Cynthia : le combat d’une mère

Publié en Catégorie: AFROEUROPE, VIOLENCES INTRA-FAMILIALES
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CYNTHIA : LE COMBAT D'UNE MÈRE

Elle ne souhaitait que la protection de son enfant. C’est pour cette raison qu’elle ne l’avait pas remis au père, contre qui une plainte pour « agression sexuelle et violences volontaires » a été déposée. Il y a 8 mois, le placement de J., 5 ans, a été ordonné par une juge et l’enfant a depuis été confié à l’Aide sociale à l'enfance (ASE). Aujourd’hui, malgré l’immense douleur de la séparation et l’effroi des violences traversées par son fils, la mère doit faire bonne figure, se confronter à d’infinies procédures pour qu'ils soient de nouveau réuni·es et espérer en même temps la justice.
Où l’on parle des tribulations de la dite « protection de l’enfance » et de ses conséquences dramatiques.

[TW : Violences sexistes, violences sexuelles, pédocriminalité, injures racistes et validistes (dans documents en lien)]

Mother and son, Elizabeth Catlett (1971)

Par Cases Rebelles

Mars 2023

Quand elle évoque la relation avec son ex conjoint1 , Cynthia parle d’emprise. Dans cet article paru en novembre 2020 sur Médiapart, elle détaillait son « parcours de combattante ». Un communiqué du « Justice pour CJ » en date du 24 janvier 2023 ainsi qu’un article de l’association Protéger l’enfant rappellent quelques éléments extrêmement violents.

Mais, aujourd’hui, c’est avant tout pour son enfant que Cynthia se bat. Quand elle raconte, elle est calme, raisonnée. « Le père, lui, veut faire croire que c’est un conflit parental mais c’est pas un conflit parental ; on est dans une situation de violences intra-familiales qui s’inscrit dans un continuum de violences ininterrompu. » L’émotion est palpable mais malgré cela, elle égrène avec précision les procédures successives et revient sur la combinaison de malveillance, de violences et d’incompétence qui a abouti au placement de J., âgé de 5 ans, depuis le 30 juin 2022. La situation semble d’autant plus choquante qu’avant ça, l’enfant était revenu de chez son père avec des blessures qui ont abouti, suite aux constats d’un médecin de l'UMJ (Unité Médico-judiciaire), à un dépôt de plainte pour « agression sexuelles et violences volontaires ». Une enquête est en cours. Comment se fait-il qu’il ait été, dans de telles circonstances, enlevé à sa mère ?

Ce placement a été décidé par une juge des enfants au tribunal judiciaire de Paris, qui a été saisie le 22 juin par le père de mon fils. Cette saisine a été faite sur le principe d’une dénonciation calomnieuse puisqu’en fait le père a adressé à cette juge un rapport psychiatrique, rapport établi lors d’une garde à vue dont j’ai fait l’objet au mois de mars.

Cynthia s’est retrouvée en garde à vue le 23 et 24 mars 2022 pour « non-représentation d’enfant ». Lors de son séjour précédent chez son père, celui-ci était revenu avec des traces de coups et tenait des propos qui exprimaient de la peur. Cynthia avait déposé plainte pour « violence par ascendant ».
Malgré cela, le 15 février 2022 un Juge des Affaires familiales avait ordonné la résidence habituelle de J. au domicile du père. D’où la non-représentation d’enfant, la garde à vue et le fameux rapport...

C’est un rapport qui a été rédigé sans aucune réquisition et qui est à l’entête du tribunal judiciaire. J’ai eu une vraie expertise faite par un expert, lui, enregistré auprès de la Cour de cassation et de la Cour d’appel, qui a complètement démenti ce rapport. Parce que dans ce rapport ce médecin, qui n’est pas expert mais qui a été appelé par un OPJ2 du commissariat central du 4ème arrondissement, indique que je serais paranoïaque, sauf que c’est faux, c’est mensonger.

