'exploitation scélérate des dissentiments entre les peuples. C'est de rendre à la France le sens de la grandeur, de construire son avenir et d'établir la vraie paix. Je donne à ce mouvement le nom de Francisme.1

Le parti se définit explicitement comme fasciste et français, et revendique le modèle italien de Mussolini que Bucard adule et visite régulièrement. Le Duce lui attribuera même une subvention.
Le francisme est pensé comme la section française de l'Internationale fasciste. Le symbole — la francisque — arme de défense des Francs, représenterait l'union du paysan, de l'ouvrier et du soldat. Anti-communiste, anti-parlementariste, traditionaliste — « la famille constitue la véritable cellule sociale » — et chrétien, Bucard est l’héritier d’un nationalisme vieillot d’inspiration bonapartiste, déroulédienne, barrésienne2 , qui place l’église catholique en son cœur et est attaché au conservatisme de « La Terre ». Le dirigeant franciste est surtout tourné vers les classes moyennes, les artisans et les paysans ; sa pensée politique et son discours ne parlent que très peu aux jeunes générations, aux intellectuels et aux masses ouvrières. Son programme de justice sociale est un salmigondis d’organisation autoritaire de la production, des loisirs, d’exaltation de la fonction sociale de l’entreprise et de défense de la propriété privée. Bucard prend soin, dans son discours ouvriériste, de ne pas fermer la porte aux égarés qui se sont tournés vers le communisme :

Nous proclamons en effet, que quatre-vingt-dix fois sur cent, les causes du Communisme en France, c'est-à-dire de la rébellion contre l'ordre établi, sont parfaitement réelles et justifiées. Mais ce n'est ni par des discours, ni par des écrits, ni par la force qu'on vaincra ce Communisme ! Le Francisme entend mettre en oeuvre, sur le plan politique qui conditionne l'économique et le social, les principes de sa doctrine qui, tenant compte des faits, s'attaque à la racine du mal : il faut faire cesser les causes du mécontentement. (Marcel Bucard. Le francisme : paix, justice, ordre [1])

Et d’en appeler à la mise au travail expresse des « oisifs » et des « fainéants » sur fond de rappel du « devoir de produire ».
Bucard a beau clamer que « le vrai socialisme c’est le francisme », il masque mal ses partis pris de classe et la dimension d’apparat de son ouvriérisme. D’ailleurs les légions francistes qui portent la chemise bleue, en prétendu hommage aux ouvriers, rappellent plus les chemises noires mussoliniennes dont ils pratiquent aussi le salut à la romaine. Mais il est vrai que les hommes qui rejoignent le mouvement viennent d’horizons divers : de l’extrême droite au PCF. Il s’agit d’individus belliqueux, coutumiers de la violence politique, qui ont juré fidélité au francisme lors de leur adhésion.
C’est en Alsace-Lorraine que le parti rencontre son plus grand succès.

En 1933 naît également le Front national ouvrier paysan, groupuscule fondé par Henry Coston, qui dispute au parti de Bucard l’appellation de Franciste. Il n’existera qu’une année.
Le 6 février 1934, le jour de la grande émeute anti-parlementaire consécutive à l’affaire Stavisky3 et portée par des groupes de droite, d’extrême droite, des associations d'anciens combattants, Bucard s’abstient ; le bilan est de 12 morts le soir-même et 657 blessés.

L’inspiration italienne de Bucard fait qu’il se défend de tout antisémitisme :

De fait, jusqu’à l’avènement du Front populaire, Bucard et l’organe de son parti, Le Franciste, n’expriment que rarement des positions antijuives : il n’y a pas de « problème juif » mais un « problème métèque » (Laurent Joly. Fascisme et antisémitisme dans la France des années 1930 : une irrésistible convergence ? [2])

L’Univers israélite, journal communautaire, publie le 8 mars 1935 une lettre de Maurice Bucard qui réagit à la manière dont il a été rendu compte de la résolution sur la question juive qui a été prise au congrès fasciste de Montreux de décembre 1934. Il en avait été la rapporteur et entend s’opposer à l’idée qu’y aurait été acté un « antisémitisme à outrance ». Ses explications sont peu convaincantes :

Nous entendons faire, comme de nombreux israélites le font d’ailleurs, une distinction très nette entre les israélites patriotes qui, dans leur patrie respective, remplissent leurs devoirs de citoyens, et les métèques, c’est-à-dire les sans-patrie qui n’ont qu’un but : « exploiter ».

