Fatou DIENG est la sœur de Lamine Dieng qui a été assassiné par la police du XXème arrondissement le 17 juin 2007. Elle est membre du collectif Vies Volées (fondé par Ramata Dieng) et du comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng, ainsi que du Réseau d'Entraide Vérité et Justice au sein duquel elle travaille activement à la mise en place d'un pôle consacré à la prise en charge des souffrances mentales liées aux violences d'État.
Comment as-tu vécu le moment, les jours où tu apprends la mort de Lamine ? Qu’est-ce que tu te formules psychologiquement et qu'est-ce que tu perçois chez les autres membres de la famille ?
J'essayais, on essayait d'être dans le déni au moment où on a appris. Tant qu’on n’avait pas vu le corps, j’étais plutôt dans ce déni en espérant que cela ne soit pas lui. Je crois qu’on était tou·te·s dans cet état de flottement : on faisait les choses machinalement… tout en pensant que ça n’était pas lui… Le fait de prendre du recul là-dessus et d’être dans le déni, peut-être que ça nous a permis de faire les choses impératives dans les premiers instants, aller prospecter un avocat, porter plainte, se constituer partie civile. Peut-être que oui : c’est le déni qui a dû nous faire tenir pour qu’on puisse passer toutes ces étapes-là.
C’est vrai qu’on était dans l’incompréhension. On n’était pas dans une réalité, parce qu’on n’était pas du tout prêt·e·s à ça. On ne s’attendait pas du tout à ça. Vu comment ils nous ont expliqué les choses… Bizarrement, personne ne croyait à cette version. Malgré tout ce qui nous a été dit, on doutait peut-être un petit peu, mais il y avait toujours la raison qui venait. C’est comme si le mensonge était trop gros. Il y a quelque chose qui a fait qu’on s’est dit : « Non, ce n’est pas possible, il faut qu’on en sache plus. »
Le moment où on pensait vraiment à notre souffrance, c’est une fois qu’on avait quitté tout le monde : quand on finissait le boulot, etc. Quoi qu’il arrive, on se rejoignait toujours chez les parents, pour justement soutenir nos parents, pour se retrouver entre nous. On avait besoin de ça, pour réfléchir ensemble, pour s’organiser ensemble pour s’informer ensemble. Ce n’était même plus la maison familiale, c’était devenu une espèce de QG, un lieu de rencontre, avec les militant·e·s aussi ; c’était là-bas que tout se passait. C’était ça le plus important.
Notre souffrance, c’était quand on évoquait certaines choses, quand on voyait les yeux de notre mère, la couleur qui changeait, son expression qui changeait… On était plus affecté·e·s par ça parce que ça nous renvoyait à la réalité. Une fois que chacun·e rentrait chez soi, c’était… Se retrouver seul·e, ça c'était compliqué, parce que là on était vraiment plongé·e·s dans la réalité, à se dire qu’il ne reviendra plus et qu’on avait besoin de comprendre : on avait reçu trop d’informations en même temps qui pouvaient nous faire douter de qui il était… C’était aussi l’idée qu’on avait de la police. Quand je dis nous faire douter, on se disait : « Oui, peut-être que ce qu’ils ont dit, c’est la vérité ? » Mais il y avait toujours ce petit truc qui nous disait : « Non, c’est pas possible, il y a quelque chose qui ne va pas. Ce n’est pas possible du tout. »
Même les plus jeunes qui étaient là autour de nous… Elles étaient là, elles ne comprenaient rien. Que ce soit K. qui avait 12 ans, Kh. qui avait 10 ans. Peut-être qu’elles savaient, oui, ce qu’était la mort sans se la représenter. Même en tant qu’adulte, tu ne peux pas te représenter la mort. On a tou·te·s vu le corps mais il n’y a pas eu de contact, c’est-à-dire il n’y a pas eu de toucher. Pour moi c’est comme s’il était endormi. Comme je n’ai toujours pas pu aller me recueillir sur sa tombe au Sénégal et que je n’avais pas assisté à l’enterrement c’est comme s’il était juste parti pour un long voyage. C’est pour ça que je dis que même les adultes ne peuvent pas se représenter la mort. Donc pour des gamines, c’est pire. Elles savaient. L’une savait que son frère était mort. L’autre savait que son oncle était mort. Après, c’était les questions sur le pourquoi du comment. Nous-mêmes, nous étions là avec nos questions.
