VIOLENCE D'ÉTAT
Le People's Tribunal on Police Killings
Le Tribunal populaire pour les meurtres commis par la police est né d'une initiative populaire radicale menée par les familles des personnes tuées par la police au Royaume-Uni. Ces 50 dernières années, plus de 3 000 personnes sont mortes des mains de la police ; seules quatre affaires ont abouti à une condamnation et à l'emprisonnement d'officiers de police. Face à cette terrible inertie, le PTPK a été lancé, soutenu par l'UFFC (The United Families & Friends Campaign), Migrant Media, Black Lives Matter UK et 4wardeveruk. Le PTPK est mené par des familles et des ami·es de personnes tuées par la police et par des enquêteurs bénévoles qui ne croient pas que le système rendra un jour justice. Les 5 et 6 avril, le tribunal se tiendra à Londres mais il sera également diffusé en ligne (voir les liens en fin d'article). Pour annoncer cet événement exceptionnel nous avons eu un bref entretien avec Samantha PATTERSON - sœur de Jason Oscar McPherson décédé à 25 ans le 18 janvier 2007 au commissariat de Notting Hill - et Ken FERO, documentariste, militant, cofondateur de Migrant Media, qui a participé à initier l'UFFC et le Tribunal.

Par Cases Rebelles
Mars 2025
CASES REBELLES : Est-ce que vous voulez vous présenter ?
SAMANTHA PATTERSON : Je m'appelle Samantha Patterson. Mon frère, Jason McPherson, est mort au commissariat de Notting Hill. Il a été tué le 18 janvier 2007.
KEN FERO : Je suis Ken Fero. J'ai fondé l'UFFC il y a 30 ans, et j'ai initié le Tribunal avec les familles.
CR : Quelles sont les idées qui inspirent ce tribunal populaire et quelles sont les familles impliquées dans son organisation ?
S. P. : Toutes les familles sont impliquées. Des centaines de familles se sont réunies pour prendre la parole devant le Tribunal, mais surtout pour nous aider à préparer le Tribunal. J'ai été inspirée par d'autres membres de familles qui ont écouté les récits de l'assassinat de leur proche. Mais je suis aussi inspirée par le panel que nous avons, le panel international, et par le fait d'entendre leurs idées, d'utiliser leurs connaissances et finalement leur jugement sur les meurtres de la police au Royaume-Uni.
K. F. : En fait, j'étais à Paris au début des années 90 et je travaillais avec l'Agence IM'media sur un film intitulé Douce France, qui traitait des meurtres et des assassinats de jeunes dans la banlieue, les « beurs ». J'ai donc découvert la Marche pour l'égalité et toute son histoire. Ensuite, nous sommes allés place Vendôme et nous avons rencontré la mère de Wahid Hachichi et d'autres personnes, et cette organisation m'a beaucoup inspiré. Et je sais qu'elles ont été inspirées par les mères des disparus en Argentine.
Il y a une histoire de groupes qui se rassemblent, généralement dirigés par des femmes, par des mères. C'est donc une inspiration que nous avons ramenée à Londres. Il s'agit donc du tout début de ce projet. Au cours des 40 dernières années, ce pays a connu environ 3 000 assassinats et seulement 4 poursuites judiciaires réussies. Je sais donc que même en France, plus de policiers sont emprisonnés : c'est très peu, ce n'est pas assez, mais il y en a encore moins ici et c'est un fait. Nous pensons que tous les policiers devraient aller en prison lorsqu'ils sont impliqués dans un meurtre. Nous avons décidé d'organiser ce tribunal parce que les gens en ont assez de demander justice au gouvernement, de demander des réformes, de travailler avec des organisations libérales qui ne font rien d'autre que d'excuser l'État. Le tribunal permet donc aux familles de prendre le contrôle de la lutte, d'attaquer l'État et de ne pas négocier.

Quel est le programme du tribunal le samedi 5 avril et le dimanche 6 avril 2025 ?
K. F. : Nous avons donc deux jours, nous avons déjà fait une enquête depuis un an et demi et nous avons un document conséquent avec toutes les preuves des familles. Ce que nous examinons, c'est ce que l’État a exclu ; quelles sont les preuves qu'ils ont stockées et qui vont dans le sens de l'affaire non élucidée. Quelles sont les choses dont les gens n'ont pas parlé ? Ce sont là les éléments importants, puis nous examinons ce que les familles ont fait, quelle est la résistance et comment nous pouvons organiser une résistance d'une nouvelle manière, collective et non individuelle. Pour le deuxième volet, nous aurons les témoignages oraux des familles et nous avons un panel de juges qui viennent de l'extérieur du Royaume-Uni, car nous n'avons ni foi ni confiance en qui que ce soit au Royaume-Uni. Il s'agit donc de personnes originaires de Palestine, de France, de Martinique, de l'Amérique noire, afin qu'elles puissent examiner la situation d'un point de vue international et dans une perspective anti-coloniale et anti-impérialiste ; et elles vont écouter les familles.
Nous appelons cela « les meurtres commis par la police » et non « la mort en détention » car cette expression est une version édulcorée et nous examinons cinq domaines :
- la terreur policière ;
- la torture ;
- le langage de la connivence ;
- les mensonges d'état ;
- Résistance.

