Depuis 2014 les portraits qu’il dessine apparaissent fréquemment dans les manifestations, sur les murs de villes étasuniennes, et sur la toile : visages de victimes hispaniques et noires de violences policières, unifiés par un dessin stylisé et expressif, accompagnés de messages appelant à la justice et au souvenir. La force de ces portraits s’étend aujourd’hui bien au-delà de la Bay Area (Califormie), où vit le talentueux, généreux et humble artiste Oree Originol. Nous avons interviewé celui qui nous a inspiré le projet « 100 Portraits ». Il nous raconte ici les débuts de son engagement artistique, et la naissance et l’évolution de Justice For Our Lives, son projet de portraits. Il revient également sur le reste de son activité artistique.
C.R.: Comment tu as commencé à dessiner ? Qu’est-ce qui t’a donné l’envie? Avec quelles techniques as-tu commencé ? Et quelles ont été tes influences? Ayant grandi à Los Angeles, comment ont joué pour toi les « murals »1 et la culture chican@?
OREE ORIGINOL: Je me souviens enfant d’être vraiment très intéressé par le dessin. Je ne sais pas vraiment comment je me suis mis à dessiner mais ça vient certainement du fait d’avoir été exposé aux activités artistiques assez tôt à la maternelle ou à la maison. Mes premiers souvenirs c’est de toujours gagner des concours de dessin à l’école primaire. Quand j’ai découvert mes capacités et mon intérêt pour l’art j’ai réalisé que j’étais destiné à vraiment en faire mon métier. J’ai commencé à dessiner enfant. En autodidacte. À la maison je n’ai jamais eu la place de me faire un atelier de peinture, donc je dessinais sur du papier ou je faisais du graffiti dans la ville jusqu’à ce que je parte de chez mes parents en 2009. J’ai grandi dans un petit quartier majoritairement mexicain au nord-est de Los Angeles, mais je ne peux pas dire que la culture Chican@/Mexicaine se reflétait dans l’art du quartier, jusqu’à avoir une influence sur moi. C’était beaucoup plus subtil que dans les quartiers Est de L.A. avec toutes ces fresques2 . En grandissant, je me suis surtout identifié comme Chicano à travers la culture des gangs de L.A. Je n’ai jamais rejoins le gang mais j’ai grandi avec tous les membres dans mon quartier. La musique qu’on écoutait, le style vestimentaire, la façon de communiquer, et le graffiti et cette culture dans sa globalité m’a révélé qui j’étais en tant qu’artiste chicano et finalement activiste comprenant la lutte en tant que non-blanc3 .
Pourquoi tu as déménagé dans la Bay Area ?
Je travaillais à la librairie Imix à Los Angeles. C’est là que j’ai rencontré quelques membres du collectif Trust Your Struggle qui a fait une expo là-bas en 2008. On est devenuEs amiEs et un an plus tard je me suis monté à San Francisco pour la première fois pour aller à une de leur expositions. Je suis tombé amoureux de la Baie, et finalement j’ai déménagé à Berkeley quelques mois plus tard avec l’objectif de développer une carrière artistique dans un environnement qui apportait du soutien et basé sur la communauté. Je suis entré comme stagiaire à la galerie Pueblo Nuevo à l’ouest de Berkeley, qui est l’endroit où j’ai en définitive fait ma première expo solo de peinture, « Origin » en 2012. C’est là que ma carrière artistique a pris son départ.
Comment est né le projet Justice For Our Lives ? Comment s’est-il répandu ?
J’ai assisté à la veillée annuelle pour Oscar Grant le 1er janvier 2014 à la station de la BART Fruitvale à l’Est d’Oakland. Le lieu où Oscar Grant a été abattu de dos par l’officier de la BART Johannes Mehserle. Ça engendrait encore de nombreuses manifestations à l’époque où j’ai emménagé dans la Baie. Quand je suis rentré de la veillée, je me suis senti inspiré pour créer un portrait et le partager en ligne comme une manière d’honorer son nom à l’anniversaire de sa mort. J’étais déjà inspiré par #BlackLivesMatter qui existait depuis environ 5 mois à l’époque, et aussi par Melanie Cervantes & Jesus Barraza, des artistes/activistes locaux qui produisaient déjà leurs propres séries de portraits de personnes tuées par la police. Mon approche a été de réaliser ces dessins comme modèles de base et de les offrir en ligne gratuitement, que des individuEs n’importe où dans le monde pourraient télécharger, reproduire, et partager. Les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial en fournissant une plateforme qui permette à des gens de s’intéresser à mon travail, ce qui a mené à des milliers de partages en ligne. Depuis la première fois que j’ai vu mon travail repris à San Francisco pour Alex Nieto, ça a suivi à New York, Chicago, en Arizona, à St Louis, et aussi à Toronto au Canada et à Paris en France.
Qu’est-ce que tu ressens dans les moments où tu dessines les victimes ?
