Solidarité Handie : Compléter la «Vision pour des Vies Noires »

Le 7 Septembre, le collectif Harriet Tubman publiait la déclaration Disability Solidarity: Completing the “Vision for Black Lives”. Ce texte (en anglais ici), rédigé par un groupe d’activistes HandiEs/SourdEs NoirEs des États-Unis (traduit ici avec l’autorisation du collectif) réagissait à l’effacement intégral dans la plate-forme de la coalition nationale d’organisations noires Movement for Black Lives du validisme et de l’audisme qui jouent pourtant un rôle déterminant das la violence d’État, et notamment policière, qui touche les NoirEs. Ce texte est important non seulement pour les États-Unis mais aussi en France où la police tue par exemple des personnes en crise ; le 3 décembre à Rennes nous commémorerons Babacar GUEYE tué de 5 balles alors qu’il était en crise, et que c’est les pompiers qui avaient été appelés. Ce n’est qu’un cas parmi d’autres. Il faut reconnaître et nommer le validisme, l’audisme dans la violence d’État mais aussi dans les mouvements militants qui omettent ces dimensions. 

Harriet Tubman Collective

Représentant pas moins de vingt pour cent de la population des États-Unis, les personnes handies constituent le plus grand groupe «minoritaire» du pays. Et de manière notable, parmi les différentes catégories raciales socialement construites, la communauté Noire est la plus concernée – avec près d’un quart de sa population ayant une forme de handicap.

Et pourtant, le 1er Août 2016, le Movement for Black Lives1 (le « Mouvement ») a publié une plate-forme politique révolutionnaire résumant la vision du Mouvement sur ce qui est nécessaire pour construire un monde plus juste pour « toutes les personnes noires » sans mentionner une seule fois le handicap, le validisme, l’audisme ou la violence indicible et la mortalité Noire qu’on trouve à l’intersection du validisme, de l’audisme, et de la négrophobie2. La plate-forme en six points, qui a été soutenue ou approuvée par plus de cinquante organisations de partout dans le pays, a déclaré, en partie :

Nous croyons à la valorisation des expériences et du leadership des NoirEs les plus marginaliséEs… Nous sommes déterminéEs à faire résonner l’expérience spécifique de la violence d’État et de violence genrée à laquelle sont confrontéEs les queers NoirES, les trans, les personnes au genre non conforme, les femmes et les personnes intersexes. Il ne peut y avoir de libération pour touTEs les NoirEs sans se centrer et se battre pour celles et ceux qui ont été marginaliséEs. Nous espérons qu’en travaillant ensemble pour créer et amplifier un programme commun, nous pourrons continuer à progresser vers un monde dans lequel l’humanité entière et la dignité de toutes les personnes sera reconnue.

Et la plate-forme continue en proposant de nombreux changements cruciaux à la façon dont le gouvernement et ses institutions traitent les NoirEs, fournissant un cadre pour lutter contre de nombreux systèmes d’oppressions vécues par les NoirEs aux États-Unis et à l’étranger.

Beaucoup, cependant, se sont demandé pourquoi le handicap avait été effacé de cette plateforme, pourquoi le validisme, l’audisme avaient été ignorés, surtout compte tenu du rôle décisif que tout cela joue dans chaque institution désignée par le Mouvement comme pourvoyeuse de violence contre les corps noirs et les communautés. Plus précisément, beaucoup ont été déconcertéEs par la façon qu’avait un mouvement dont l’objectif principal est de mettre un terme à la brutalité policière, de complètement ignorer la violence subie par les NoirEs HandiEs et les personnes Sourdes alors que les statistiques prouvent qu’au moins 60-80% des personnes assassinées par la police sont, en fait, des personnes HandiEs et/ou SourdEs3.

Voici encore quelques éléments parmi de nombreux autres sur la manière dont les NoirEs HandiEs sont disproportionnellement touchéEs par la violence de l’État:

  • Les personnes handicapées sont deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté parce que la pauvreté fonctionne comme une cause et une conséquence du handicap ;
  • Les enfants handiEs entrent dans le système judiciaire pour mineurs 5-6 fois plus que les jeunes qui ne sont pas handicapés, avec 65% des garçons et 75% des filles en détention pour mineurs ayant au moins une maladie mentale, et jusqu’à 85% des enfants en détention pour mineurs ayant au moins un handicap ; et
  • 55% des prisonniers d’État de sexe masculin et 73% des prisonniers d’État femmes ont un problème de santé mentale, alors que seulement 1 sur 3 prisonniers en centre de détention et 1 sur 6 détenus en maisons d’arrêt reçoivent un traitement pour leur maladie depuis leur admission.