Me Gitton, l'avocat de Cynthia, explique : « Il s'avère que ce rapport devrait être contre-signé par un magistrat ou un officier de police judiciaire, être précédé d'une prestation de serment, et également de réquisitions judiciaires, mais il est dénué de tout cela. C'est donc un faux. » Mais le document du psychiatre a des conséquences désastreuses : « En fait il lui a retiré tout crédit, tout crédit à sa parole, tout crédit aux alertes qu'elle lançait, puisque finalement un.e paranoïaque on ne l'écoute plus. »3
Cynthia a déposé plainte tant pour les conditions de la garde-à-vue du mois de mars 2022 que pour « faux en écriture publique » concernant le rapport du psychiatre, qui a eu un impact déterminant dans la décision de placement. « Ce rapport a causé un tort considérable à [ma cliente] puisque les magistrats n'ont pas fait attention, et finalement délèguent leur responsabilité sur ce médecin, et disent que Cynthia est une paranoïaque à qui il faut retirer l'enfant, » ajoute Me Gitton.

En 5 ans, vu que le père de mon fils est très procédurier, y en a eu des expertises où j’ai eu des examens, je n’ai jamais été diagnostiquée comme souffrant d’une pathologie mentale. Ce psychiatre, lors de la garde à vue, a donc fait ce rapport et le véritable expert, qui va m’examiner quelques mois après, va même découvrir qu’il y a un copier-coller d’un ouvrage, qui fait croire que je suis atteinte de paranoïa. En fait il met mon nom et ensuite vient un long texte, on pourrait croire qu’il détaille mon état, sauf qu’en fait c’est le copier-coller d’un manuel de psychiatrie. Donc c’est à partir de ces éléments-là que cette juge, avec aussi une prétendue allégation que je risquais de m’enfuir en Martinique — je rappelle quand même que la Martinique c’est un département français et que ce n’était pas mon intention —, a donc décidé de faire usage de la force publique pour récupérer mon fils, sauf que cette juge ignorait que lors du dernier passage de bras4 j’ai récupéré mon fils qui se plaignait d’avoir mal aux fesses, que tout de suite je l’ai emmené chez un médecin qui a constaté des ecchymoses sur son torse et une fissure anale, que tout de suite je vais me rendre au service de police pour faire une déclaration, que les services de police vont m’envoyer au service de l’unité médico-judiciaire, que l’unité médico-judiciaire va constater les mêmes faits sur mon fils.

Cynthia dépose une plainte contre son ex compagnon. Dans le procès verbal d’audition figurent les propos d’un fonctionnaire de police lui indiquant de ne pas remettre l’enfant à son père, nous rapporte l’avocat de Cynthia.

Pour cette dernière, la magistrate qui a décidé du placement n’a pas fait les recherches nécessaires pour comprendre pourquoi il n’y avait pas eu de remise au père. J. s’est ensuite vu arraché à sa mère dans des conditions particulièrement traumatisantes, et tout à fait exceptionnelles selon Me Gitton  : la police, accompagnée de deux agents de l'ASE, a défoncé au bélier la porte du domicile de Cynthia. « Des policiers avec des boucliers, des casques , des jambières, des tasers, des bombes lacrymogènes sont entrés dans l’appartement » relate Cynthia. Même les pompiers ont été réquisitionnés et attendent à l’extérieur avec une grande échelle.
On imagine le choc pour Cynthia, sa mère qui était présente et J. Ensuite, c’est le placement : direction l’ASE5 ! L'enfant est même emmené sans que sa mère et son avocat n'ait eu, ce jour-là, lecture de la décision de placement. Me Gitton, qui alerté, les avait rejoint, en reste stupéfait : « Il est tout à fait impossible, inepte dans une démocratie, que l'on puisse mettre un tel titre à exécution sans lecture préalable. »
Aujourd’hui, comme si tout cela ne suffisait pas, le service veut envoyer J. dans l’Yonne, loin de sa mère et de sa grand-mère. Cette perspective d’aggravation de la séparation mine terriblement Cynthia et les implications sont effectivement énormes :

