Assa Traoré : « On n’a pas le droit de baisser les bras. »

Publié en Catégorie: POLICES & PRISONS

Cette interview a été réalisée il y a une semaine. Malheureusement aujourd’hui l’acharnement contre la famille Traoré a encore pris une nouvelle ampleur. Les mots manquent. C’est toute une famille qu’on veut détruire. Avec tout notre soutien, force et amour pour eux !
Libérez Bagui!

L’acharnement contre ta famille a commencé dès la mort d’Adama, il y a 7 mois, le 19 juillet 2016. Bagui était avec Adama ce jour-là lorsque les gendarmes sont venu le chercher et l’ont poursuivi. C’est un témoin et il a lui même été violenté ce même jour, ainsi que votre mère, à la gendarmerie au moment où ils apprenaient la mort d’Adama. En novembre, Bagui a été emprisonné – ainsi que votre  frère Youssouf – et inculpé suite à un procès qui ne reposait sur rien. Aujourd’hui de nouvelles accusations très graves lui tombent dessus1. Des membres de votre famille, dont votre mère, ont été interrogés. Bagui a récemment entamé une grève de la faim.
Est-ce que tu nous parler de ces nouvelles attaques contre votre famille ?

L’acharnement envers ma famille continue. Il faut bien rappeler que ça ne fait que 7 mois, alors quand on regarde toute les affaires où il y a eu des victimes de gendarmes ou de policiers, je pense que l’affaire d’Adama Traoré est l’une des affaires où l’acharnement est très très poussé, très fort en peu de temps. En 7 mois on veut écraser, on veut nous faire taire, c’est un pression qu’on nous met dessus, une pression politique et une pression judiciaire, et on se bat contre les institutions les plus puissantes, c’est-à-dire l’État et la justice. Aujourd’hui ce qu’on veut reprocher à Bagui, c’est que malheureusement le 19 juillet il est la dernière personne à avoir vu Adama vivant, la dernière personne à l’avoir vu allongé dans les locaux de cette gendarmerie ; Bagui on veut le criminaliser, le discréditer, on veut affaiblir son témoignage en le faisant passer pour un délinquant et pour un voyou. Et aujourd’hui il y a une « tentative d’assassinat » qui lui pèse sur la tête. Même nous on ne comprend pas d’où vient cet acharnement de plus, encore plus fort ; il faut savoir que pour « tentative d’assassinat » il risque des années de prison. Mais nous on est proches de la vérité et la vérité on l’a sortie depuis le début ; la mise en examen de ces gendarmes mis en cause dans la mort d’Adama, c’est quelque chose qui peut arriver très rapidement.

