Almamy KANOUTÉ : Pour les générations futures

Publié en Catégorie: POLICES & PRISONS

Photo © La Meute - Graine

Bien avant le combat Adama, Almamy KANOUTÉ était déjà une figure familière du terrain, des quartiers populaires, des luttes contre les violences policières. L’activiste de Fresnes accompagne, conseille inlassablement avec un leitmotiv : nous sommes au service de la lutte et des familles. Pas l’inverse. ENTRETIEN.
Tu as l’expérience d’autres affaires de violences policières ; au regard de ça, qu’est-ce que t’évoque la répression subie par la famille Traoré, et quels sont les enseignements à en tirer pour l’avenir ?

En fait les revendications ont payé. Elles ont porté leurs fruits puisque la famille TRAORÉ, à travers le comité Adama, a su démontrer par A+B que depuis le début on nous ment, depuis le début on cherche à étouffer l’affaire, depuis le début on cherche à criminaliser la victime et les membres de sa famille. Et c’est en partie ce qu’ils ont réussi à faire en mettant tous les frères en prison. L’acharnement politico-judiciaire que subit encore la famille traduit ce qui a suscité énormément d’espoir auprès de nombreux citoyens comme nous qui avions l’habitude d’observer et d’assister à des conclusions bâclées, des affaires étouffées quand on exige uniquement vérité et justice dans ce genre de situations.
Il ne faut jamais baisser les bras, jamais baisser la tête face à une telle machine, un tel système. Et il faut surtout éviter de reproduire les erreurs qu’ont pu faire les anciennes mobilisations, les anciens camarades de lutte. Et c’est pour ça que la famille Traoré s’est entourée de nombreuses personnes pour continuer le combat.
On a des retours par exemple de Bagui qui a dit à sa sœur Assa qu’avant de l’emprisonner un des gendarmes lui a sorti : « Dis à ta sœur de la fermer sinon on ne vous laissera pas tranquille. » Et c’est ce qui est en train de se passer. La famille Traoré n’a pas cédé aux pressions et continuera à se battre jusqu’au bout pour que lumière et justice soient faites.

Pour le futur, ça nous permet d’être en garde vis-à-vis de à qui on a affaire. Effectivement, le contexte inédit de l’affaire Adama fait qu’elle a dépassé les frontières mêmes des banlieues, même celles de l’hexagone. Et aux yeux du monde ça traduit une chose qui est claire : on est dans un pays, la France, dit « pays des Droits de l’Homme, » qui passe encore son temps à se faire passer pour exemplaire et qui est capable de dénigrer à un point extrême ses concitoyens, quitte à continuer à mentir en plein jour. Et ça, ce genre de comportements, d’attitudes, doivent nous mettre en garde : préparons-nous, anticipons. Et quand je dis ça je parle de transmission, je parle de formation. Je parle de préparer les futures générations à être vraiment prêtes à recevoir de tels coups même quand on est victime, qu’on est en  légitime défense. Parce qu’on peut parler de légitime défense.  Et on refuse catégoriquement à une famille d’exiger ses pleins droits, qui logiquement devraient être appliqués et respectés. C’est une famille qui se bat pour faire appliquer le droit le plus absolu et on cherche tous les moyens nécessaires pour justement décourager la famille en emprisonnant tous les frères, en fouillant dans les dossiers des uns et des autres, en allant bousculer des frères et sœurs ayant des activités libérales, économiques. Du coup ça a même obligé l’un des frères à abandonner son activité immobilière. C’est le genre de détails dont les gens ne sont pas forcément informés. Les répercussions sont phénoménales. Quand on s’assied et qu’on regarde tout ce que la famille essuie, tout ce que la famille a essuyé en si peu de temps… En plus, en côtoyant régulièrement Assa, je comprends toute la rage qu’elle a en elle et le fait qu’elle ait encore cette force de tenir tête et ne pas lâcher l’affaire.

Qu’est-ce que tu penses que l’affaire Adama a d’ores et déjà changé ?