Elles étaient à nos côtés mais je pense qu’on n’était vraiment pas disponibles psychiquement pour elles, vraiment pas...parce que c’était des va-et-vient dans tous les sens, du bruit dans tous les sens, il y avait de l’agitation.
À quel moment tu t’es dit qu’il y a des silences qui n’avaient pas été abordés, qu’il y a des choses qui n’avaient pas été prises en charge ?
Il y a en a même jusqu’ à aujourd’hui, presque 14 ans après. Je me dis qu’on n’a pas été considéré·e·s. On n'a pas été conseillé·e·s par ceux/celles qui auraient dû le faire. Ceux/celles à qui on s’attendait, c’est-à-dire le gouvernement, le public...
Les militant·e·s qui venaient nous voir ou même des collègues, des proches nous ont toujours dit : « Peut-être qu’il faudrait que vous alliez consulter, parce que ce sont des choses traumatisantes. » Jusqu’à aujourd’hui, je me dis qu’on a besoin de consulter. Ce n’est pas seulement dans l’instant, c’est un suivi qui doit se faire à long terme.
À quel moment tu te formules qu’il y a un impact psychologique considérable ?
La façon dont ça nous a été annoncé : comme si on n’était pas des humain·e·s, nous balancer ça comme ça ! Rien que ça, simplement. Ne même pas se soucier de savoir si dans la fratrie, il y a des personnes fragiles ou pas, s’assurer que la personne qui a pris l’appel au moment de l’annonce était capable, prête pour entendre ça, sans préparation. Rien que là, déjà, il y avait eu un mépris et une nouvelle violence qui s’était imposée à nous, qu’ils nous ont fait subir. J’ai pris conscience de ça par rapport à notre mère, tout simplement parce que c’est humain ! On se dit que d’arracher la vie d’un autre humain, c’est traumatisant, c’est douloureux ! Même le fait d’apprendre qu’une personne est décédée, moi ça m’affecte même si je ne connais pas la personne, parce que ce n’est pas dans le cours des choses qu’un·e humain·e tue un·e autre humain·e. Surtout venant de policier·e·s.
En voyant notre mère qui était obligée d’aller voir son médecin pour se mettre en arrêt maladie, qui était obligée d’être sous médicaments pour pouvoir remonter la pente, là tu te dis qu’effectivement, il faut quelque chose... Qu’on puisse se retrouver face à un⋅e professionnel⋅le qui nous explique ce qui nous arrive, nous explique que c’est normal qu’on soit en colère, en souffrance ; que ce soit douloureux. Qu’il/elle nous explique simplement comme ça se passe le deuil, par quelles étapes on passe. Ou comment ça a été construit sur du mensonge. Pour nous l’impact, c’est comment ils nous prennent, comment on est considéré·e·s. On vient de perdre quelqu’un. Ce n’est pas un animal qu’on a perdu — même pour un animal, on a de l’empathie. Là, c’était vraiment une deuxième mort. Nous traiter comme des moins-que-rien, on n’était pas des humain·e·s : on pouvait tout supporter, on pouvait venir et nous balancer ça comme ça, c’était normal ; alors que non, ce n’est pas normal.
Depuis le départ, on pensait à un suivi. J’ai plus pris conscience de ça au moment où j’ai commencé à travailler dans un CMP en 2011, en étant avec des psychologues, en étant au courant de la situation de patient·e·s qu’on recevait, en ayant un minimum d’informations sur le traumatisme. Du fait que quand on perd un proche, que ce soit une grand-mère ou autre, d’une maladie, que cela soit lié à l’âge ou à un accident, on sait que c’est difficile. Dans notre situation, c’est pire encore. De ce côté-là, j’ai pris conscience qu’il fallait vraiment un suivi. Je savais où aller chercher, on se disait : « Quand tout cela sera fini », mais qu’il fallait qu'on ait un œil quand même sur les parents, sur les autres membres de la fratrie, sur ma famille.