Il n’y aucune satisfaction à créer le portrait de quelqu’unE qui a été tuéE par la police. J’aimerais qu’il n’y ait pas besoin d’un projet comme celui-ci, mais malheureusement la police continue à tuer des gens impunément. D’un autre côté, je me sens aussi honoré et j’aborde ce travail avec beaucoup de responsabilité en regard de la profonde émotion des familles des victimes. Depuis l’utilisation du portrait d’Alex Nieto à San Francisco, d’autres familles de victimes de la Baie ont commencé à me demander des dessins également. Après avoir été très investi presque 3 ans histoire tragique après histoire tragique, j’ai réalisé que ce travail avait finalement un effet sur la santé mentale s’il n’était pas mené de manière approprié. Il y a une profonde dépression latente à être si concentré sur la violence qui s’est ajoutée à la dépression dans ma vie en général. J’y travaille encore à ce jour. Cette lutte est nécessaire mais j’ai compris que c’est toujours important pour nous activistes de maintenir un équilibre dans nos vies quotidiennes pour nous permettre de ne pas nous effondrer. En même temps nous avons la volonté de sacrifier un peu de nous-mêmes si nous voulons un jour créer le changement dont nous avons si désespérément besoin.
Tu es moins connu que tes portraits, comment vis-tu ça ?
L’intention dans le projet était de donner de la visibilité aux personnes qui ont été injustement tuées par la police. Les médias mainstream peignent des images criminalisantes de ces victimes qui continuent de promouvoir des récits racistes et des stéréotypes qui maintiennent nos communautés dans l’insécurité face à la violence de la police. La popularité de mon nom est moins importante que la popularité des noms de Korryn Gaines, Mario Woods, Rekia Boyd, Loreal Tsingine, ou Idriss Stelley afin que personne d’autre ne devienne connuE à cause d’un autre crime policier. Lorsque j’ai commencé ce projet, je signais pas les dessins parce que je ne pensais pas continuer et en faire un projet. À mesure que ça c’est développé, je ne signais toujours pas parce que d’autres personnes collaient mes portraits dans la rue et je ne voulais pas risquer de problèmes si jamais la police décidait de me remonter jusqu’à moi. Finalement, après m’être battu pour soutenir financièrement ce projet, j’ai réalisé qu’apposer mon nom sur ces dessins était impératif si je voulais bénéficier d’opportunités qui pourraient élever le niveau d’engagement avec ce projet et la communauté. Depuis j’ai modifié tous les dessins sur le site web pour y ajouter mon nom pour que la question de « qui est l’artiste qu fait ça? » ne se pose plus. Comme je continue à créer des portraits, à les exposer dans des évènements artistiques, et participe à des manifestations, les gens commencent à réaliser de plus en plus que je suis l’artiste derrière ces dessins, ce qui me m’offre plus de possibilités de donner de l’ampleur à ce travail et d’être autonome en tant qu’artiste en activité, ce qui est la principale raison de chercher une reconnaissance pour un travail artistique.
Peux-tu nous parler de tes autres projets?
Je me considère avant tout comme un peintre mais étant donné le succès du projet Justice For Our Lives ça finit par m’occuper plus que les autres projets que j’aimerais développé également. Quand j’ai commencé, je n’envisageais pas du tout que ça devienne un projet, ni d’y consacrer autant de temps et d’énergie. Depuis que #BlackLivesMatter a été fondé en 2013, et les révoltes de Ferguson l’année suivante, les questions des inégalités raciales et des violences policières sont passées au premier plan dans ce pays. Ayant créer cet art comme un outil culturel, je sens qu’il est de ma responsabilité de profiter de ce moment de transformation sociale pour documenter et changer les mentalités des générations futures à propos de la valeur des vies noires et pour abolir l’État policier qui n’a jamais été mis en place pour protéger les communautés non-blanches. Je comprends que ces problématiques ne vont pas être réglées d’ici peu alors je m’engage à continuer ce projet tant que ce sera nécessaire. Je n’ai pas réussi à consacrer un temps plus considérable à des nouvelles peintures ou à développer mes compétences dans d’autres médias mais ça reste une partie de mes projets pour le futur. De temps en temps je travaille à la commande pour des dessins ou des peintures, mais je veux vraiment réaliser une série de peintures abstraites et les exposer à un moment en 2017. J’aimerais montrer mon travail à L.A. où je n’ai pas eu vraiment l’occasion de le faire en tant qu’artiste. Je suis confiant, les choses vont commencer à s’ouvrir dans ce sens d’ici la fin de l’année.
Tu nous a inspiré le projet des 100 portraits, ça te fait quoi ?
Waouh ! Je ne m’attendais pas du tout à ce que Justice For Our Lives inspire un autre projet du même style. Je suis content de voir des artistes dans d’autres endroits du monde s’impliquer pour la fin du racisme et de la violence d’État. Si mon art a quelque chose à voir avec l’inspiration que trouvent d’autres artistes pour devenir engagéEs à quelque niveau de que soit, alors je dirais que mon travail a atteint son but, comme le travail d’autres artistes qui étaient avant moi et d’autres encore. La raison pour laquelle j’ai commencé à faire de l’art comme une forme d’activisme vient d’avoir été inspiré par d’autres artistes/activistes qui ont apporté une valeur de transformation sociale à leur art, au-delà de l’art pour l’art. L’art visuel joue un rôle majeur dans le développement d’un mouvement pour n’importe quelle cause parce que ça donne un visage à notre lutte avec lequel on peut s’identifier. Je me suis inspiré en retour des 100 Portraits dans le temps que ça a pris de réaliser autant de portraits et aussi la façon dont la présentation de ces dessins a été organisée à la 9ème commémoration de la mort de Lamine Dieng. Super boulot !
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Interview réalisée par Cases Rebelles en Septembre 2016
Big up! et merci chaleureux à Oree Originol !