Aux Comores, deux femmes faussement accusées d’avoir voulu se marier sont en prison depuis plus d’un mois

Maison d'arrêt de Moroni (2024)
Maison d’arrêt de Moroni (crédit :  Faïza Soulé Youssouf, 2024  )
Le 6 juin dernier à Moroni aux Comores, deux femmes ont été présentées au juge et incarcérées suite à une dénonciation mensongère prétendant qu’elles auraient demandé à être mariées devant le Cadi, une allégation démentie par ce dernier. Ces fausses accusations surfent sur la vague d’indignation et de haine lesbophobe qui déferle en ligne depuis le mariage à Mayotte d’une réunionnaise et d’une comorienne. Mais elle est également à mettre en rapport avec un emballement mondial de la haine LGBTQiphobe dont la France n’est absolument pas exempte.
L’association Bora, une association féministe qui lutte pour les droits des femmes comoriennes, en France et aux Comores, a rapidement réagi et lancé une cagnotte pour qu’elles aient toutes deux accès à la meilleure défense juridique possible. Elles nous racontent l’affaire et nous expliquent pourquoi il est impératif que nous soutenions les deux accusées de toutes les manières possibles.
Est-ce que vous pouvez revenir sur les faits qui ont conduit deux Comoriennes, accusées d’être lesbiennes, en prison ?

Deux Comoriennes sont accusées par la rumeur de s’être présentées chez un cadi (juge musulman) pour se marier religieusement. La rumeur est si persistante dans ce pays musulman et très conservateur qu’une information judiciaire est ouverte après une dénonciation aux autorités. Après enquête, le procureur de la République, Ali Mohamed Djounaid, n’a pas pu établir qu’elles s’étaient effectivement présentées à cette autorité religieuse pour demander à être mariées. Le cadi de la localité en question a affirmé à des journalistes avoir entendu parler de cette affaire le jour de leur arrestation et n’avoir jamais reçu les deux mises en cause.

En revanche, le procureur de la République affirme être sûr « que les deux jeunes filles entretiennent une relation amoureuse ». Après une garde à vue de 4 jours le 8 juin (alors que la durée légale de la garde à vue est de 48h maximum) et leur première comparution devant un juge, sans même l’assistance d’un avocat, les filles, qui sont également footballeuses, sont placées à la maison d’arrêt de Moroni, régulièrement dénoncée pour son insalubrité, sa promiscuité et sa surpopulation.

Que risquent-elles ?

Pour la justice comorienne, une relation homosexuelle constitue une atteinte aux bonnes mœurs et contre nature, une infraction passible de 2 ans d’emprisonnement et 600 euros d’amende. L’homosexualité n’est pas mentionnée explicitement dans le Code pénal.

Mais cette arrestation intervient dans un contexte particulier. Fin mai, une Réunionnaise et une Comorienne se marient civilement dans le département français de Mayotte, toujours revendiqué par les Comores. Cette union suscite une énorme polémique aux Comores. Les religieux et une bonne partie de la population semblent craindre une espèce de contagion et multiplient les mises en garde. Les réseaux sociaux s’emballent, il y a même une prière organisée dans la capitale contre le lesbianisme. C’est dans ce contexte que nait l’affaire des deux filles présentées comme lesbiennes aux Comores, sur la base d’une simple rumeur.

Est-ce que vous avez des nouvelles récentes d’elles ? Par quels moyens êtes-vous en contact ? Où en est l’affaire ?

Oui, j’ai de leurs nouvelles mais je ne préfère pas préciser mes sources, l’affaire étant assez sensible.  Les prévenues ont eu du mal à avoir un avocat parce qu’elles viennent de familles d’origine modeste. Aux Comores, les avocats commis d’office ne sont prévus que dans le cadre d’affaires criminelles. Je suis donc seulement depuis peu en contact avec leur avocat. J’ai pu également compter sur les journalistes qui ont couvert cette affaire pour Le Monde et El Pais pour avoir des informations concrètes sur l’avancée de l’affaire.

Je sais donc qu’une première demande de liberté provisoire a été rejetée, et nous attendons le verdict après qu’un appel a été déposé.

Il faut savoir que la détention provisoire aux Comores est de 4 mois, renouvelable une fois en théorie. Dans la pratique, beaucoup de détenus dépassent largement le délai légal pour peu qu’ils n’aient pas d’avocats ou de personnes importantes en position d’intervenir en leur faveur. Nous craignons qu’avec le temps, la mobilisation retombe et que leur sort tombe peu à peu dans l’oubli.

Le procureur de la République avait assuré que le procès allait se tenir rapidement. Mais cela va faire bientôt deux mois que ces jeunes filles sont privées de leur liberté, sans qu’aucune preuve ou élément tangible ne leur ait été opposé, autre que la rumeur qui court dans leur village.

Pour nous, cela démontre le problème posé par ce genre de législations homophobes, héritage colonial encore très présent sur le continent africain. Loin de concerner une minorité, ces lois portent atteinte à la liberté et au droit de tous. Et même si cette affaire trouve une issue favorable, nous nous interrogeons sur l’après. Que vont devenir deux jeunes filles pauvres après avoir été des mois en prison et avoir été la cible de rumeurs sur leur orientation sexuelle dans un pays aussi conservateur ? Quelle possibilité de réinsertion ? Quel niveau de protection la société pourra-t-elle leur offrir ? Et enfin quel avenir pour elles dans ce pays ? Pour l’instant, nous ne sommes pas en mesure de répondre à ces questions.

Justice pour deux Comoriennes victimes de la rumeur (cagnotte portée par l'association Bora)
« Justice pour deux Comoriennes victimes de la rumeur » (cagnotte portée par par l’association Bora)Partager, participer : cliquer ici.
Comment l’argent récolté va-t-il servir ?

Nous avons identifié plusieurs postes de dépenses pour les familles que cette cagnotte viendra soulager :

• Les frais de justice,
• Les honoraires de l’avocat,
• La nourriture à la prison et le coût des déplacements pour les visites familiales,

Plus la situation s’éternise, plus les besoins vont en augmentant. Même si elle atteint sa cible, cette cagnotte sera loin de les couvrir entièrement.

Merci à Cases Rebelles !

(Interview réalisée le 16 juillet 2024 par Cases Rebelles.)

Tous nos remerciements à l’association Bora.
On compte sur vous pour partager, donner, booster cette cagnotte et donner de la force aux soeurs emprisonnées. Nous croyons à la puissance  des solidarités transnationales d’ici à là-bas et de là-bas à ici face aux forces réactionnaires de partout.
Par ailleurs, nous vous rappelons que l’Association Bora a sorti récemment le volume deux des Lettres du Bangwé. Nous avions beaucoup aimé le premier volume de ce recueil féministe. Nous ne pouvons que vous conseiller l’achat et la lecture des deux volumes.  Force à vous, force à nous !