On ne se l’est jamais autorisé, en se disant : « Bon là il va falloir qu’on aille consulter. » On s’est toujours dit : « Une fois que la lutte sera terminée », « une fois qu’on aura obtenu justice ». Au bout de 14 ans, même s’il y a eu la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, pour moi en tous cas, ce n’est pas une justice. Pour moi la justice, c’est l’enfermement, que la loi soit appliquée à hauteur du crime. C’est ça rendre justice — tout le monde peut avoir une interprétation, une représentation de « rendre justice » différente de la mienne.
Est-ce que quelqu'un dans la famille a eu recours à un suivi psychologique ?
Notre mère, ce n’était pas un suivi psychologique, c’était son médecin traitant. C’était lui qui la suivait depuis un petit moment, comme tout le monde. C’est lui qui a été au courant qu’elle avait perdu un fils, qui lui a dit qu’il faudrait de l’aide, notamment en lui prescrivant du Lexomil. Et comme notre petite sœur est dans la santé, on a fait en sorte qu’elle ne soit pas dépendante de ça, qu’elle puisse trouver du réconfort autrement que par les médicaments : elle était en arrêt maladie et par moment, après leur service, ses collègues de travail venaient lui rendre visite pour essayer d’aller faire un tour dans le quartier. On a préféré ça plutôt que le côté médicament.
Sinon mon père… Non. Il faut voir que dans la famille, on n’est pas très expressif·ve·s au niveau de nos émotions. Dans les familles africaines, les pères surtout n’ont pas pour habitude de montrer de faiblesses entre guillemets. Donc, que ce soit filles ou garçons, j’ai l'impression qu’on a tou·te·s été structuré·e·s comme ça.
C’était difficile. Il fallait qu’on ne tombe pas dans cette dépression, qu’on ne tombe pas dans quelque chose qui puisse nous affaiblir. On était plutôt dans cette optique-là, jusqu’à se censurer quand on commence à aborder certains souvenirs et qu’on sait que ça va se terminer en larmes. Chacun·e se préservait et préservait les autres. On ne voulait pas voir l’autre pleurer, ça pouvait nous déstabiliser. Ça faisait aussi effet de structure : s'il y a une pièce qui est enlevée, tout le reste s’écroule. Donc il fallait qu’on tienne, qu’on ne s’effondre pas.
Je pense que tout ce qui était émotions, souffrances, inconsciemment on l’a mis de côté. On le faisait en silence, à l’abri des un·e·s et des autres ; ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pouvait s’autoriser un moment de « faiblesse », un moment de pleurs. De toute façon, tu ne peux pas retenir les larmes.
Personne d’autre n’a fait de suivi. J’ai travaillé longtemps auprès de psychologues et j’en parlais sans non plus faire vraiment d’analyses ou de suivi. J’ai fait un suivi pour autre chose qui n’avait rien à voir ; c’était pour de la violence conjugale. C’était tombé au même moment. Dans le cadre de la procédure, j’avais été orientée vers l’aide aux victimes, j’ai pu faire quelques séances, j’ai pu parler du meurtre de Lamine sans trop m’étaler dessus. Après je n’ai pas poursuivi. La procédure était finie et voilà.
Aujourd’hui, même si on conseille toujours aux autres victimes ou familles de victimes de ne pas négliger ce côté psy, nous-mêmes nous ne l’avons toujours pas fait ! Peut-être qu’aussi c’est une façon de se soigner, pour nous. Mais jusqu’à quand ? C’est ça la question. À défaut d’être face à un psychologue, on préfère peut-être faire de la prévention, conseiller, mettre cet outil-là en place pour que les victimes puissent avoir un accès à un suivi psychologique et être face à des professionnel·le·s en adéquation avec ce qu’on traverse. Mais pour nous, non, on ne se l’est toujours pas autorisé.
Est-ce que tu arrives à t’expliquer pourquoi tu ne te l’es pas autorisé ? Est-ce que ça a un rapport avec le fait de ne pas être reconnu·e·s comme victime·s ?
Nous, on a été reconnu·e·s comme victimes. Lamine a été reconnu comme victime mais pour ça, il a fallu qu’on aille jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Mais il y a certaines victimes qui n’ont pas ce statut de victime. Quand on prend le cas des mutilé·e·s, des blessé·e·s qui ont besoin de soin, il n’y a pas de remboursement au niveau des mutuelles, faute d'avoir ce statut de victimes. Donc ça veut dire que même ça aussi, c’est important pour accéder aux soins. Peut-être que c’est pour ça aussi que certain·e·s ne se l’autorisent pas, je ne sais pas. Nous, on peut le faire, on a ce statut-là ; peut-être qu’on n’est pas prêt·e·s encore.