À l’avènement du Front populaire, le Parti franciste est dissous sur décret du cabinet Blum. À ce moment-là, le parti ne regroupe que 5 000 hommes contre 250 000 pour Doriot et son Parti populaire français (PPF) (Cf. Des Forces Réactionnaires, 3e volet).
Bucard s’enfonce dans l’antisémitisme mais se présente d’abord comme « contre-sémite ».
Après la dissolution, il fonde l’Association des Amis du Francisme (1936-1937) puis le Parti unitaire français d’action socialiste nationale en 1938. La même année, il publie L'Emprise juive.

La guerre arrive. Bucard part de nouveau au front et il est encore médaillé. Après la capitulation, Pétain reçoit Bucard en février 1941 mais cette rencontre n’est suivie d’aucun effet. Le 5 mai 1941, le Parti franciste est tout de même relancé avec l’accord des autorités de Vichy et du Maréchal ; Bucard est accompagné par Paul Guiraud, agrégé de philo et fils du rédacteur en chef de La Croix, qui devient numéro 2 du parti et théoricien de l’ombre. Mais à Paris, les collaborationnistes Marcel Déat et Jacques Doriot mobilisent d’une manière qui laisse peu d’espace à Bucard, condamné à demeurer à la troisième place des partis collaborationnistes. Celui-ci n’est pourtant pas inactif :

Avec l’aval des autorités allemandes, Bucard disposait d’une milice privée, la « Main bleue », présentée comme un groupe d’autodéfense armé et entièrement dévoué à son chef : on lui impute plusieurs assassinats, des rixes, des violences et des actes d’intimidation aussi bien contre des policiers que des commerçants.4

En juin 1944, alors que le débarquement a eu lieu et que la libération approche, Bucard réunit à la Mutualité à Paris cadres et délégués du Francisme de la région parisienne. Il déclare que le francisme révolutionnaire ne saurait être attentiste et enjoint ses militants à s’engager dans les Légion des volontaires français (LVF), la Waffen SS, Kriegsmarine, N.S.K.K. (organisation paramilitaire du parti nazi), formations spéciales de la Wehrmacht, etc.
Le 4 juillet 44, lors d’un cambriolage chez un bijoutier juif, un des gardes du corps de Bucard fait feu sur des policiers ; l’un meurt, l’autre est blessé. Marcel Bucard est brièvement incarcéré mais libéré par l’entremise d’Otto Abetz, ambassadeur du Troisième Reich à Paris durant l'occupation, grand persécuteur des populations juives.
À la fin de la guerre, Bucard est arrêté en Italie alors qu’il fuit vers l’Espagne. Jugé, condamné, il est exécuté le 19 mars 1946. Son comparse Guiraud, qui a été arrêté lui aussi, sera gracié.

Les héritiers du francisme : Pierre Bousquet, qui déposa les statuts du Front national (FN) en 1972 avec Jean-Marie Le Pen, avait adhéré en 1935 au Parti franciste et occupe en 1941 le poste de délégué général du bureau de commandement de la Jeunesse Franciste. Il sera également membre de la Waffen SS.
Pierre Sidos, futur co-fondateur de Jeune nation, porte-parole d’Occident, fondateur de l’Oeuvre Française, ex de l’OAS, a été cadet du francisme à partir de 1943. (Cf Des Forces Réactionnaires, 2e volet.)

SOURCES :

[1] « Le francisme : paix, justice, ordre » par Marcel Bucard. Date de publication inconnue
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5651045q/f2.item.texteImage

[2] Laurent Joly.  Fascisme et antisémitisme dans la France des années 1930 : une irrésistible convergence ? In: Revue d’histoire moderne & contemporaine 2015/2-3 (n° 62-2/3), pages 115 à 136.
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1956_num_6_1_402674

Alain Deniel. « Bucard et le francisme : les seuls fascistes français, Paris, Jean Picollec, 1979.
▶ https://excerpts.numilog.com/books/9782864774907.pdf

« Procès d'un collabo », Fiction de Vincent Hazard pour Affaires sensibles.
https://www.vincenthazard.com/2020/12/03/ma-fiction-bucard-proces-dun-collabo-sur-france-inter/

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  1. Extrait du discours prononcé sous l’Arc de Triomphe par Marcel Bucard. []
  2. d'après Paul Déroulède ( 1846-1914) et Maurice Barrès (1862 - 1923), écrivains et militants politiques français, figures de proue de la droite nationaliste. []
  3. crise politico-économique survenue en janvier 1934 en France, suite au décès dans des circonstances mystérieuses d'Alexandre Stavisky, escroc responsable de malversations financières montées avec la complicité de nombreuses relations dans les milieux de la police et de la justice. []
  4. Frédéric Charpier. Les plastiqueurs : Une histoire secrète de l'extrême droite violente, 2018. []