Série de couleurs1
J’affiche mes couleurs
l’éclat au visage
les entonne en
traces ma
langue retient
mes traits pleins
de mon être à la peau noire.
ces boucles coquines
coupées courtes.
tout moi
brute
Je porte un labris
et une petite bague
le double signe de Vénus
robe couleur lavande
le noir, le rouge, le vert
enveloppent ma tête dans des motifs féconds
je porte
un tissu kenté
Je viens de la force de
survivants,
de ouest-africains, irlandais des bidonvilles,
Catawba et Cherokee
mon nom de baptême un nom pris
renaissance
« birthroot »2
pris pour des temps de liberté
Je me reconnais dans tous ces noms
tiers-monde
noire
femme de couleur,
sœur/hermana
afro-americana la
negra la
lesbiana
J’attache les mots en travers de mon cœur
dresse des pancartes
porte des bannières
j’élève
ma voix et mon
poing serré lève
mes yeux et j’ai
des visions
Je suis l’élue
j’ai choisi d’être moi-même.
Becky BIRTHA est une écrivaine et poétesse lesbienne noire née en 1948, qui vit près de Philadelphie, enseigne l’anglais et l’écriture à l’université. Elle a publié son premier recueil de nouvelles For Nights Like This One : Stories of Loving Women.3 en 1983, puis un second en 1987 : Lovers’ choice4. Enfin en 1991 elle sort un recueil de poésie intitulé The Forbidden Poems,5. Depuis elle se consacre à la littérature pour enfants.
Dans ses trois premiers ouvrages, qu’il s’agisse de personnages fictifs ou d’elle-même, elle conte des histoires, des tranches de vie, de femmes noires. À travers des récits de quotidiens aux apparences ordinaires, elle aborde des sujets comme les normes de genre, le lesbianisme, le désir d’avoir des enfants, la maternité, l’indépendance matérielle des femmes mais aussi le racisme, la lesbophobie et les relations amoureuses interraciales. Elle conjugue ses analyses sociales à différents d’âges, contextes sociaux et familiaux, comme pour mieux montrer l’imbrication des oppressions, des conditionnements pour toutes ces figures féminines en mouvement.
Ses livres ne sont pas traduits en français, mais si vous lisez un peu l’anglais je vous les conseille ; ils ont en commun une écriture abordable, enjeu primordial pour Birtha. À travers chacun de ses ouvrages elle continue à transmettre des histoires de communautés noires, et contribue à une littérature dans laquelle les noirEs – et particulièrement les femmes et les filles noires – peuvent se reconnaître.
Les individus se détachaient de la masse et l’abordaient avec des formalités, des questions.
« Tu es la femme de Lester? »
(Non, je suis l’amante de Mandy.) « Non, je suis la fille de Marie. Et de Greg. » Il partit, probablement à la recherche de la femme de Lester, et fut bientôt remplacé par un autre.
« Elizabeth! La dernière fois que je t’ai vue, tu étais haute comme ça! Mais pourquoi tu as coupé tes beaux cheveux? » Pour celle-là, elle chercha une réponse. Ils ne comprenaient pas que la manière dont elle était coiffée exprimait ses positions politiques, autant qu’elle exprimait son être, sa fierté. Ou que quelque chose comme une coupe de cheveux courts l’aidait à être reconnue par les autres femmes comme elle-même. Ironiquement, elle répondit que c’était pour le style.
