Il est des dates funestes qui rappellent sans détour la violence avec laquelle la France et ses colons ont toujours réprimé les mouvements sociaux dans les terres qu’ils se sont sauvagement appropriées dans les Caraïbes. Le 14 Février c’est pour nous la date de deux massacres de la Saint-Valentin : celui du Moule, Guadeloupe, en 1952 et celui de Basse-Pointe, Martinique, sur l’habitation Chalvet en Février 1974.
Ces dates rappellent l’arrogance békée et son mépris de nos vies. Ces dates rappellent comment les luttes agricoles ont toujours été centrales et que souvent les grévistes payèrent un prix très fort du fait des répressions. Ces dates rappellent aussi qu’il n’y a jamais eu de justice pour ses innombrables blessé·e·s et mort·e·s en révolte dans toutes ces luttes qui eurent lieu après l’abolition. Ces dates rappellent aussi, à celles et ceux qui en douteraient encore, à quel point l’assimilation était et reste un mirage dangereux.
Aujourd’hui encore le pouvoir des békés est bien réel : la condamnation de la CGTG à 53 000 euros d’amende pour avoir écrit dans un tract que la famille Huyghues-Despointes « avait bâti sa fortune sur la traite négrière, l’économie de plantation et l’esclavage salarié » en témoigne. La criminalisation permanente des mouvements sociaux témoigne de cette alliance sacrée inchangée entre békés, justice coloniale, et France impérialiste. Mais face aux coups, aux morts, aux attaques judiciaires, les luttes et les mouvements ouvriers n’ont jamais cessé. Et c’est la seule réalité qui vaille face aux mensonges des images assimilationnistes, et doudouistes, reconstruites sans cesse par les médias et l’industrie touristique. La lutte est la seule réalité qui vaille face à l’empoisonnement de tout un peuple au chlordécone et le déni de responsabilité de l’État français le plus paternaliste qui soit.
1952 : La Guadeloupe et le massacre du Moule
Le mouvement qui fut réprimé dans le sang le 14 Février 1952 en Guadeloupe avait débuté en 1951 dans le Nord de Grande Terre suite à un énième échec de négociations avec les békés. Il s’agit de revendications d’ouvriers de la canne pour une augmentation de la rémunération journalière et l’allègement des tâches. Elles vont s’étendre à une demande d’augmentation du prix à la tonne de la canne. Le mouvement va prendre de l’ampleur et s’étendre aux fonctionnaires qui réclament également une augmentation de leurs salaires. Un appel à la grève générale est lancé. En Février 52 au Moule, les ouvriers en lutte de l’usine Gardel ont dressé des barrages. Mais à ce moment-là la sentence habituelle du pouvoir béké et du pouvoir préfectoral à sa botte a sonné : usiniers et CRS sont parés, la réponse sera sanglante. Les CRS français vont tirer sur la foule le 14 Février. Le bilan connu est de 4 morts (Constance DULAC, Capitolin JUSTINIEN , Édouard DERNON et François SERDOT) et 14 blessés. Ces victimes sont commémorées chaque année. Le pouvoir économique des suprématistes békés et leur mépris social et racial sont restés intacts.
1974: La Martinique et le massacre de l’habitation Chalvet
C’est en Janvier 1974, au Lorrain, que les ouvriers de la banane débutent une grève. Les revendications sont multiples : augmentation du salaire de la journée de travail, paiement effectif des heures supplémentaires, paiement intégral du salaire à la fin de chaque semaine, suppression totale des produits toxiques, pause de midi de 12h à 13h sur toutes les habitations ainsi qu’un quart d’heure pour le repas du matin, amélioration des conditions de travail, etc. La liste complète des revendications est disponible ici.
Parallèlement, le malaise social qui couve dans de nombreux secteurs économiques éclate au grand jour. La CGTM (Victor LAMON), la CFDT (Line BEAUSOLEIL), la CGT-FO (Frantz AGASTA), la FEN préparent depuis plusieurs mois un mouvement de grève générale qui est fixé au 12 Février.
La grève générale se traduit par une immense manifestation qui rassemble plus de 4 000 personnes dans les rues de Fort-de-France. Les syndicats eux-mêmes sont surpris par l’ampleur de la mobilisation. Ouvriers du bâtiment, dockers, travailleurs de l’industrie, employés des administrations, enseignants, lycéens, ils sont tous dans la rue. Un tract signé d’un groupe de dockers avait apporté son soutien aux ouvriers agricoles, mais la grève sur les habitations et le mouvement qui se déroulent en ville sont parallèles, sans qu’on puisse les confondre.1
En début de matinée, le 14 Février, des grévistes de l’Habitation Vivé quittent le Marigot pour se diriger vers Basse-Pointe. À l’habitation Chalvet les ouvriers furent attaqués par 14 cars de 200 gendarmes en armes appuyés par un hélicoptère. Ilmany RÉNOR est tué. On apprend aux moments de ses obsèques que Georges Marie-Louise PLACIDE, jeune ouvrier maçon de 19 ans, avait été retrouvé mort aux bords de l’eau pas loin de la fusillade : son corps portait des traces de torture. Il y eut également 5 personnes blessées gravement. Cette répression suscite de vives protestations et déclenche une manifestation le 15 Février dans les rues de Fort-de-France. Ce drame va précipiter la fin de la lutte mais le protocole d’accord signé le 19 février par la CGT avec les patrons est très en deçà des multiples revendications du mouvement .
Dans la culture populaire, le chanteur Kolo Barst, originaire de Basse-Pointe a immortalisé les événements avec sa chanson « Févryé 74 » dont nous parlions ici :
Voilà ; ce n’était qu’un bref rappel. Voilà pour nos Saint-Valentin. Ces deux histoires sont racontées avec plus de détails dans notre livre 100 portraits contre l’État policier. Honneur, amour et paix aux combattant·e·s et aux victimes.
Pour aller plus loin :
Le Moule, 14 février 1952 : Autopsie d’un massacre, article de Christian Schnakenbourg dans le bulletin de la Société d’Histoire de la Guadeloupe, Numéro 170, Janvier, Avril, 2015.
Chalvet, la conquête de la dignité, documentaire de Camille Mauduech, 2014.
http://www.mairie-basse-pointe.fr/?q=node/108
http://ugtg.org/rubrique_68.html
http://www.edilivre.com/le-massacre-de-la-saint-valentin-au-moule-joseph-yancolo.html#.VsBtqOZqO6Q
http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2009/02/16/1425603_massacre-de-la-saint-valentin-le-14-fevrier-1952.html
http://martinique.la1ere.fr/2013/02/14/le-marigot-se-souvient-de-georges-marie-louise-tue-en-1974-15119.html
https://la1ere.francetvinfo.fr/2014/02/10/camille-mauduech-revient-sur-la-repression-de-chalvet-en-1974-en-martinique-119179.html
Cases Rebelles (14 Février 2016)