Rafiki, de Wanuri Kahiu

Publié en Catégorie: TRANS & QUEER LIBERATIONS

Rafiki, de Wanuri Kahiu

Rafiki de Wanuri Kahiu est un film enchanteur dans sa beauté et son apparente simplicité. La réalisatrice adapte la nouvelle de l’auteure Ougandaise Monica Arac De Nyeko Jambula Tree qu’elle transpose au Kenya. Avec une économie des mots et un scénario assez sobre, Rafiki porte à l’écran cette histoire d’amour entre deux adolescentes. Les deux amoureuses, filles de deux opposants politiques en pleine campagne, ne sont pas sans rappeler Roméo et Juliette. Mais malgré la promesse de la catastrophe imminente la réalisatrice raconte une autre histoire : le rapprochement romantique de deux adolescentes en tâtonnements et délicatesses. Elle fait confiance à sa narration pour évoquer, sans énonciation supplémentaire, le réel et toutes les rigidités sociales qui entourent les deux adolescentes : sexisme, lesbophobie, etc. Les jeunes filles se trouvent à un carrefour de leur existence et discutent de leurs études par exemple, de leurs elles aspirations professionnelles, mais elles ne mentionnent jamais le fait d’être lesbienne (ou bi on ne sait pas) : elles évoquent leur amour et surtout le vivent. La force du film est là aussi : il montre comment cette histoire pourrait être belle et anodine s’il n’était pas question d’une relation lesbienne menacée de toutes sortes de répercussions négatives.

Wanuri Kahui mise sur l’intelligence du silence, et ça fonctionne, qu’il s’agisse des silences de Kena face aux réflexions homophobes de ses amis ou des silences qui tissent la complexité de ses relations avec son père.
L’espace du film est aussi assez restreint : c’est souvent le quartier et quelques intérieurs ; des appartements, l’église, une boite de nuit, etc.
Il n’y a pas de visite touristique de Nairobi. En dehors d’une petite tentation clipesque initiale, le film est porté par une belle photographie animée de couleurs pop, vives, chatoyantes. En leitmotiv des plans vers le haut partagés entre le ciel et les immeubles disent l’urbain, entre autres choses. On apprécie aussi l’inventivité pour suggérer l’intimité : celle des conversations de Kena et Ziki, celle des corps.

Dans l’ensemble tout est subtil, et la réalisation des scènes de violence est impressionnante et exemplaire : refus du voyeurisme, intelligence et maestria.

Rafiki ne se laisse jamais happer ni par la tragédie, ni pas l’optimisme béat. C’est le film d’une réalisatrice qui n’entend pas défoncer les portes mais toucher, troubler. En cela aussi il s’agit d’un film d’amour, l’amour des siens malgré tout. On entrevoit des parents complexes, qui font avec ce qu’ils sont, avec ce qu’ils peuvent et les
injonctions de la société. Il y a un joli goût d’inachevé. De possible.
D’absence de définitif. Les proches, aussi décevants soient-ils, sont sommés de se débattre avec la réalité de cet amour lesbien.

On regrettera le colorisme qui a prévalu à la caractérisation genrée. Kéna la plus foncée est plutôt « masculine » alors qu’en face Ziki affiche une « féminité » marquée. C’est d’autant plus gênant que la nouvelle Jambula Tree ne fait pas allusion à leurs couleurs de peau et que l’actrice qui joue Ziki semble toujours plus claire dans le film qu’elle ne l’est en réalité. Même si dans le scénario la couleur de peau fait aussi référence à la différence de classes sociales, cette association masculinité/peau foncée est éminemment problématique à plus d’un titre. On regrettera aussi certains personnages caricaturaux, comme les deux super-méchantes fines comme des sorcières de chez Walt Disney, qui aplatissent le réel et forcément enlèvent une part de surprise au scénario.

En dépit de ces petits défauts, Rafiki est à impérativement voir.
L’aura d’homonationalisme qui entoure sa sortie peut gêner. « Ovationné à Cannes et interdit au Kenya » clament les affiches du pays de la manif pour tous. Que dire à celles et ceux qui pensent sauver des vies avec ce genre d’attitude ? Que dire à celles et ceux qui considèrent le film avec suspicion du fait de cet homonationalisme ? De se décentrer peut-être …

Cases Rebelles (Septembre 2018)