Je pense qu’aujourd’hui ils ont peur de tout ça, ils veulent pas prendre ces responsabilités-là, ils veulent écraser la famille, ils veulent nous faire reculer pour qu’on arrête ce combat-là dans Vérité et justice pour Adama : ça ils le font à travers Bagui, qui était là, qui est un témoin principal. Mais ils n’y arriveront pas. Malheureusement Bagui en paie les frais depuis le mois de novembre. Et quand on voit qu’en France on peut mettre une personne en prison sans preuves, sur du mensonge… On en a eu la preuve sur le procès du 14 décembre quand Bagui et Youssouf sont condamnés pour « outrages » et « violences », et que nous avons ces policiers, ces gendarmes qui avouent eux-mêmes ne pas reconnaître formellement les Traoré, ne pas avoir subi de violences de leur part, et qui nous disent qu’avant d’arriver au conseil municipal on leur avait montré la photo de Bagui et Youssouf, et que nous avons une présidente et une juge qui va quand même les condamner. Mais aujourd’hui on comprend mieux pourquoi elle a gardé Bagui enfermé : parce qu’ils étaient en train de préparer cette accusation de « tentative d’assassinat » sur Bagui. Bagui, on le veut depuis le début. Et aujourd’hui il ne comprend pas tout ça. Il a un fils qu’il n’a pas vu depuis 4 mois, voilà, depuis le mois de novembre. C’est pas facile pour lui, c’est très difficile. Et ce qui touche à Bagui nous touche forcément, c’est automatique. Ma mère elle le vit très mal. Bagui a entamé une grève de la faim, on l’a appris par notre avocate ; il ne s’alimente plus. Du jour où il est arrivé à Fleury, le lendemain nous avons eu les rejets des mandats, donc on apprend encore une fois que Bagui n’avait pas de visites, ne refusait pas tous ces mandats, que ses conditions d’incarcération n’étaient pas respectées : il ne pouvait en tout cas pas vivre dans des bonnes conditions, dans des conditions de dignité en tout cas. Et là on l’isole en le mettant à Fleury, où il ne connait personne, qui est à plusieurs kilomètres de Beaumont, à plus d’une heure de route. Et il y a cette grève de la faim qu’il ne veut pas laisser, parce qu’il ne comprend pas que depuis le mois de novembre il soit prisonnier politique, que défendre son frère en France peut l’emmener en prison. Et donc nous aussi on se bat contre cet état antidémocratique ; la France est un pays antidémocratique, il n’y a pas de liberté d’expression, d’égalité, de fraternité, c’est pas vrai ; nous on le voit dans notre affaire, dans tous les sens du terme, et je pense qu’il y a plusieurs familles, plusieurs citoyens en France qui ne jouissent pas de ces droits-là en toute liberté.
Donc on va se battre pour Bagui, on va tout faire pour lui, qu’il puisse sortir de tout ça. On essaie de le convaincre d’arrêter cette grève de la faim, et on demande la condamnation de ces trois gendarmes mis en cause dans la mort de Adama. Ça fait 7 mois : ils n’ont pas été entendus, ils n’ont pas été condamnés. Et c’est mon frère, 7 mois après, qu’on vient chercher, qu’on enferme à Fleury pour « tentative d’assassinat » alors que c’est Adama qui est mort dans des conditions atroces puisqu’ils l’ont laissé mourir, et eux ils sont encore dehors en toute liberté. J’ai envie de dire qu’on voit c’est quoi cette justice, dans quel État on est. Et on lâchera pas. Quoi qu’il arrive, on se battra, je me battrai, on lâchera pas, ça prendra les années qu’il faudra, mais cette vérité et justice on l’aura. Et je pense qu’on dérange énormément, parce que pour pouvoir faire ça, quand on prend toute les affaires qu’il y a eu, je ne pense pas qu’en 7 mois on ait voulu autant détruire, écraser une famille comme ça. Mais je pense que ça veut dire que nous sommes sur le bon chemin et qu’on dérange beaucoup si on veut nous éliminer c’est  que la vérité elle est là, et que c’est tout ce pays antidémocratique qui veut continuer la dictature avec nous.

Vous avez diffusé le numéro d’écrou de Bagui et l’adresse à laquelle lui écrire. Que peut-on faire pour le soutenir? Et que peut-on faire pour continuer à vous soutenir?

Il faut continuer la mobilisation, il faut continuer à soutenir ce combat pour Adama. Aujourd’hui il est représentatif du mal-être de cette France ; l’affaire Adama regroupe tout ce mal-être-là, et on touche à tous ces points-là. Et ça, ça les dérange beaucoup. Il faut être encore plus nombreux, il faut faire plier cette mauvaise France, il faut récupérer ce qui nous appartient, c’est-à-dire une France qui nous respecte en tout cas. Et Bagui il faut lui écrire des courriers, qu’il sente le soutien à l’extérieur.

Voilà il n’y a que comme ça qu’on peut nous aider : avoir une mobilisation encore plus forte, encore plus puissante. Adama est devenu un symbole aujourd’hui, un symbole mort ; Bagui est un symbole vivant.

Vous avez déjà prévu des prochains rendez-vous de mobilisation?

On voit, on réfléchit à tout ça, comment on va faire, même si on se concentre aussi sur cette mise en examen des trois gendarmes, parce que l’affaire de Bagui ne va pas sans l’affaire d’Adama, elles sont toutes liées, c’est deux combats en un. En espérant qu’ils ne nous rajoutent pas d’autres histoires sur notre famille d’ici quelques mois, parce que vu leurs procédés j’ai l’impression que ça va arriver. Mais bon on lâche pas, on lâche pas!

Est-ce que tu veux ajouter quelque chose?

Ce que j’ai envie de dire c’est qu’aujourd’hui on n’a pas le droit de baisser les bras face à ces injustices-là, face à cette mauvaise France qui ne nous respecte pas, parce que des personnes avant nous se sont battues pour qu’on puisse avoir ces droits-là, qu’on puisse s’exprimer librement et qu’on puisse en profiter, ils y ont laissé leurs vies, donc à nous de nous lever et de continuer ce travail-là, on n’a pas le droit. On a eu des révolutions avant, s’il faut qu’il y a ait une révolution en France faut la faire.

 

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Merci infiniment à Assa Traoré.
Cette interview a été réalisée le 8 mars 2017.

Soutien à la famille Traore!
Vérité et justice pour Adama!
Libérez Bagui!

  1. « tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique » []