PERSPECTIVE
En forme impériale
Quelques réflexions sur les visages du colonialisme actuel et sur l'impunité.

Par Cases Rebelles
Mai 2025
L’affaire de chacun ne cesse plus désormais d'être l'affaire de tous parce que, concrètement, on sera tous découverts par les légionnaires, donc massacrés, ou on sera tous sauvés.
Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, 1961
Il n’est absolument plus l’heure de pointer les contradictions de prétendu·es humanistes ou de démocraties en quête de lumière.
Un spectre étendu d’acteur·ices politiques affichent la brutalité comme projet politique et les régulations que les grandes puissances s’étaient imposées pour modaliser leurs soifs impérialistes partent en fumée.
Le plus évident c’est l’œuvre génocidaire et le projet de nettoyage ethnique d'Israël, un pays soutenu par les plus grandes puissances mondiales, collaborant plus ou moins activement avec l’horreur en marche.
La sécurité sert de prétexte à une politique d’annihilation.
Mais l'élimination est au cœur de tout projet colonial.
Le point de départ c'est toujours la table rase. Envahir des espaces déjà habités et les considérer comme vides, vides de toutes vies, de tous désirs.
Éliminer. Supprimer la réalité qui précédait.
Le reste n’est que de la littérature de justification.
Dans Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, le personnage principal Marlowe analyse ainsi le projet colonial : “La conquête de la terre, qui signifie principalement la prendre à des hommes d’une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plus plat, n’est pas une jolie chose quand on la regarde de trop près. Ce qui la rachète n’est que l’idée.”
Au fil de son aventure, il ne cessera de constater que l’Occident est très loin d’être à la hauteur de ce qui n’est qu’un alibi philanthropique.
La tension actuelle réside dans le fait qu’un certain nombre d'États, malgré l’existence du droit international, reviennent, avec plus ou moins de fard, au droit du plus fort le plus décomplexé qui soit. Au diable donc les alibis.
Les annonces apaisées de futur nettoyage ethnique se font au grand public avec le sourire et rencontrent l’assentiment des médias aux ordres, ou au mieux de timides questionnements.
Et il n’est pas étonnant que depuis l’offensive à Gaza, nombre de journalistes, de politiques et aussi une partie du grand public indien réclament une solution à l’israélienne pour le Kashmir : l’impunité coloniale et génocidaire fait des émules.
Malgré l’effroi, il est difficile d’être surpris.
L’absence de justice, de réparations imposées pour les crimes coloniaux, leur légitimation voire leur glorification ne peut que mener à la régénération perpétuelle des politiques impérialistes.
Quand Trump, président d’une terre volée à un peuple génocidé, envisage l’annexion du Canada ou du Groenland il sait qu’il s‘adresse à des impérialistes.
Il joue d’une grammaire qui le précède de plusieurs siècles.
Nous sommes juste à un moment où les puissants rompent avec des précautions stylistiques et des aménagements très récents — un peu plus d’un demi-siècle — qui visaient à maquiller le fait colonial.
On revient à ce qui a été la règle pendant des siècles : le droit du plus fort, l’absence absolue de morale et la prédation effrénée.
Et tout ceci avec les certitudes racistes que la vie et la survie des sien·nes valent infiniment plus que la vie des Autres.
Les exemples des états-nations étasuniens, israéliens montrent bien qu’il est toujours possible ultérieurement ensuite de fantasmer une histoire fictionnelle, d’agencer des discours qui transformera les pires violations en nécessité, voire même un acte glorieux, valeureux.
Et le génocide ne sera plus que le malencontreux à côté d’une entreprise formidable.
La presse aux ordres ne s’y trompe pas, elle qui n’a cessé depuis le début de l'offensive à Gaza d’inventer et réinventer dans le feu de l’action une novlangue justificatrice du pire. Et si l’histoire un jour s’avise de les juger, les mêmes diront “on ne savait pas” alors qu’iels savaient très bien.
L’embrasement dont la Kanaky a été le théâtre il y a un an est aussi le fruit du retour de ce colonialisme décomplexé, de ce profond désir de faire taire par la force, de revenir sur ses promesses par l’humiliation, la terreur et le meurtre.
Parce qu’on peut le faire. Il est même possible, sans rire, d’inverser les valeurs et d’accuser les kanak de racisme anti-blanc. Peu importe les milices de colons armés, qui en rappellent d'ailleurs bien d'autres.
Il vous faut sérieusement reconsidérer les fables qui se racontent pour expliquer qu’il existerait une France d'outre-mer ou des outremers, justifiés par autre chose que la violence et la domination pluriséculaire. Il vous faut sérieusement reconsidérer ces mots "outre-mer", "ultramarin" que notre collectif n'utilise jamais.
La France est un pays colonialiste, esclavagiste qui a imposé des contrats de renégociation coloniale aux territoires qu’elle refusait de perdre, accompagnés de la promesse jamais tenue de plus de justice sociale. Tout ce qui vise à cacher cela entretient l'impérialisme.
La colonisation ne peut disparaître que si les nations fondées sur l'impérialisme sont jugées et condamnées.
Faute de moyens pour imposer des jugements impliquant de véritables conséquences c'est-à-dire de moyens permettant d’envisager une situation qui ne soit pas la situation coloniale, faute de pouvoir faire juger les impérialistes par des acteurs qui ne sont pas eux aussi des impérialistes, Nations-Unies et autres institutions internationales sont condamnées à multiplier les déclarations creuses et les condamnations sans effet.
Il n’y a pas de degré acceptable de colonisation parce que la colonisation ne connaît ni la satiété ni la régulation spontanée.
Elle vit d’expansion, elle vit d’élimination.
Cases Rebelles, mai 2025.
Signez et faites signer la pétition contre la dissolution d'Urgence Palestine.