« Les Cacos » de Jean Métellus. Portrait de révolutionnaires haïtiens

Publié en Catégorie: CARAïBES

Les Cacos sont des paysans révolutionnaires Haïtiens du Nord ayant émergé en groupes divers dans la deuxième moitié du 19e siècle. Ils sont un peu les homologues des « piquets » du sud, paysans insurgés dans les années 40 autour de Jean-Jacques Acaau. Mais c’est vraiment pendant l’occupation US que les Cacos prirent toute leur ampleur historique et légendaire :

Par leur bravoure, leur ténacité et leur dévouement indomptable à la cause de la libération du pays, les cacos ont représenté sous l’occupation,“ l’expression la plus héroïque et la plus achevée de la conscience nationale.”
(…) Qui sont les cacos ? Des paysans que l’enrôlement périodique dans les armées révolutionnaires a politisé à sa façon. Braves, hirsutes et terribles, ils sont parfois réputés des “ sans mamans ”. Pilleurs à l’occasion, mais le plus souvent soldats au service d’une cause, ils inspiraient de la frayeur aux élites possédantes de Port-au-Prince qui associaient leur image à celle de la “ terreur caco ”. Les Américains les appelleront des “ bandits ”. Pour l’histoire haïtienne, ce sont eux qui vont pratiquement monopoliser la résistance armée consciente et délibérée à l’Occupation nord-américaine.1

Les faits historiques

En juillet 1915, le gouvernement étatsunien et son président Woodrow Wilson, prennent le prétexte mensonger d’une situation chaotique en Haïti pour faire envahir l’île par 330 Marines. Officiellement il s’agit d’une intervention visant à rétablir l’ordre et à protéger des intérêts et des ressortissants menacés. Les États-Unis qui lorgnent sur Haïti depuis des décennies ont enfin trouvé l’excuse pour prendre pied à long terme dans ce lieu stratégique des Caraïbes.
Depuis son indépendance gagnée de haute lutte et proclamée en janvier 1804, Haïti fait face à des forces contre-révolutionnaires à l’intérieur, de par ses composantes les plus bourgeoises, promptes à s’allier aux étrangers. Étrangers qui à l’extérieur n’ont pas abandonné leurs visées impérialistes, d’autant plus que le spectacle d’une nation noire autonome dérange.

En imposant par la force en 1825, sous la menace de ré-invasion, une facture de 150 millions de francs supposée compenser les déficits des esclavagistes, la France négocie une paix qui lui assure la mainmise sur l’économie haïtienne. Cette facture devient donc une dette injuste entraînant des emprunts à taux faramineux. Les États-Unis pour qui Haïti incarne le cauchemar de l’abolition refusent de reconnaître l’État haïtien et lui imposent un embargo qui permettra une gestion néo-coloniale du commerce à leur total avantage.
Les projets d’invasion étatsuniens datent de plusieurs décennies avant 1915. En 1868, le président Andrew Johnson souhaitait l’annexion de l’île d’Hispaniola, c’est-à-dire Haïti + la République dominicaine, pour assurer une base américaine économique et militaire aux Antilles. De 1889 à 1891, le secrétaire d’État James Blaine planchera aussi, sans succès, sur un projet de base navale.

C’est par la banque que les États-Unis vont prendre vraiment pied en Haïti. La première banque haïtienne, la Banque Nationale de la République d’Haïti, chargée d’administrer le trésor haïtien, avait été créée en 1881 avec un capital français mais quand elle fait faillite en 1910 c’est la National City Bank of New York, et donc les États-Unis, qui prend le contrôle de la Banque Nationale et par conséquent de la trésorerie haïtienne. Pour enfoncer le clou, l’administration Wilson enverra des Marines en Haïti dérober 500 000 dollars de la Banque nationale d’Haïti en décembre 1914 et les mettra en lieu sûr à New York.