« Alors dis-moi », dit sa tante Catherine, « qu’est-ce que tu fais maintenant? ». Elle aurait aimé répondre : je suis lesbienne maintenant, et je vis avec une femme nommée Mandy. Ou – je fais partie d’un collectif d’écrivaines lesbiennes et écris des articles pour le journal gay local. Elle imaginait qu’elle aurait pu le sortir, en souriant doucement à Tante Catherine tout du long. Ils ne savaient pas ce qu’était une vrai radicale, ne réalisaient pas qu’elle était inoffensive. Elle soupira et donna la réponse convenable à propos de son travail et de l’éducation, toute les choses qui ne compte pas vraiment. (Extrait de For Nights like this one)
De son écriture accessible et accueillante, Becky Birtha partage avec une certaine persistance la complexité, la violence ou la douleur dans son existence ou celle de ses personnages. L’exploration du désir amoureux, et l’autodétermination en tant que femme noire lesbienne sont les fils conducteurs puissants de For Nights like this one ; avec malgré tout quelques images mièvres parfois et quelques longueurs. Dans Lover’s Choice, elle décline des univers féminins, violentés mais en résistance. L’écrivaine raconte ce que des fémmes découvrent ou mettent en place pour exister, respirer, survivre, et faire survivre leur famille. La famille, homo-parentale, mono-parentale, emmenée par des femmes, est aussi centrale. Famille, communauté, sororité. La question de la classe y est également omniprésente. The Forbidden Poems aborde des choses plutôt autobiographiques ; en vrac : la négrophobie, les obstacles opposés aux écrivaines noires, la force des relations amicales et militantes, ou encore l’effritement des relations amoureuses et les ruptures. Une écriture sous-tendue par un point de vue féministe sur la race, l’homosexualité féminine, le statut social et familial des femmes.
Je continue à être perplexe et consternée devant l’infime pourcentage de livres pour enfants publiés chaque année qui sont écrits par des NoirEs américains et des non-blancs. 6
Ces dernières années Becky Birtha poursuit son travail pour une littérature pour le plus grand nombre, où la question de la représentation des noirEs est fondamentale. Elle travaille avec des illustrateurs/trices noires (Colin Bootman, Nicole Tadgell). Et ses ouvrages pour enfants reprennent les thèmes du genre, de la race, de l’histoire coloniale des États-Unis.
Quand j’étais petite, c’était dur de se faire de l’argent. Comme si le seul moment où on en recevait était le dimanche matin, et après on devait le donner à la quête. Je détestais ça. En fait, je détestais tout du dimanche matin. Je devais porter leurs robes à jupons – ce truc brillant et glissant en hiver qui faisait du bruit chaque fois que tu déplaçais un peu tes fesses sur leurs vieux bans. Et ce machin râpeux et amidonné en été avec tous ces volants rugueux. Je devais aussi prendre une petite pochette et porter leurs chaussures vernies. Et l’église où on allait était tout au bout de Summit Avenue, donc tout ce maudit voisinage pouvait bien nous regarder. Du moins tous les enfants devaient s’habiller de la même manière. Les garçons pensaient qu’ils y échappaient parce qu’ils pouvaient porter des pantalons, mais ils devaient encore mettre une chemise blanche et une cravate ; et leurs chapeaux idiots qu’ils portaient ne cachaient pas leurs têtes rasées, parce qu’il fallait qu’ils devaient les enlever à l’intérieur de l’église.
Il y a eu ce dimanche quand devais avoir huit ans. Je me souviens c’était avant que ma sœur Corletta naisse, parce que pile à ce moment-là j’ai commencé à lever le pied sur cette routine moralisatrice. En tout cas, je traînais mes pieds sur la 25ème Rue derrière Maman et Vincent et tout, quand j’ai aperçu cette femme. Je l’ai vue seulement que cette fois, mais je me souviens encore comment elle était. Je n’ai jamais vu quelqu’un comme elle avant. Je sais qu’elle n’est pas du coin. Elle est vraiment mince. Mais elle n’est pas vraiment une jeune femme, non plus. Elle pourrait avoir l’âge de ma maman. Elle n’est la mère de personne – j’en suis sûre. Et elle ne porte pas de vêtements du dimanche. Elle a un jean et un bleu de travail d’homme, avec la cravate dénouée. Elle a des pièces sur son jean, et elle marche la tête relevée comme une sorte de reine africaine. Elle ne porte pas de pochette brillante. On ne dirait pas qu’elle se préoccupe d’avoir de l’argent ou pas, ou qui sait, si elle s’en fiche. Elle ne porte pas de pantoufles, de chaussettes ni de hauts talons non plus.
(Extrait de « Johnnieruth », dans Lovers’ Choice)
A.Y_Cases Rebelles (Mise à jour Juin 2016).
Le site de Becky Birtha : http://beckybirtha.net/