PERSPECTIVE
Faut-il toujours se battre ?
Inès DIENG est la jeune nièce de Lamine Dieng, qui fut tué le 17 juin 2007 par des policiers dans le 20e arrondissement de Paris. Elle a écrit ce texte dans le cadre d'un concours d'éloquence dont le sujet était "Faut-il toujours se battre?". Il s'agit tout autant d'une réflexion sur le sens du combat politique que le témoignage du lourd tribut que paye une famille toute entière à la violence d’État.

Par Inès DIENG
Avril 2025
Le 17 juin 2007, mon oncle est décédé.
Dans la nuit du 17 juin 2007, mon oncle est trainé sur le bitume du 20e arrondissement de Paris par une équipe de 8 gardiens de la paix et jeté dans un fourgon de police.
Le 17 juin 2007, 5 policiers s’agenouillent sur son corps face contre terre de sous le regard complice de 3 autres.
Le 17 juin 2007, il est écrasé par ce qui représente à peu près 300kg et étouffe dans son vomi, son cerveau gonfle, s’échappe de la boîte crânienne et coule dans sa nuque.
Le 17 juin 2007, mon oncle rend son dernier souffle sur le plancher d’un fourgon de police après 30min d’intervention.
On l’a pas su tout de suite, ils ont appelé 36h après pour signaler son décès mais on n’a pas SU. On n’a pas su comment il était mort, dans quel contexte etc. La première expertise médicale a été orientée, ils ont dit qu’il était mort d’une overdose de cannabis.
Donc mes tantes ont décidé de se battre, d’abord pour la vérité, pour savoir et obtenir des réponses à nos multiples questions…Puis contre ces policiers protégés par un système judiciaire complice et coupable indirectement de ces actes barbares.
Donc pendant une dizaine d’années, appels à témoin, réunions avec d’autres familles de victimes ou d’autres militants, marches, manifestations, interviews, recours juridiques, procès mais aussi non-lieux se sont succédés…
Jusqu’à ce qu’en 2020, l’affaire passe en dernier recours à la Cour européenne des droits de l’Homme et que l’État soit reconnu coupable et doive nous dédommager pour le meurtre de mon oncle…
Moi je vous dirais qu’on a perdu, car malgré tous les policiers sont toujours en exercice à ce jour et les institutions françaises n’ont pas cessé de les protéger, de nier, de justifier leur crime et de criminaliser mon oncle… Les institutions françaises sont tout autant coupables que ces 8 fonctionnaires. Je vous dirais qu’on a perdu. Parce que finalement l’argent ne ramènera ni mon oncle, ni la joie, ni la vitalité qu’on a perdues et en fait, les véritables auteurs peuvent continuer de vivre leur vie alors qu’eux ont détruit la nôtre, que chez moi on pleure encore la disparition de mon oncle même 17 ans après.
Faut-il toujours se battre?
Non… Une partie de moi sûrement égoïste, blessée, en colère et profondément déçue vous dirait que non.
Non il ne faut pas toujours se battre.
Parce que se battre c’est aussi renoncer, se laisser consumer par la cause défendue, s’y dédier et en faire une part de nous-mêmes pendant le temps que ça dure ou même après…
Ça peut être douloureux, ça l’a été. Et comment lorsqu’on s’est tant imprégné de notre cause, accepter de perdre particulièrement quand elle est aussi significative… Parce qu’en réalité se battre, c’est également envisager et parfois accepter le fait que l’on puisse perdre comme gagner mais à la différence des films ou des contes merveilleux, le bon côté, le côté le plus juste ne l’emporte pas toujours…
On n’a pas toujours les épaules pour supporter de se faire violence, de lutter et de voir que ces efforts ne portent pas les fruits voulus/désirés/attendus.
Mais en même temps… On m’a toujours appris à me battre, enfin à me défendre surtout, mais aussi à défendre ceux que j’aimais et ceux qui en auraient besoin… J’ai grandi en apprenant à ne jamais laisser qui que ce soit m’opprimer, me marcher dessus. Alors une plus grosse partie de moi vous dirait de vous battre, de toujours vous battre parce qu’il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets et parce que ça peut être utile…
Dans notre cas, ça a permis à mes tantes de créer un collectif qui peut maintenant venir en aide et mettre en relation les familles des victimes de violences policières. Notre lutte servira à d’autres personnes et des gens iront plus loin que là où on a dû s’arrêter.
J’espère que notre bataille servira d’exemple, que quelqu’un se battra en se disant que lui aussi en est capable car les DIENG l’ont fait, que ça donnera le courage à quelqu’un d’autre d’oser le faire et la force de continuer
Si vous ne deviez retenir qu’une chose de mon discours ça serait qu’il faut vous battre.
Battez-vous, battez-vous pour vous, pour ce qui vous tient à cœur, pour ce que vous jugez juste, pour ce qui a besoin d’être défendu… Battez-vous sans cesse s’il le faut, jusqu’à ce que vous soyez épuisés si vous en trouvez la nécessité, battez-vous car les luttes les plus virulentes sont celles qui ont apporté les plus grands progrès.