Guadeloupe : Mois de Mai, mois de Mort

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En Mai, de partout se commémorent les luttes des esclaves pour leurs libérations, bien souvent effacées derrière le vocable d’abolition. En Mai, la Guadeloupe commémore aussi ses mortEs puisque c’est un mois chargé dans les mémoires. Voici donc trois brefs récits en guise d’invitations à creuser.

Mai 1802

Ignace -Statue des AbymesEn Mai 1802, le général Antoine Richepance arrive à Pointe-à-Pitre avec 3 500 hommes, dans la ferme intention de rétablir l’esclavage – 8 ans après son abolition par la Convention – comme le souhaite Napoléon Bonaparte. L’histoire est complexe nous n’en ferons ici qu’en bref récit.
Le contre-amiral Lacrosse, dès 1801, avait été envoyé par Napoléon 1er, pour reprendre en main la colonie avec la même mission, le rétablissement de l’esclavage. Le martiniquais Delgrès était son aide de camp. Lacrosse par ses actions hostiles aux officiers noirs et métis va provoquer la rébellion menée par le capitaine guadeloupéen Joseph Ignace. Delgrès rejoint la rébellion. Ignace, Massoteau, Gédéon, Delgrès deviennent les capitaines de l’armée guadeloupéenne. Un conseil provisoire considéré comme rebelle s’est constitué sous la direction de Magloire Pélage. Celui-ci dirige la Guadeloupe jusqu’à l’arrivée de Richepance, le 6 mai 1802 mais il ralliera ensuite les troupes venues de France. Le combat contre les insurgés va durer presque un mois.
Le 25 mai 1802 au fort de Baimbridge assiégé, Ignace, chef de bataillon au sein de l’armée des insurgés, se serait suicidé. Entre 600 et 700 hommes sont tués par les troupes de Magloire Pelage.
Delgrès se réfugie le 28 Mai avec 300 compagnons d’armes, après avoir livré bataille et soulevé aussi la population sur les hauteurs de Basse-Terre, dans l’habitation Danglemont dans le camp de Matouba. Mais après de terribles combats, face à l’écrasante puissance militaire des attaquants, décision est prise de s’enfermer dans l’habitation principale. Les bâtiments sont piégés d’explosifs. Delgrès y rassemble ses hommes autour de lui et ordonne de tout faire sauter. Il est dit que les combattants mourront aux cris de «Vivre libre ou mourir».
Une autre figure de l’Histoire guadeloupéenne, la Mulâtresse Solitude, ralliée à l’appel de Delgrès, va survivre aux combats. Enceinte, elle « bénéficiera » d’un sursis. Elle est exécutée par pendaison le 29 novembre, le jour suivant son accouchement.
La répression sera terrible : les exécutions massives ne feront pas moins de 10 000 victimes. El l’esclavage est bel et bien rétabli en Guadeloupe.

Mai 1943

En juillet 1940, le haut-commissaire de la République aux Antilles, l’amiral Georges Robert, place les colonies de la Guadeloupe et de la Martinique sous l’autorité du maréchal Pétain.1

Les îles sont sous blocus britannique ce qui entraîne beaucoup de pénuries et une politique d’austérité autoritaire. L’expression « An tan robè » renvoie à cette époque très difficile qui verra une croissance significative de la mortalité infantile. La résistance au régime vichyste se manifestera de diverses façons.
Il y eut de nombreux départs en dissidence. De jeunes antillais femmes et hommes partaient dans des embarcations de fortune, clandestinement, au péril de leur vie – puisque les traversées sont très dangereuses – pour les îles anglophones voisines. On parle de 4000 à 5000 personnes parties jusqu’au début de l’été 1943 rallier les îles anglaises voisines de la Dominique, Sainte-Lucie et Antigua. La grande majorité s’engagera dans les Forces françaises libres. Pour ces dissidentEs la reconnaissance par les historiens et l’État français sera terriblement tardive. En 1988, Raphaël Confiant avec le Nègre et l’Amiral laisse une première trace importante. En 2006, le documentaire d’Euzhan Palcy Parcours de Dissidents largement diffusé reconnectera définitivement la population antillaise à cette mémoire et libèrera paroles et souvenirs. Pour ce qui est de la reconnaissance officielle, en 2009 – après l’historique mouvement social qui anima la Martinique et la Guadeloupe – Sarkozy décorera opportunément 15 résistants antillais…
Pendant le règne de l’Amiral Robert des manifestations contre Vichy, contre Pétain avaient lieu sur le territoire et elles étaient violemment réprimées. En Guadeloupe, le 2 mai 1943 à Basse-Terre, les tirs des forces de police réprimant une manifestation pacifique tuent d’une balle en plein cœur, place du Champ d’Arbaud, le jeune Serge BALGUY, 18 ans. Son sang gicle sur la chemise de son ami Félix Rodes. Félix Rodes est une figure majeure des luttes d’émancipation guadeloupéennes ; il sera notamment inculpé et emprisonné lors de la répression de Mai 1967.
Une stèle existe dans la ville de Basse-Terre en mémoire du jeune étudiant.

À  lire : La Gwadloup an tan Balguy é an tan Ladisidans, par Félix Rodes

Mai 1967

Le mercredi 24 Mai 1967 une grève des ouvriers des bâtiments débute en arrêts limités et elle est suivie à 100%. Ils réclament une hausse de salaires de 2%. Le jeudi 25 Mai elle s’étend et les travailleurs décident d’arrêter complètement le travail. Dans la matinée du 26, de nombreux ouvriers s’attroupent autour de la Chambre de Commerce où ont lieu les négociations. À 12h45 les négociations sont ajournées. Les grévistes demeurent. Vers 14h30, la police se retire et ce sont les CRS qui arrivent pour aider les patrons à s’éclipser. Les coups et les gaz lacrymogènes commencent à pleuvoir. Les manifestants demeurent une fois les employeurs évacués. Vers 15h, le préfet Bolotte ordonne de tirer sur la foule ; c’est le début de la répression de deux jours qui fera au moins 87 morts et un nombre de blessés indéterminés.

Photo en Noir et Blanc de Jacques NestorJacques NESTOR dit Kiki reçut la première balle le 26 Mai à 15h30 quand BOLOTTE lança la répression sur les ouvriers en grève. NESTOR, militant du GONG, pêcheur de profession, habitant du quartier populaire de Lauriscique, fut explicitement désigné par le commissaire CANALES, il fut visé et tué le premier.
Malgré les effets d’annonce de ces dernières années, il n’y a toujours pas de positions « officielles » sur une répression qui fit au moins 87 morts et un nombre de blessés indéterminés, et bien entendu pas l’ombre d’une justice. Par contre à l’époque, le pouvoir colonial en avait profité pour déployer une large répression politique, prétextant un complot à visée insurrectionnelle, afin de couper l’élan d’un mouvement indépendantiste en plein élan.

Cases Rebelles (Mai 2016)

  1. Julien Toureille, « La dissidence dans les Antilles françaises : une mémoire à préserver (1945-2011) », Revue historique des armées, 2013 []