Je travaille. Ça va me faire faire deux heures aller, deux heures retour pour une heure de visite. Donc bien évidemment sur une journée, c’est de l’ordre de l’impossible. Pour pouvoir voir correctement mon fils… On vous dit : « Il va dans l’Yonne, ce sera à Sens. » Ben non, non, parce que le lieu de visite soi-disant qui a été désigné sous traite, il est à plus de 50 minutes de la gare de Sens. Pour aller de Paris à Sens vous mettez une heure trente, sauf que le lieu de visite, il est à plus de 50 minutes. Donc ça voudrait dire qu’il faudrait que je séjourne, que je trouve un hôtel juste à côté du lieu de visite. J’ai essayé de budgétiser, ça va me faire 480 euros par mois.
Et quel employeur va me laisser prendre comme ça deux jours de congés — ou même un jour de congé — si je pars et prends le dernier train le soir ? Quel employeur va me laisser faire ça ? Sur quelle durée, sur quel temps ?

Cette nouvelle menace qui plane sur sa vie rappelle à Cynthia le triste sort des enfants réunionnais, arrachés à leurs mères et envoyés dans la Creuse. « On a vu les conséquences sur tous ces enfants maintenant qu’ils sont devenus adultes, tous les traumas qu’ils ont eus... »

À charge

Ces dernières années, les dysfonctionnements de l’ASE dans son ensemble ont fait régulièrement l’objet d’articles, de documentaires, d’enquêtes, etc. Le bilan n’est pas brillant et beaucoup de problèmes graves ont été mis en lumière et révélés au grand public. Les placements abusifs en font partie. L’histoire de Cynthia et J. n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Pauline Bourgoin : sa fille avait été placée alors qu’elle venait de déposer plainte pour violences intrafamiliales et qu’il existait de fort soupçons d’inceste contre le père.

Cynthia, outre la terrible privation qu’elle vit, a dans ses rapports avec l’ASE le sentiment d’être sans cesse jugée, réprimandée voire méprisée, par des agents institutionnels qui ont un pouvoir énorme sur le devenir de son enfant et son vécu parental. C’est comme s’il était impossible qu’elle agisse correctement.
Elle nous explique par exemple, entre consternation et incompréhension, qu’on lui a reproché de ramener trop de livres à son fils.

Pas des gadgets, hein ; des livres… Je lui donnais de la peinture, on me l’a rendue sous cellophane. Tout ce que j’ai donné comme loisir créatif, on m’a tout rendu. On m’a tout mis dans un sac et on m’a dit : « Tenez , vous partez avec ».

Par ailleurs, l’histoire que Cynthia nous raconte au sujet des cheveux de J. est glaçante :

J. avait les cheveux longs et on m’avait déjà prétendu qu’il voulait se couper les cheveux. Lors d’une visite, je lui ai demandé s’il voulait se couper les cheveux par envie — ce qui était son droit — ou est-ce qu’il voulait se couper les cheveux parce qu’on lui faisait mal. Le foyer où il est hébergé m’a interdit de coiffer mon fils. (...) J’ai donné à ce lieu tous les produits capillaires nécessaires, j’ai même proposé de payer un coiffeur s’il le faut pour mon fils, ce qui m’a été refusé ; on prenait les produits soi-disant mais en fait J. m’a révélé qu’on lui faisait mal quand on le coiffait et que donc en fait pour ne plus avoir mal fallait peut-être couper les cheveux. À l’ASE, l’agent et la psychologue m’ont dit : « C’est dans mon pays, dans ma culture, dans les traditions de mon pays que les garçons ont des nattes, ont des cheveux longs, mais qu’en France c’était les filles qui avaient les cheveux longs. » On est le 30 novembre. Le 5 décembre je reçois une ordonnance judiciaire de la juge qui ordonne que l’on coupe les cheveux de mon fils. Parce que le 29 novembre, la veille du jour où ils ont abordé ce sujet avec moi, ils avaient déjà envoyé une note au juge à charge pour demander qu’on coupe les cheveux de mon fils.

