Pour Babacar, Rennes, Maurepas, samedi 4 décembre

Publié en Catégorie: POLICES & PRISONS, SANTE LUTTES HANDIES ET PSY

babacar_gueyeTexte prononcé le samedi 4 décembre à Rennes à l’occasion de la commémoration pour Babacar GUEYE. Merci à Awa et au collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye de nous avoir proposé de prendre la parole.

Babacar avait besoin d’aide le 3 décembre 2015, et c’est la police qu’on lui a envoyée. Babacar GUEYE était en crise, en détresse mentale. Il avait besoin d’aide et ce sont des hommes armés qu’on lui a envoyés : on lui a envoyé la mort !
La police, la justice et certains médias ont fait du récit de sa souffrance un récit criminalisant afin de  justifier son assassinat.

Babacar est mort comme de nombreuses autres personnes en crise ou dont le comportement a été interprété comme « anormal » par les forces de l’ordre à l’intersection du racisme, de la psychophobie et des violences d’État.
En France, on peut citer par exemple Mohamed DIAB (1972), Mohamed SAOUD (1998), Abdelhakim AJIMI (2009), Mohamed BOUKROUROU (2012) — pour qui la France a été condamnée à la CEDH tout comme pour Mohamed SAOUD. On peut citer Mehdi FARGHDANI (2016), Godefroid DJINEKOU, et la liste est bien plus longue.

Selon les statistiques officielles, 4 des 11 personnes décédées en garde à vue en 2013-2014 au Royaume-Uni étaient personnellement concernées par des questions de santé mentale, et 7 sur 15 l’année précédente1 .
En Allemagne, une étude du Tageszeitung a établi que sur les 74 personnes abattues par des tirs de police entre 2009 et 2017, 38 étaient « atteintes de troubles psychiatriques »2.

À l’intersection de la psychophobie, de la violence d’État et du racisme on trouve les violences policières mais aussi les violences carcérales. Les détenu·e·s sont souvent délaissé·e·s du point de vue des soins psy ou sont confronté·e·s à des pratiques lourdes et archaïques. Ils/elles sont, en fonction de leur état psychique, plus vulnérabilisé·e·s et plus exposé·e·s aux violences diverses de l’institution carcérale.

Plus l’accès aux soins en santé mentale est compliqué pour les personnes pauvres, précaires, pour des personnes exilées déjà chargées des traumas du voyage, plus le risque de criminalisation, d’arrestation violente, d’enfermement en prison, en CRA, en institution psy s’accroît.
Dans les institutions psychiatriques, la menace de l’isolement et de la contention pèse de toutes ses forces. En 2016, le rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté signalait une recrudescence de ces pratiques, accompagnée bien entendu de multiples atteintes aux droits fondamentaux des personnes soignées et de mesures profondément attentatoires à leur dignité.

Où est la solution ?
Aux États-Unis, dans certaines villes des policiers reçoivent des formations « Mental Health Training » ou suivent des programmes de CIT (Crisis Intervention Team) pour intervenir auprès des personnes psychiatrisées, handies,  neurodivergentes, des personnes en crise, et adopter des approches basées sur la désescalade. Malgré cela, des policier·e·s formé·e·s tuent. Pralith PRALOURNG par exemple, en 2012, a été tué par une policière qui avait suivi une telle formation.

En France, dans l’affaire qui a mené à la mort de Serge PARTOUCHE à Marseille en 2011, la transmission d’informations a converti « autiste »  en « handicapé mental » sur la fiche de poste, puis a été traduit par « individu dangereux » par l’opérateur s’adressant aux policiers.

C’est ainsi que fonctionne la psychophobie, suivant l’équation souffrance mentale ou neurodivergence = criminalité, maintes fois réactivée par les responsables politiques dans la presse. Elle se manifeste notamment dans l’appareil de flicage qu’est Hopsyweb, fichier dédié au suivi informatisé de patient·e·s hospitalisé·e·s sans consentement en psychiatrie, dont le croisement avec celui des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste est désormais appliqué et a été validé par le Conseil d’État.