Mais les velléités impériales US ne s’arrêtent pas là et sont incarnées par Roger L. Farnham, président de la National City Bank of New York, de la banque nationale haïtienne, et du chemin de fer haïtien. Il souhaite que les États-Unis puissent contrôler les frais de douane pour s’approprier les revenus qui en découlent et presse le gouvernement en brandissant la menace d’une invasion allemande. Depuis le milieu du 19e les États-Unis appliquent la doctrine de Monroe, qui sous couvert de défense de la liberté des peuples contre les colonialismes européens, vise en fait à favoriser le colonialisme étatsunien.

En Haïti les américains craignent effectivement et principalement les allemands, très impliqués dans l’économie locale. Certains ont même épousé des femmes haïtiennes pour contourner l’interdiction faite aux étrangers de posséder des terres depuis l’indépendance.
En 1915 donc, le président Jean Vilbrun Guillaume Sam, au pouvoir depuis quelques mois, est pro-américain et il est soupçonné de vouloir signer un traité sacrifiant aux américains toute autonomie, notamment les fameux droits de douane (traité d’ailleurs rédigé depuis 1914 par les américains). Il doit faire face à une révolution populaire menée par Rosalvo Bobo, leader politique clairement anti-impérialiste, à la tête d’une armée de paysans révolutionnaires armés, des cacos. Une répression terrible provoque la colère du peuple et accélère la chute de Vilbrun Guillaume Sam, traqué puis exécuté le 27 juillet. Ce sera donc ça le fameux chaos qui entraînera l’invasion dès le lendemain, le 28 juillet, d’un pays parfaitement calme qui s’apprêtait à prendre Bobo pour président.

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L’amiral Caperton, responsable militaire de l’invasion la légalise par un décret qui prive les haïtiens de toute indépendance politique et forme un gouvernement pro-américain avec Sudre Dartiguenave à sa tête, écartant volontairement Bobo. La Convention haïtiano-américaine prévoyait aussi la création d’une gendarmerie haïtienne, composée essentiellement d’étasuniens et d’Haïtiens et dirigée par les Marines ; ce seront les troupes de la répression. La loi martiale est déclarée. Et la liberté de la presse est explicitement attaquée.
L’occupation est marquée par le racisme, des agressions permanentes, des agressions sexuelles contre les femmes haïtiennes, des arrestations, de la torture et des exécutions arbitraires, l’éviction des haïtiens des postes décisionnels, et l’imposition d’un régime de travail forcé. Elle est aussi marquée par une forte émigration haïtienne à Cuba et en République dominicaine pour travailler dans la canne.

 

À l’arrivée des américains les Cacos se replieront à l’intérieur. La résistance sera courte en raison de la disproportion des armements. Leur activité déclinera au bout de six mois, même s’ils resteront fidèles à Rosalvo Bobo désormais exilé de force. Des leaders cacos signeront même des accords de désarmement mais les Cacos n’étant pas un corps d’armée officiel et unifié ces signatures ont une valeur limitée.

En 1918, la résistance caco va regagner en ampleur. Le gros de la lutte se situera de 1919 à 1920, opposants des paysans déterminés, maîtrisant l’espace mais armés de machette et de fusils dépassés avec peu de munitions, à des soldats suréquipés, ayant parfois recours à l’aviation. Au Nord, Charlemagne Péralte, originaire de Hinche, leader caco charismatique avec Benoît Batraville de l’Artibonite, organisera même un gouvernement provisoire ayant pour but de jeter les américains à la mer. Une offensive sur Port-au-Prince échouera en Octobre 19. On trouve des infos divergentes sur l’ampleur de cette armée caco : Peralte revendique 30 à 40 000 partisans quand les américains font état de « 2000 bandits » comme ils les qualifiaient. La mort de Peralte suite à une trahison puis celle de Batraville dans les mêmes conditions quelques mois plus tard entraînera l’affaiblissement puis la fin des combats en 1920. Le bilan humain est de plus de 2000 morts haïtiens contre moins de 20 Marines américains.

Le livre de Jean Métellus

Jean Métellus est né à Jacmel en 1937, il quitte Haïti pour la France en 1959 à l’aube de la dictature duvaliériste. Il y fera des études de médecine et deviendra neurologue. Sa première œuvre sort en 1978 : « Au Pipirite chantant » un recueil de poèmes. Suivront ensuite d’autres recueils, des romans, des essais et du théâtre.