Eurocentrisme, racisme ? Vision rétrograde des constructions genrées ? On a de surcroît l’impression que les spécificités et les désirs de l'enfant sont sacrifiés au profit d’une efficacité de gestionnaire qui s’accorde mal avec la recherche de son bien-être. Pour la maman, cette ordonnance est doublement signifiante : « Dans les écrits du père quelques mois avant, j’ai pu lire qu’il demandait qu’on coupe les cheveux de mon fils afin de rompre le lien qu’il avait avec moi. »

Par ailleurs, tout ce qui est lié à Cynthia semble faire l’objet d’une suspicion disproportionnée de la part des institutions. Atterrée, elle raconte : « Mon fils m’a croisée dans la rue. Ils ont fait une note incident au juge, pour dire quoi ? L’enfant était heureux de voir sa mère. Et ça mérite une note incident ? C’est un incident qu’un enfant soit heureux de voir sa mère ? »

Protection de l’enfance ?

Cynthia nous explique que J. a toujours été constant dans ses déclarations concernant son père. Des propos d’une extrême crudité tenus par l’enfant, âgé de 5 ans, sont d’ailleurs repris dans le communiqué que vous pouvez lire ici.
Si l’on ajoute à cela les propos et les actes d’une grande violence rapportés par Cynthia il nous est difficile de comprendre comment la justice a pu décider de séparer l’enfant et sa mère après qu’ils ont été exposés à tout cela. Difficile de comprendre comment il a pu être reproché à Cynthia de ne pas avoir remis l’enfant au père.
Cynthia s’inquiète de surcroît d’une légèreté peu compréhensible de l’ASE quant à la santé de J. :

J'ai des suivis médicaux mis en place par sa pédiatre, on lui refuse le droit de voir sa pédiatre. Je me suis battue pour qu’on lui maintienne le droit à ses soins orthophoniques. Il a des soins orthophoniques deux fois par semaine, et J. a une hypertonie qui est réactionnelle — c’est une démarche où il marche sur la pointe des pieds, c’est comportemental. Cette démarche s’est aggravée depuis qu‘il est placé. Et bizarrement, alors qu’il a une prescription médicale, on se refuse à ce que mon fils puisse revoir son kinésithérapeute. L’école a alerté que J. avait une démarche sur la pointe des pieds, que ça s’était aggravé.

Défense collective

Cynthia est depuis quelques temps épaulée et soutenue par le comité d'entraide #JusticePourCJ. Il est « composé de personnes engagées pour la protection de l'enfance, de soignantes, de militant.e.s féministes, anti-racistes, qui se mobilisent pour que Cynthia et J. ne vivent plus cette escalade de violences masculines, enfantistes et institutionnelles dans l’isolement ». Il est notamment composé de l'association Protéger L'enfant, du Réseau Entraide et Vérité, du Docteur Muriel Salmona, de la Marche féministe anti-raciste et de l'union des Femmes de Martinique.
Les soutiens sont nombreux et tant mieux : chaque jour qui prolonge cette séparation est une injustice pour Cynthia et son enfant.

Je demande à ce qu’on voit. Je demande à ce qu’on voit mon fils. Je demande à ce qu’on entende mon fils, qu’on m’entende.

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Pour soutenir Cynthia :
- Vous pouvez suivre ou contacter le comité JusticepourCJ sur leurs réseaux ici et ici.
- Une cagnotte de soutien aux frais juridiques de Cynthia a été ouverte ici ; partagez et participez si vous le pouvez.

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Image : "Mother and son", Elizabeth Catlett (1971)

  1. tous les propos de Cynthia cités ou rapportés ici sont tirés d'un entretien réalisé avec elle le 7 janvier 2023 []
  2. Ndlr : Officier de Police Judiciaire []
  3. Propos recueillis lors d'un entretien téléphonique le 23 février 2023 []
  4. Ndlr : Terme juridique qui désigne le moment où les parents se croisent pour se confier l’enfant. []
  5. aide sociale à l'enfance []