En août 2021, un homme de 60 ans, bipolaire, en pleine crise de décompensation, avait disparu du domicile et était recherché par ses proches. C’est en appelant la gendarmerie que sa fille a appris qu’il avait été arrêté, placé en garde à vue, jugé en comparution immédiate et incarcéré. Personne n’avait été prévenu. Aucun·e soignant·e n’avait constaté alors, qu’il s’agissait d’une personne en souffrance, incapable par exemple de penser à prévenir ses proches ou de désigner un·e avocat·e. Le cauchemar ne s’est pas arrêté là puisque malgré les tentatives de prise de contact de la famille avec la prison, malgré les informations qu’elle a transmises, il a été violenté à plusieurs reprises par les matons — ce que la famille a appris plus tard à travers la presse et un tract profondément déshumanisant du syndicat FO-Pénitentiaire. Ce n’est que tardivement qu’il a été transféré dans une unité hospitalière spécialement aménagée pour prendre en charge des personnes détenues souffrant de troubles psy. Sans surprise, il n’y a eu aucune excuse de l’administration pénitentiaire.3

Les exigences brutales de soumission de la police et des matons, leurs comportements, sont en totale contradiction avec ce dont ont besoin des personnes en souffrance mentale, en crise, handies, neurodivergentes, ou dans un état modifié par des produits. Tout ce registre d’interaction contribue à augmenter l’anxiété, l’angoisse, le stress, l’incompréhension qui vont pourtant souvent être interprétés par les agents intervenant au travers d’un prisme unique : le refus de se soumettre.

À Marseille, en septembre, des contrôleurs de la Régie des Transports Métropolitains ont étouffé Saïd M’HADI, qui était handi, au prétexte qu’il aurait voulu se soustraire à un contrôle. Mort pour un ticket de métro donc, et surtout parce qu’il s’est retrouvé face à des individus incapables d’interpréter son comportement hors des grilles policières de l’obéissance, de la soumission et de la rébellion.

Même si nous nous battons pour l’accès aux soins en santé mentale de manière inconditionnelle pour quiconque se trouve sur le territoire français, quelle que soit sa situation financière, administrative, géographique, toutes les personnes neurodivergentes n’en sont pas moins terriblement à la merci des interprétations autoritaires de toutes les polices du contrôle des corps.

Il est important de continuer à s’organiser pour des gestions communautaires, collectives et militantes de l’accès à des soins en santé mentale respectueux des individu·e·s. Il est impératif de développer des solutions alternatives aux services classiques d’urgence en cas de crise, parce que le risque d’intervention violente, voire fatale, des forces de l’ordre est toujours présent.
Il est important que soient prises en main collectivement les souffrances mentales qui naissent de la précarité, de l’exil, du racisme.
Il est aussi capital que soient dites, entendues, prises en charge les souffrances mentales de toutes les victimes de violence d’État, les blessé·e·s, les proches de personnes décédées, et toutes les personnes poussées à bout par les harcèlements policiers et carcéraux, comme cela s’organise notamment dans le Réseau Entraide Vérité et Justice .

Il faut tout cela et bien plus encore en attendant l’abolition de la police et de la prison que nous appelons de nos vœux.

Justice pour Babacar GUEYE. Force à Awa, à toute la famille de Babacar et au collectif Justice et Vérité pour Babacar Gueye. Force à toutes les familles et justice pour toutes les victimes !

Police, prison, abolition !!

ParoleBabacar

Cases Rebelles

 

  1. House of Commons, Home Affairs Committee – Policing and mental health, Eleventh Report of Session 2014–15 []
  2. https://basta.media/en-allemagne-la-moitie-des-personnes-tuees-par-la-police-atteintes-de-troubles []
  3. https://oip.org/temoignage/jai-eu-des-nouvelles-de-mon-pere-malade-par-la-presse-avant-den-avoir-par-la-prison/ []