Il y a un corps qui pend

Publié en Catégorie: HISTOIRES REVOLUTIONNAIRES CARIBEENNES

Claude Jean Harry, haïtien a été battu à mort et pendu le 11 Février 2015 en République Dominicaine dans la ville de Santiago. Le meurtre s’est déroulé dans un contexte de racisme toujours croissant contre la population haïtienne en République Dominicaine. Le jour même s’étaient déroulées des manifestations racistes qui parlent « d’invasion pacifique du territoire ». Rappelons également qu’en 2013 la Cour Constitutionnelle de la République Dominicaine avait rendu public un arrêt hallucinant, propre à créer d’innombrables apatrides : toute personne née après juin 1929 et ne pouvant prouver une migration légale ou une ascendance dominicaine (datant d’avant 1929) perd la nationalité dominicaine.

Cette loi, qui a pris effet ce 1er février précarise brutalement et plus encore une population déjà largement exploitée dans l’industrie de la canne et le tourisme – piliers de l’économie dominicaine. Cet état voisin d’Haïti, composé d’une population majoritairement métisse et blanche, lui aussi ancienne colonie européenne, perpétue sur les haïtienNes une oppression séculaire héritée de la négrophobie esclavagiste. On notera, entre autres indicateurs de l’ambiance générale, qu’un groupe en costumes du Ku Klux Klan avait défilé pour le carnaval en  2014. Interpellé, le ministre de la culture avait répondu que chaque groupe était « libre de choisir ses thèmes soit en utilisant des éléments de l’identité dominicaine ou de la culture universelle »…

Concernant le meurtre de Claude Jean Harry la police s’est empressée de proclamer que le meurtre n’était pas anti-haïtien. Aujourd’hui, elle semble considérer que Claude Jean Harry a été assassiné parce qu’il allait dénoncer les meurtriers d’une personne âgée. Quoi qu’il advienne de l’enquête la forme de l’assassinat n’est absolument pas anodine et ne peut être détachée du climat de haine contre la population haïtienne existant en République Dominicaine. Nous considérons aussi ce meurtre et sa portée symbolique comme un appel, parmi tant d’autres, à réfléchir aux dettes de nos luttes d’émancipation envers Haïti.

Il y a le corps d’un homme qui pend à Santiago. Battu à mort et pendu sur la place Ercilia Pepín. En République Dominicaine. 19 ans. Cireur de chaussures. Dans un pays où la haine gronde, où la haine expulse, chasse, où des manifestations vomissent leur racisme. Où tout un tas de touristes s’affalent sur des plages. Pieds et mains ligotés. Battu à mort. Il y a un corps qui pend. Mais la police l’a dit. Ce n’est pas raciste. Deux haïtiens en fuite. On se demande pourquoi. Pourquoi voudraient-ils fuir l’horreur qu’on prémédite?

Il y a un corps qui pend. Dont l’image circule en ligne. Sans respect comme d’habitude pour nos corps noirs. Comme s’il nous fallait le voir pour y croire. Comme s’il n’était pas un ami, un frère, un père, un fils qu’on ne souhaite pas croiser figé à vie dans l’image du supplice. Que vous là, vous oublierez probablement d’ici quelques temps. Mais pas sa famille. Et cette photographie attendra chaque personne aimante aux quatre coins de votre bêtise.

Il y a un corps qui pend. C’est celui d’une révolution qui fit une peur terrible au puissant Occident. Une peur inédite. Une peur définitive. Il n’y a pas de malediction mais la répétitive obstinée punition faite d’invasions guerrières et humanitaires, faite de corruptions organisées, de pillages, d’une dette injustifiable. Chaque fois qu’Haïti paye c’est une leçon aux noirEs qui rêveront d’être libres. Haïti paye le prix d’avoir dit : “C’est possible”

Il y a un corps qui pend. C’est celui de certainEs lâches des “Antilles françaises” qui caressent leurs chaines en se félicitant de ne pas être libres. “Parce que Dieu merci nous ne sommes pas Haïti.”

Mais il y a un corps qui pend mais qui n’est pas mort. Et qu’on ne pourra tuer. C’est celui du coeur qu’il faut pour vouloir être libre. C’est celui de l’indépendance.
Et ce courage immortel vit, respire dans le corps de cet autre corps qui pend et a l’air d’être mort. Claude Jean Harry. Le 11 Février 2015. Est l’enfant d’un pays qui a dit un jour : LIBRE. L’a dit pour Haïti et touTEs les noirEs du monde. À nous de le dire avec lui. Claude Jean Harry, à jamais libre.

Et nous, qu’allons nous faire pour être un jour libres et rembourser nos dettes à Haïti?

Cases Rebelles (février 2015)