S. P. : Le fait qu'aucun policier n'ait jamais été inculpé ou tenu pour responsable de quelque manière que ce soit de ces meurtres qui se sont produits pendant de très nombreuses années est dégoûtant, terrible. C'est une chance pour les familles de pouvoir s'exprimer et de dire ce qui est arrivé à nos proches. On ne leur dira pas ce qu'elles peuvent ou ne peuvent pas dire, comme c'est le cas dans les procédures judiciaires de ce pays. C'est donc l'occasion de réunir les familles pour qu'elles puissent raconter leur histoire comme elles l'entendent. Dans le cas de Jason, par exemple, il ne s'agira pas seulement de raconter ce qui s'est passé la nuit où il est mort. Je veux aussi parler de l'impact que cela a eu sur ma famille, sur mon frère, sur ma mère, sur toutes les personnes qui sont restées après la mort de Jason, et du fait que nous avons été réduit·es au silence et que nous n'avons jamais eu l'occasion de parler de toutes ces choses avant.
Quelle est la difficulté de rassembler toutes ces familles ?
S. P. : Ce n'est pas difficile dans un sens négatif. C'est difficile de voir le nombre de familles auxquelles cela est arrivé. C'est ce qui est le plus difficile pour moi, mais les familles sont toutes derrière nous et elles considèrent que c'est l'occasion de se faire entendre. Elles croient en quelque sorte au tribunal, à ses objectifs, parce que rien n'a jamais été fait de la sorte auparavant et que les familles n'ont jamais eu l'occasion de dire ce qui s'est passé auparavant. Nous avons toujours été réduit·es au silence.
Quelles sont les réactions depuis l'annonce du tribunal ?
S. P. : Les réactions ont été très positives et, comme je l'ai dit, toutes les familles nous soutiennent. Les familles ont toutes leur mot à dire sur ce que nous faisons, sur la manière dont nous le faisons et sur la logistique, sur l'organisation de la journée, sur l'organisation de l'événement, mais surtout sur l'organisation des intentions après l'événement.
Nous n'avons pas encore eu beaucoup de réactions de la part des médias. Mais une autre réaction que nous devons prendre en compte c'est que nous avons passé un appel à bénévoles il y a quelques années, 2 ans peut-être 18 mois. Ces bénévoles sont des jeunes qui ont été avec nous depuis et iels ont effectué des recherches sur les affaires. Le simple fait que des personnes comme cela soient impliquées me montre, ainsi qu'à toutes les autres familles, qu'il s'agit d'un message qui doit être entendu, car cette équipe de chercheur·euse·s et d'enquêteur·euse·s est en quelque sorte à la tête de ce projet, avec les familles également.
Le Tribunal va-t-il être enregistré ?
K. F. : Nous allons retransmettre le tribunal en direct et nous pourrons vous envoyer le lien après la conversation. Nous documentons le tribunal, mais celui-ci s'inscrit dans une histoire de luttes. Il fait partie d'un vaste plan pour les dix prochaines années, qui prévoit la tenue de nombreux tribunaux sur la police, les prisons, les unités médicales sécurisées et l'immigration, non seulement au niveau britannique mais aussi au niveau international. Les personnes qui nous rejoignent veulent donc travailler avec nous pour organiser davantage de tribunaux internationaux et se concentrer sur les questions de race et de classe.
Quelles sont vos attentes et quelle est la prochaine étape ?
K. F.: La prochaine étape est d'aller de l'avant. La prochaine étape est de continuer à avancer. La prochaine étape est d'attaquer l'État, de non plus demander justice mais de s'en saisir. L'étape suivante est de mobiliser les gens et la chose la plus importante est de garder espoir.
Nous avons donc prévu de nombreuses actions juridiques et politiques contre la police en termes de poursuites judiciaires, par exemple, et d'indemnisation. Nous envisageons une juridiction internationale. Nous mettons en place un fonds pour les poursuites judiciaires contre la police afin d'obtenir le soutien du public pour la poursuite des officiers de police par le peuple. Au cours des 40, 50, 60 dernières années, le gouvernement, l'État n'a pas poursuivi la police, il est donc temps pour la police, il est donc grand que le peuple attaque en justice parce que le gouvernement ne le fera pas, et c'est là l'objectif du tribunal.
S. P. : Il faut aussi penser au fait que cela dure depuis de nombreuses années et que le nombre de meurtres commis par la police augmente de plus en plus. Malgré les réformes et les soi-disant changements, rien n'a vraiment changé : le nombre augmente toujours, il ne diminue pas. Quelque chose ne tourne pas rond.
Propos recueillis par Cases Rebelles, le 25 mars 2025.
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Quelques liens :
Instagram: @thepeoplestribunal
Pour suivre le Tribunal en direct :
- Jour 1 du People's Tribunal on Police Killings - 5 Avril 2025 de 9h à 18h : https://www.youtube.com/live/rVzkVcSjGcc
- Jour 2 du People's Tribunal on Police Killings - 6 Avril 2025 de 9h à 18h : https://youtube.com/live/ZC1rrIn4iIU