En Juin 2014, les London Black Revs faisaient la une, suite à une opération nocturne qui consistait à verser du ciment sur des pointes anti-sdf placées à l’extérieur d’un magasin Tesco. Ce recours à l’action directe allait marquer de nombreux esprits, qu’il s’agisse de médias ou de militantEs ; au Royaume-Uni et même en France. Le groupe, composé de noirEs et d’asiatiques, ouvrait de nombreuses perspectives pour des activistes potentielLEs parfois jusque-là coincéEs derrière leurs écrans ou leurs envies. C’est in medias res, au cœur de ce moment charnière, que le film Generation Revolution débute.
Cassie Quarless et Usayd Younis, les deux réalisateurs, eux-mêmes activistes, vont suivre pendant deux ans des activistes membres de London Black Revs, mais aussi de R Movement et ensuite Black Lives Matter UK . Le résultat est passionnant. Le film porte les interrogations d’une génération, tout autant héritière de Darcus Howe que de Kimberlé Crenshaw, qui combat la suprématie blanche, la violence policière, la pauvreté mais avec une approche intersectionnelle. Même si on peut distinguer deux formes assez différentes d’organisations et d’actions entre les groupes LBR et R Movement, tous ces activistes ont en commun de vouloir changer le monde en essayant de ne pas sacrifier à un combat principal.
Le film capture la beauté de mouvements qui se questionnent, interrogent les modes d’actions et les rapports de pouvoir dans le militantisme. L’explosion des LBR durant le tournage fournit un bon cas d’école et permet de démystifier l’apparente fluidité et l’enthousiasme des débuts. Le film, au risque d’une certaine pesanteur, ne s’en détourne pas, y laissant même sans doute un peu de sa neutralité. Mais l’une des questions que le clash pose est essentielle: dans quelles conditions peut-on embarquer dans des actions violentes susceptibles d’être réprimées d’autres individuEs ? Quelles responsabilités porte-t-on en tant qu’organisation ? Ces cas de conscience sont appréciables à plus d’un titre alors qu’en France pas mal de pseudo-militantEs continuent d’embarquer dans des situations tendues – sans aucun cas de conscience apparemment – des individuEs jeunes et inexpérimentéEs qui ignorent parfois complètement ce qu’ils risquent …
Mais dans Generation Revolution même une démarche d’apparence plus inoffensive comme les distributions de sacs contenant des produits de premières nécessités par des militants de R Movement aux personnes sans-abri est subtilement questionnée. Que se passe-t-il humainement, en terme d’échanges ? Le cadre permet-il une quelconque rencontre ?
Par un montage souvent nerveux mais fluide, alternant entretiens, captation d’actions, de réunions, d’interactions avec la police, le film est en aller-retour permanent, conscient de suivre de multiples évolutions, individuelles et collectives. L’éclosion de BLM UK que l’on voit apparaître vers la fin du film à travers une action mémorable à l’aéroport de Heathrow est d’ailleurs une promesse de lendemain qui luttent.
C’est l’histoire de personnes qui cherchent à faire la révolution tout en repensant constamment les moyens de la faire. Tout en repensant leur désir de la faire comme Tej qui part pour une pause indéterminée :
Je repense toujours à l’action qu’on a menée à Brixton et à chaque fois que je vois le trailer, tu vois, quand je me vois en train de crier « WHO’S BRIXTON?! » / « C’est qui Brixton ? » Et je me dis que c’est précisément le problème avec une bonne partie du militantisme : ça a l’air très impressionnant de crier comme ça mais en réalité, je n’ai pas accompli grand-chose pour cette communauté. Et il y a d’autres personnes qui font un travail colossal, en tant qu’individu mais aussi en se retrouvant en tant que communauté mais ils n’essayent pas de se regrouper en une organisation, de faire passer des messages spectaculaires et ne s’efforcent pas d’être vus en train d’agir. Ils agissent juste parce que c’est une nécessité.
L’un des messages importants tient peut-être à ce que dit Alexandra lors d’une assemblée organisée par BLM UK:
Nous sommes ici pour nous organiser. Ce n’est pas moi qui vous dis comment vous organiser ou une autre personne qui vous dit comment vous organiser, nous nous organisons ensemble…et construisons un mouvement. Et ensemble, nous allons imaginer des façons de le faire parce que c’est comme ça qu’on construit et qu’on progresse.
Cases Rebelles (septembre 2017)