« Les Cacos » est un livre publié en 1989 chez Gallimard, à la veille d’une nouvelle intervention américaine en Haïti :

Si je l’ai écrit, c’est pour servir la mémoire… parce que nous, les Haïtiens, nous ne connaissons pas suffisamment notre histoire ni l’histoire de nos relations avec notre grand voisin ; je pense que c’est une histoire qu’il fallait éclaircir… surtout à une période où le retour des Américains en Haïti semblait imminente. Et effectivement, les Américains sont revenus huit ans après pour remettre de l’ordre dans le pays, comme ils l’avaient déjà fait en 1915. J’ai voulu rappeler ce qui s’était passé jadis pour que l’on n’entre pas tête baissée dans une nouvelle occupation. Mais en 94, les Américains sont arrivés…2

« Les Cacos » est un passionnant roman historique, facile à lire qui nous éclaire sur cette longue et humiliante occupation. Pour l’écrire Métellus s’est abondamment documenté auprès de Roger Gaillard, auteur de « Les Blancs débarquent », de Jean Desquiron, Jean Fouchard, René Piquion.
Le héros principal des Cacos, Alexandre Basalte est largement et précisément inspiré du charismatique Charlemagne Péralte. Mais Métellus déploie toute une galerie de personnages féminins et masculins captant tour à tour l’œil du lecteur.
Métellus s’applique à faire vivre et ressentir la réalité de l’occupation américaine, la violence, le racisme, les enjeux politiques et les perceptions de la population. Avant de creuser l’histoire haïtienne pour présenter le roman je trouvais la narration de Métellus un peu embrouillée ; je dois reconnaître maintenant que c’est totalement dû à la complexité historique et à mon manque total de repères concernant cette période.

La langue et l’écriture sont un peu trop académiques, le créole est souvent absent et les dialogues font parfois complètement irréalistes. Métellus tend aussi à psychologiser exagérément et à se laisser dépasser par son activité de médecin-neurologue. Ça donne des considérations complètement déplacées sur la perception… Si on ajoute à ça qu’il occulte ponctuellement la question raciale, on a parfois l’impression de lire un roman très français, très classique et très savant ; ce que cherche sans doute un peu l’auteur.
Pourtant, à d’autres endroits il transcende largement cette sensation d’extériorité un peu hautaine et bavarde. Parce qu’au fond sa narration se noue par les tripes au souffle des cacos, aux désirs non négociables d’émancipation, au cœur du peuple, et souvent l’émotion guide ses descriptions de la vie haïtienne :

Le livre de Métellus présente d’abord un grand intérêt pour qui veut comprendre l’histoire d’Haïti, marquée par l’ingérence à répétition et le fléau de dettes injustifiées.
Mais ce long épisode haïtien est largement emblématique et annonciateur des stratégies qui seront appliquées tant en Afrique qu’en Amérique pour faire en sorte, à coups de dettes et d’interventions, que les territoires qui furent colonisés aient toute la peine du monde à relever la tête.
Au 19e siècle, les Américains parlaient au sujet d’Haïti d’incapacité congénitale, voire raciale à se diriger soi-même. Ce qu’on constate encore aujourd’hui c’est une incapacité viscérale des puissances occidentales à ne pas re-coloniser, intruser, manipuler, exécuter ; une incapacité viscérale à respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais ça Haïti, qui fut première à en payer le prix, l’a su bien avant les autres…

 Charlemagne Péralte fut attaché mort sur une porte le 1er novembre jour des morts et une photo fut prise pour être distribuée largement à la population. Ceci eu l’effet de transformer le héros populaire en martyr christique, qui plus est mort à 33 ans.  Ces restes furent déterrés en 1935 après le départ des américains et il eut droit à des funérailles nationales.

Cases Rebelles

 (À écouter dans l’émission n°17).

  1. Leslie Manigat, L’Amérique latine au XXe siècle 1889-1929, 1991. []
  2. http://motspluriels.arts.uwa.edu.au/MP1300metellus.html []