Les excuses sont politiques ; leurs absences aussi

Publié en Catégorie: PERSPECTIVES

Quand on a failli, le reconnaître et demander aux personnes que l’on a pu blesser, léser de nous excuser est un acte profondément signifiant. Il s’agit d’accepter que nos actes ont des conséquences et de le formuler. Il s’agit aussi d’ouvrir la possibilité d’éventuelles réparations, compensations, etc. Il s’agit non pas de « s’excuser », c’est-à-dire de définir soi-même les modalités de son absolution, mais de déclarer que l’on a foiré et d’accepter de penser avec les victimes à la manière dont cela peut se réparer, si c’est possible. Certain·e·s ne s’excusent jamais. C’est-à-dire que le verbe « excuser » ne sort jamais dans leurs bouches, leurs écrits, etc. D’autres s’excusent dans le sens le plus individualiste du terme c’est-à-dire qu’ils sont dans l’auto-absolution parce que « ce n’est pas de leur faute », qu’ils « ont des excuses » ; avec ce type d’attitude, personne n’est responsable et les personnes qui ont été blessées se sentent rapidement coupables d’avoir espéré un acte juste en compensation. Rares sont les individu·e·s qui reconnaissent pleinement leurs fautes et se mettent sincèrement à la disposition d’une démarche collective de compensation. Ce que je dis ici est bien abstrait et c’est plus ou moins grave, important en fonction de l’acte considéré. Mais ce qu’il faut noter c’est que les excuses bidons permettent la répétition. Apprendre à demander humblement à l’autre qu’il nous excuse et qu’il détermine les modalités de son pardon, c’est exactement l’inverse d’apprendre à se trouver des excuses.

Elizabeth Catlett, For My People..., 1987
Elizabeth Catlett, For My People…, 1987

Il est impératif d’apprendre à se retrouver en toute conscience et en toute humilité face à celles et ceux qu’on a blessées. D’accepter que malgré nos blessures on peut blesser ; et même si celles-ci peuvent expliquer nos actes elles ne nous libèrent pas de notre responsabilité.
Ce que j’essaie d’expliquer est fondamentalement politique. Parce qu’on ne peut exploiter impunément les personnes avec qui l’on milite, les instrumentaliser, sous prétexte qu’on le fait pour de belles idées libératrices. On ne peut pas au même titre les mettre en galère matérielle, ne pas venir à des rendez-vous, faire des conférences égocentrées pendant des réunions collectives, sans être confronté·e·s à la contradiction entre pratiques et aspirations politiques. On ne peut pas encourager telle ligne ou telle approche politique, telles convergences, s’en prendre à celles et ceux qui ne sont pas d’accord et puis changer du jour au lendemain comme si de rien n’était. Comme si vous aviez toujours adhéré à telle idéologie ou telles pratiques (que vous venez juste d’adopter !). Vous avez changé ? C’est très bien. Mais cela ne vous dispense pas de formuler que vous avez été dans l’erreur et que ça a eu des conséquences négatives sur d’autres qui essayaient de proposer d’autres voies moins oppressives, moins absolutistes. Et je ne parle pas ici des épiphanies en ligne qui sont destinées à séduire  les personnes qui diffusent les idées plutôt que de proposer des excuses aux personnes que vous avez concrètement blessées  : ce type de mise en scène spectaculaire de la prise de conscience est complètement pourri.

Ne pas formuler d’excuses, et ne pas envisager de réparations, c’est aussi ce qui permet aux structures et aux organisations militantes qui nous ont blessé·e·s de continuer comme si rien ne s’était passé. Les squelettes sont dans les placards : il n’y a pas de traces, à part nos blessures, nos traumas. Rien n’a été marqué, écrit. On oublie (la fabrique de l’oubli est politique, elle aussi). Et comme on n’a pas la force de rappeler sans cesse notre histoire, d’autres viennent absoudre par leur présence et leur absence de questionnement les agressions racistes et sexistes que nous avons subies (parce qu’on est complice aussi quand on accepte sans sourciller d’être accueilli·e dans tel lieu ou telle structure existant depuis de nombreuses années et resté si blanc, si mec, etc. On peut bien s’en douter qu’il y a des cadavres dans les placards… Encore faut-il vouloir savoir. ) J’en vois tellement des exemples comme cela…
Rien n’est possible tant que l’espace pour reconnaitre que l’on a mal fait n’existe pas. Rien n’est possible tant que tout espace autocritique sincère est saboté par l’injonction à se solidariser, se taire, à ne pas faire le jeu d’un autre troisième groupe. Rien n’est possible en dehors de l’avènement répété d’individu·e·s, militant·e·s, dominant·e·s qui ne s’excusent jamais.

M.L._Cases Rebelles (04 Décembre 2017).