On peut bien évoquer des choses, être au courant des choses mais si nous ne sommes pas prêt·e·s psychiquement, on ne le fera pas. Pour nous qui avons aujourd’hui le statut de victimes, je pense que c’est un choix de ne pas s’autoriser ce suivi. Mais qui sait, peut-être qu’on préfère attendre de mettre quelque chose en place par nous-mêmes. Peut-être que ça, ça pourrait nous encourager, par le biais de ce projet qu’on a toujours eu au sein du collectif Vies Volées de mettre en place un pôle psychologique, pour de l’entraide psychologique, pour un groupe de paroles ; qu’on puisse s’exprimer entre victimes sans jugement, qu’on puisse mettre des mots sur ce qu’on traverse, qu’on puisse échanger des procédés pour arriver à surmonter telle ou telle étape, période de la vie, que ce soit les dates d’anniversaire, de naissance, les dates de commémoration ou d’autres souvenirs. Peut-être qu’on se l’autorisera une fois qu’on aura mis en place ce pôle psychologique ; oui, je pense.
Je te dis ça mais peut-être que demain, je serais prête et je me dirais : « Là, il va falloir ». Peut-être qu’on n’a pas trouvé encore le déclic, on se dit encore : « Ça va on arrive à gérer, on arrive à faire avec. » Malgré ça, on sait au fond de nous, on sait que non. On s’en rend compte par rapport à la relation qu’on peut avoir avec l’autre. Des fois c’est des moments de tristesse, il y a beaucoup de moment d’isolement, beaucoup de moment colère aussi. À la longue ça peut être invivable pour des personnes qui sont proches de nous, des ami·e·s, dans nos couples, la relation dans la fratrie ou dans la famille, dans la relation de parents à enfants.
Dans notre documentaire « Dire à Lamine » , tu parles de ce que le trauma change aussi dans ton rapport au quartier, de comment tu te sens quand tu vas chez tes parents...
Il y a quelques heures justement, on avait prévu de faire une séance de collage dans le quartier pour annoncer la journée d’hommage à Lamine le 19 juin. J’avais déjà cette appréhension, je me disais que j’allais aller dans le quartier. Pourtant, j’étais déjà passée dans le quartier, je n’ai pas eu ce sentiment-là.
Là, j’appréhendais d’y aller et de coller ces affiches-là. Parce que ça va me replonger encore dans la réalité, de savoir que ce collage, on le fait parce que Lamine n’est plus là.
C’est vraiment ce genre de petites choses. Même simplement quand j’ai vu l’affiche et que j’ai vu ce mot « hommage à Lamine » et que j’ai vu « exposition, discours », je crois qu’il avait un autre mot… c’était les mots « hommage » et « mémoire » qui m’ont chamboulée, bouleversée. En plus, quand tu regardes cette affiche et que tu vois à la fin qu’il y a la photo de Lamine, c’est bizarre, ça te met dans une sensation bizarre comme si c’était un deuxième enterrement. Comme si là c’était fini et qu’il fallait lui dire au revoir. Donc c’était vraiment compliqué.
On est obligé·e·s de vivre avec ce genre de sensations, d’émotions. Tu passes par toutes sortes d’émotions : il y a la tristesse, la douleur, la colère, la culpabilité.
C’est tout ça tout ça qui te traverse aussi au moment où tu dois participer à un évènement, où tu dois prendre la parole aussi, parce qu’ il faut que tu te contiennes. Si tu ne te contiens pas, tu peux sortir quelque chose qui peut être dur à entendre, blessant à entendre, même horrible. Il faut que tu essayes de faire corps avec toi-même, de te contenir pour sortir un discours potable, entendable. C’est vraiment tout ça qui est difficile. Je le ressens à chaque fois, toujours. Accompagné de tremblements. Tu sens que tout est au niveau du ventre. Tu es là, tu te bats avec toi-même pour sortir quelque chose qui soit équilibré, qu’il n’y ait pas de désordre. Tu le ressens aussi dans la prise de parole de beaucoup de familles de victimes ou de blessé·e·s, tu sens cette colère. Lors des prises de paroles, tu vois, parce que tu entends la voix qui tremble, tu entends ces pauses, tu ressens cette colère-là.