Au niveau de toutes les affaires c’est comme un éternel recommencement mais avec l’affaire Adama quelque chose a créé une différence. On entend des gens qui trouvent que cette affaire est surmédiatisée ! Surmédiatisée ?!!! On en fait trop ?! Mais non !! C’est parce qu’on n’a pas été habitué.es à faire en sorte que les revendications des militant.es et activistes atteignent un tel niveau politique. On n’a pas été habitué.es à voir les mouvements de gauche, de gauche radicale ou d’extrême gauche être dans l’obligation de prendre position. Parce qu’il y en a certain.es pour qui je sais très bien que ce n’est pas sincère – je les ai côtoyé.es longuement donc je sais que ce n’est pas sincère – mais ce qui se passe est tellement gros qu’à un moment donné on ne peut plus fermer les yeux. On ne peut plus faire comme si on n’avait pas entendu. Talib KWELI, quand il est venu faire son concert à Paris, a envoyé un message à son public et ce message était clair, il a dit : « Je dédie ce concert à la famille Traoré. On a tué mon frère Adama. Toutes les personnes qui ne sont pas d’accord avec moi peuvent quitter la salle tout de suite. Moi en tous cas je continuerai à dénoncer les injustices et les crimes policiers. »

Il y a une résonance telle que la famille ne peut plus reculer. Et ça a suscité tellement d’espoir de voir qu’un comité, qui n’a même pas pour ambition de porter toutes les affaires de violences policières, faisait face à un système que forcément des gens interpellent le comité, interpellent Assa même sur des affaires qui ne concernent pas les violences policières. Assa est devenue un symbole, malgré elle. Alors qu’elle le répète souvent, régulièrement : « Je suis la grande sœur d’Adama Traoré, je ne suis pas une militante, je ne fais pas de politique, c’est juste que là je n’ai pas d’autre choix que d’aller au front pour exiger la vérité et la justice pour mon petit frère, et pour toutes les autres victimes par la même occasion. » Elle se bat pour son frère mais elle s’est rendu compte que l’affaire a tellement de résonance que ça a débordé sur autre chose. Je le vois quand les jeunes filles noires ou arabes, les jeunes filles de quartiers populaires croisent Assa, je vois dans leurs yeux – larmes aux yeux ou pas – ce merci : « Merci pour le message que vous portez, les vérités que vous faites passer ». Et en plus c’est une femme noire donc elle représente tout un tas de choses. Une femme noire qui s’assume et qui n’est pas près de reculer.

Et justement, avec le spectacle de cette répression contre la famille Traoré, as-tu l’impression que la naïveté recule par rapport à la justice, la police ou  au pouvoir dans son ensemble ?

Il faut continuer à partager les informations qui ne passeront pas sur les médias de masse, continuer à faire des documentaires comme vous vous avez pu le faire sur l’affaire Lamine DIENG. On se doit de relayer le plus largement possible, avec tous les outils qu’on a pour diffuser l’information, continuer à transmettre, continuer à expliquer qu’avant Lamine Dieng, avant Adama Traoré, il y avait déjà tout un tas de victimes, il y avait déjà à l’époque des citoyen.nes organisé.es pour faire face à toutes ces formes d’injustice et d’inégalité. Qu’est-ce qu’il en reste ? Qu’est-ce qu’on en fait de ce patrimoine? Est-ce qu’on répète les mêmes erreurs ou est-ce qu’on essaye de frapper plus fort, plus longtemps ?
Et on se retrouve à avoir nos responsabilités. Assa quand elle se retrouve sollicitée à gauche et à droite on lui dit : «  Tas pas le choix, tu n’as plus le choix. Quand tu es invitée à un événement qui n’a rien à voir avec les violences structurelles et autres – des fois ça peut être des événements de divertissement – il faut que tu y ailles. Tu profites de cet événement pour faire passer un message ». Et c’est aussi ce qui permet de ralentir ces processus de naïveté par rapport à la police et la justice. Ou alors parfois les gens peuvent se dire : « ça sert à rien de se battre, au final y aura un non-lieu ». Non. Qu’il y ait non-lieu ou pas, il faut être dans cette démonstration de combativité, de manière à ce que les futures générations se disent : « On peut le faire. C’est possible. C’est dur mais c’est possible. »

Interview réalisée par Cases Rebelles en décembre 2018.
Crédit Photo : Graine/La Meute

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