SÉRIE
DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°5 : L’agression négrophobe du match du 6 mai 2018.
Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.
Par Cases Rebelles
Février 2023
Depuis au moins un demi-siècle, la négrophobie et le racisme s'expriment dans les stades de football européens tandis que les réactions des clubs et des dirigeants se cantonnent souvent au silence complice, aux accusations d'exagération ou à la condamnation tiède ces dernières années, en parallèle d'affaires particulièrement choquantes au plus haut niveau (FFF, Laurent Blanc, Willy Sagnol...) Coéquipiers et dirigeants de club exigent même parfois des victimes le silence, les dissuadant de se défendre sur le terrain ou d'entreprendre des poursuites contre les agresseurs. Un documentaire ou quelques articles ne suffiront à changer cette réalité. L'affaire dont nous vous parlons cette semaine nous semble symptomatique de cette négrophobie endémique sévissant à tous les niveaux du football, pro comme amateur.
Le récit
Dès le coup d’envoi les joueurs de Mackenheim jouent un jeu dur particulièrement dirigé contre les joueurs noirs de Benfeld, repérés au match aller. Les contacts vont se faire de plus en plus violents et accompagnés de diverses insultes négrophobes et de menaces. Peu avant la fin de la première mi-temps Moudi Laouali reçoit un coup au genou, il est poussé à terre et un joueur de Mackenheim lui marche volontairement sur la cheville. S’en suit une commotion entre joueurs. C’est le signal.
« Très vite, des gens sont sortis du public pour se ruer sur les joueurs noirs de notre équipe. Ils étaient comme fous. Le temps que je me rende sur le terrain pour les séparer, beaucoup de coups avaient été échangés déjà. » raconte Jean-Michel Dietrich, président de l’AS Benfeld. Les joueurs sont frappés et insultés. Des couteaux de cuisine ont jailli. Kerfalla Sissoko sera le moins chanceux. Il se retrouve au sol frappé par un groupe d’environ 5 personnes ; tout le stade est témoin. Quand le capitaine et l’entraîneur parviennent jusqu’à lui il est en train de convulser et d’avaler sa langue ; c’est l’entraîneur qui le sauve avant de le placer en position latérale de sécurité.
Consciencieux, l’arbitre assène 4 cartons rouges, deux pour des joueurs de Mackenhein, les deux autres pour Benfeld, dont un pour Kerfalla Sissoko encore inconscient. Les secours sont appelés par la secrétaire de l'AS Benfeld. Personne d’autre ne s’en soucie. Le coach de Benfeld est encerclé par trois hommes et est sommé sous la menace d’effacer les vidéos qui figurent sur son téléphone. Quand les gendarmes arrivent en même temps que les pompiers, les supporters s’enfuient. Les gendarmes n’emmèneront personne. Le président du club est choqué par l’absence totale de réaction côté Mackenheim ; le staff se contente de s’entretenir longuement avec l’arbitre. Après ce terrible match, les responsables de l’équipe ne prennent aucune nouvelles des joueurs blessés, ne présentent aucune excuse. Ils se fendent d’un communiqué gravissime qui dément toute attitude raciste et condamne « ces actes de violence malgré le fait que nos joueurs ne soient pas les seuls coupables (sic). »
L’affaire judiciaire
Dès les événements, Kerfalla Sissoko et ses deux coéquipiers noirs ont déposé plainte à la gendarmerie de Marckolsheim pour violences et injures racistes. Le dimanche suivant le match, Jean-Michel Dietrich est convoqué à la gendarmerie parce que le club de Mackenheim l'attaque pour diffamation suite au post facebook sur lequel il dénonçait les événements. Il est fiché et la police le contraint de retirer son post. Il sera effectivement poursuivi, passera au tribunal en mars 2019 mais il est relaxé en mai de la même année.
Du côté des instances du foot...
Le jeudi 24 mai 2018, le district d’Alsace de la Ligue de football amateur du Grand-Est suspend quatre joueurs pendant 10 matches deux de l’AS Mackenheim et deux de l’AS Benfeld, Kerfalla Sissoko et Moudi Laouali, qui se sont fait taper après avoir été insultés. La LAFA parle de « bagarre » entre 4 joueurs… Mackenheim invoque des joueurs aux noms étrangers dans son équipe pour réfuter l’accusation de racisme et le pire c’est que ça fonctionne, d’autant plus que l’arbitre dit n’avoir rien entendu. Il est reproché à Kerfalla de ne pas avoir signalé ces propos racistes pendant le match et pour finir le président de la commission de discipline déclare que il est le seul à les avoir entendu ces propos racistes et décrète que «le racisme est devenu accessoire dans cette affaire». En dépit du fait qu’un des joueurs agresseurs, le capitaine de l’équipe a déjà été suspendu pour violences. Le 23 août 2018, la délégation alsacienne de la Ligue du Grand-Est de football amateur confirme la condamnation de deux joueurs de Benfeld et de deux joueurs de Mackenheim à 10 matchs de suspension.
Pour ce qui est de la justice pénale Kerfalla Sissoko et Moudi Laouli sont convoqués devant le tribunal correctionnel de Colmar le mardi 28 janvier 2020. En effet, les joueurs de Mackenheim ont porté plainte et Kerfalla et Moudi sont accusés comme deux autres joueurs de l’équipe d’en face de « violences en réunion » ! Les investigations qu’on imagine consciencieuses de la gendarmerie de Marckolsheim ont complètement éludé le caractère raciste de toute l’affaire. Fin novembre 2020, Kerfalla Sissoko et son coéquipier Laouli sont relaxés par le tribunal correctionnel de Colmar. Deux footballeurs de Mackenheim sont condamnés à 1 000 euros d’amende avec sursis. Le caractère raciste de l’affaire n’a absolument pas été retenu par le tribunal : seulement 4 témoins du côté des victimes ont été auditionnés contre 24 côté agresseur. Le spectateur ayant poursuivi Kerfalla Sissoko avec un couteau de cuisine a été auditionné sans être mis en examen. Sans surprise, l’affaire toute entière aura été une parodie de justice.