Tu deviens hypersensible aussi, parce que tu perçois, tu aspires comme une éponge toute cette douleur, toutes ces souffrances. Tu as même l’impression avec certains frères qui sont au devant de la lutte, tu sens cette colère. Donc même s’il y a majoritairement des femmes, des sœurs, des mères, des veuves qui portent le combat, on sait que c’est pour la mémoire de ces frères, de ces fils ou des ces maris. On se bat pour ces hommes-là de la famille, tout en prenant soin de ces hommes qui sont là aussi dans la lutte. Ils se voient à travers ce frère-là, ils se représentent plus facilement que nous. Nous, nous nous représentons petite sœur ou grande sœur, c’est le côté maternel. Tandis qu’eux sont déjà cible, ils se disent : « Ça a été lui mais ça aurait pu très bien être moi, parce que nous représentons le même profil vis-à-vis de l’État et des forces de l’ordre. » Du coup, ils ressentent la douleur multipliée, comparé à nous, parce qu’eux c’est vraiment dans la chair, en se disant : « Ça aurait pu être moi » et parce qu’ils ont été confrontés aussi à cette violence. Il y a de la culpabilité aussi : « Peut être que ça aurait dû être moi et pas lui. Pourquoi c’est lui ? C’est moi qui aurais mérité ça. » En tant que sœur, on se bat pour la mémoire de nos frères qui sont partis mais on veille également sur ces frères qui sont dans la lutte. C’est encore un truc qui peut être dur à porter. C’est vraiment très très dur à porter.
Est-ce que tu aimerais ajouter quelque chose ?
Même si on n’aura jamais justice à la hauteur du crime, il faut quand même continuer la lutte. La lutte prend le dessus sur tout, mais il ne faut pas négliger sa vie. Il faut continuer à mener sa vie.
On ne peut pas faire de pause parce qu’eux n’attendent pas qu’on soit prêt·e·s. Au niveau de la justice, il y a des procédures avec des dates limites. Il faut suivre le dossier juridique et faire attention aux dates limites. On peut par moment vouloir faire une pause pour x raisons, pour se reconstruire, c’est très important. Mais au niveau judiciaire, il n’y a pas de pause. Eux peuvent se permettre de faire des pauses, pour des vacances, pour prendre leur temps, pour faire traîner les choses. À partir du moment où il y a une date limite, pour nous, il ne faut pas qu’on la rate ; parce que si on décide de faire une pause pour x raisons, on ne peut pas revenir sur le dossier juridique.
Dès qu’on sent le besoin, la nécessité de se faire suivre psychologiquement, que ce soit pour soi-même ou les membres de la famille, il faut se l’autoriser aussi. Souvent on entend dire : « On n’a pas trop le temps parce qu’il y a trop de démarches, il y a le travail, il y a la vie familiale aussi. » Mais ce temps-là, il faut se l’autoriser. Il faut faire la démarche par soi-même d’aller prospecter les psychologues jusqu’à ce que l’on tombe sur le bon, sur celui avec lequel le feeling passe. Il faut vraiment le faire, il ne faut pas négliger ce côté-là. C’est ça que j’aurais à conseiller.
C’est au même niveau que la procédure judiciaire. C’est important parce qu’on on ne sait pas combien de temps va prendre la procédure judiciaire. On ne peut pas se dire : « On n’a pas le temps » ou bien : « On va attendre que la procédure judiciaire se termine », « on va attendre d’obtenir justice pour faire ça. » Non ! Parce qu’on ne sait pas comment la justice va traiter le dossier, on ne ne sait pas à quelle justice on va avoir droit.
Pour pouvoir continuer à suivre, pour pouvoir continuer à se mobiliser, il faut un suivi psychologique parce quoi qu’il arrive, ce qui nous arrive on ne peut pas l’effacer, il faut qu’on apprenne à vivre avec. Il faut qu’on soit prête·s psychologiquement et psychiquement pour affronter le dossier juridique, pour affronter toute la criminalisation qui va se faire autour de la victime et de sa famille. Tout ça, ça a de l’impact psychologique donc la santé mentale, il ne faut pas la négliger non plus.
Interview réalisée par Cases Rebelles en juin 2021.