Dans chacune des statistiques fournies ci-dessus, les NoirEs et les autres personnes racisées sont scandaleusement touchéEs de façon disproportionnée. En effet, les normes sociales validistes criminalisent souvent l’existence de handicaps tels que la schizophrénie, l’autisme, les troubles oppositionnels avec provocation, et les handicaps de développement et intellectuels. Sans aucun doute, les NoirEs avec ces handicaps et d’autres sont particulièrement vulnérables aux rencontres injustes avec les autorités scolaires, les agents de police et le système judiciaire pénal.

De nombreux leaders NoirEs SourdEs/HandiEs – particulièrement celles et ceux qui ont donné leur temps et leur talent au Mouvement pour les Vies Noires – ont remarqué cette absence et nous croyons que cela reflète des problèmes plus vastes de validisme et d’audisme au sein du Mouvement. Nous, signataires, réuniEs sous le nom de coalition du Collectif Harriet Tubman, sommes ici pour rappeler au Mouvement que la libération ne viendra jamais sans le mise au centre délibérée de la narration Noire HandiE/Sourde et de notre leadership. Nous le savons parce cela n’a jamais été fait.

Nous avons compris, sur la base de notre communication avec certains des rédacteurs du Mouvement, qu’au moins une personne que le Mouvement identifie comme handiE était a participé à la rédaction de cette plate-forme politique. Cependant, le Mouvement ne s’est pas connecté dans le processus d ‘élaboration avec les militantEs auto-identifiés NoirEs HandiEs/SourdEs, les bâtisseurs communautaires, ou les militantEs de terrain qui participent activement à une lutte contre la violence vraiment intersectionnelle. Cela a conduit à faillite global du Mouvement pour ce qui était de répondre adéquatement aux inégalités, à la violence et l’oppression spécifique qui existe à l’intersection de la Négritude et du Handicap et/ou de la Surdité.

Cette absence et l’effacement de l’expérience des NoirEs HandiEs/SourdEs était apparente dans les pôles majeurs de la plate-forme : fin de la guerre contre les NoirEs, les Réparations, investir-désinvestir, justice économique, contrôle de la communauté, et pouvoir politique. Le manque de compréhension de l’expérience des NoirEs HandiEs/SourdEs s’est de surcroît manifesté par l’utilisation du terme «différemment capable», qui est considéré comme offensant au sein des communautés handiEs. L’expression «différemment capable» suggère que nous sommes le lieu de notre handicap alors que nous sommes, en fait, handicapéEs par des barrières sociales et institutionnelles. Non seulement ce terme est offensif, mais il réifie également la marginalisation à laquelle les Noirs HandiEs/SourdEs font face régulièrement de la part de et au sein de nos propres communautés et des institutions oppressives d’État.

Si une position politique fidèle doit être prise au sujet de l’expérience Noire, c’est une grave injustice et une insulte de mettre de côté le sort des communautés noires HandiEs et Noires SourdEs. Cette plate-forme et ce travail sont totalement incomplets si le handicap n’est pas présent. Sans aucun doute il n’y a jamais eu de mouvement réussi sans notre leadership, et aucun mouvement ne peut réussir sans nous.

Tout mouvement qui cherche à mettre fin à la violence de la police n’a pas d’autre choix que de travailler à défaire le racisme, le validisme et l’audisme qui, conjugués, font des personnes Noires handiEs/SourdEs des cibles de choix pour la violence policière. Par exemple, Darnell T. Wicker, un vétéran sourd noir a été tué par des policiers à Louisville, Kentucky, le 8 Août 2016 (noter que la minuscule « s » indique qu’il était sourd, pas de Culture Sourde). Les caméras des policiers montrent les officiers tirer sur Darnell Wicker plusieurs fois une à deux secondes après lui avoir donné des ordres verbaux dans une nuit obscure. Darnell Wicker dépendait de la lecture sur les lèvres pour communiquer. Sa famille affirme qu’il n’a probablement jamais entendu ou compris les officiers.

Les circonstances entourant son assassinat ont clairement montré l’importance cruciale de nommer la surdité et la négritude de Darnell Wicker comme éléments qui ont été criminalisés par les officiers de police. Et pourtant on n’a trouvé aucune coalition nationale ou réseau ou cohorte qui ait même fait mention de la surdité de Darnell Wicker au cours de leurs actions ou en ligne « en son nom ». Une organisation nationale entièrement bénévole Sourd/Justice Handie a publié une déclaration puissante4 en Langue des signes américaine, en espagnol et anglais appelant à la Solidarité des Personnes HandiEs avec Black Lives Matter5 en réponse à l’implacable brutalité policière contre les personnes sourdEs/handiEs, y compris l’assassinat de deux hommes sourds le mois dernier seulement. Ce genre d’approche intersectionnelle fait cruellement défaut dans les organisations, réseaux et coalitions nationales qui prétendent lutter pour la justice raciale, les droits des handicapés et les droits des sourds. Ce manque d’intersectionnalité conduit encore plus de NoirEs sourdEs et de NoirEs HandiEs à être tuéEs par la police.

Le Collectif Harriet Tubman soutient que toute lutte contre la suprématie blanche doit également s’attaquer à ses indissociables corollaires, y compris validisme et audisme.

Au mieux c’est malhonnête, et au pire c’est violemment irresponsable de prétendre vouloir la justice pour ceux qui sont morts aux mains de la police sans jamais nommer ni le handicap ni la justice handiE6 . Nous appelons les organisations qui s’étiquettent «intersectionnelles» à embrasser véritablement ce cadre, et nous restons une ressource et un réseau de soutien pour tous ceux qui travaillent à cette fin. Nous exigeons que le récit Noir Handi/Sourd soit au centre puisque ce récit représente 60 à 80% des personnes assassinées notamment tous ces noms que le Mouvement continue à brandir tout en refusant d’honorer une partie de leur humanité:

Tanisha Anderson
Sandra Bland
Miriam Carey
Michelle Cusseaux
Ezell Ford
Shereese Francis
Eric Garner
Milton Salle
Korryn Gaines
Freddie gris
Quintonio LeGrier
Kyam Livingston
Symone Marshall
Laquan McDonald
Natasha McKenna
Stephon Watts
Darnell Wicker
Mario Woods

Et s’ajoute d’innombrables autres victimes NoirEs HandiEs/SourdEs de brutalités policières.

Nous ne serons pas des martyrs pour un mouvement qui nie notre humanité. Nous exigeons que les coalitions de « justice sociale » les réseaux et les organisations cessent l’effacement violent du handicap de ces récits et de tout autre récit de victimes de violence et d’assassinats policiers. Nous demandons en outre la fin de la stigmatisation des NoirEs HandiEs et des NoirEs SourdEs par ceux qui prétendent se battre pour nous.

Nous ne sommes pas secondaires.
Nous sommes ici.
Nous nous battons pour nos vies.
Nous sommes NoirEs. Nous sommes HandiEs. Nous sommes SourdEs.
Nous sommes NoirEs.
Nos vies Noires Handies comptent.
Nos vies Noires Sourdes comptent.

En solidarité,

Patricia Berne
Kylie Brooks
Neal Carter
Patrick Cokley
Candace Coleman
Dustin Gibson
Timotheus Gordon, Jr.
Keri Gris
Christopher DeAngelo Huff
Cyree Jarelle Johnson
Lorrell D. Kilpatrick
Carolyn Lazard
Talila A. Lewis
Leroy F. Moore, Jr.
Vilissa Thompson
Alexis Toliver
Heather Watkins

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Traduction : Cases Rebelles
Le texte original en anglais : Disability Solidarity: Completing the “Vision for Black Lives”.
The Harriet Tubman Collective : le sitele facebook. Email : harriettubmancollective@gmail.com

  1. Mouvement pour les vies noires []
  2. Honoring Arnaldo Rios-Soto & Charles Kinsey: Achieving Liberation Through Disability Solidarity, 22/07/2016 []
  3. Police Confront Rising Number of Mentally Ill Suspects, The New York Times, 01/04/2014 []
  4. Heard statement on the August 2016 police killings of two Deaf…, 31/08/2016 []
  5. #DisabilitySolidarity []
  6. Disability Justice – a working draft by Patty Berne, 10/06/2015 []