Patriotism is Racist

Publié en Catégorie: AMERIQUES, PERSPECTIVES
TRADUCTION

« Patriotism is Racist »

Nous vous proposons ici la traduction en français d'un texte de Yannick Giovanni Marshall, avec son aimable autorisation, intitulé « Patriotism is Racist » publié sur Al Jazeera1 le 6 Février 2020. Yannick Giovanni Marshall s'emploie à démontrer la nature intrinsèquement raciste du patriotisme et à réfuter l'illusoire distinction entre bon et mauvais patriotisme. À méditer, ici et ailleurs. (L'illustration de cet article est une photo de Stanley Forman. Intitulée « The Soiling of Old Glory », elle est imprégnée de l'idée qu'il y aurait un bon et un mauvais patriotisme)

Warriors, 1979.

Par Cases Rebelles

Mars 2020

Le 5 avril 1976, à Boston, un adolescent blanc armé d'un mât portant le drapeau américain attaqua un homme noir. Le jeune homme de 17 ans, Joseph Rakes, manifestait contre le « busing »2 - tentative de la municipalité d'accélérer la déségrégation des écoles. L’homme en sang à l’autre bout du mât se nommait Ted Landsmark, avocat de 29 ans et militant des droits civiques.

Landsmark s'était retrouvé dans l'infortunée position de l’homme noir qui se dresse entre un raciste et le pays que ce raciste aime ; pays dont il s'est proclamé sentinelle. Rakes a projeté toute l'Amérique contre le corps de l'homme noir afin de ramener les droits des noir.es au néant, de débarrasser sa ville de la résistance noire et de maintenir la suprématie blanche.

Quand ils font le décompte des patriotes les libéraux.ales s’empressent toujours de tenir à distance les innombrables individus qui ont réussi tout comme Rakes, à embrasser dans la même étreinte, à la fois l'amour de leur pays et la violence anti-noire. Les racistes ne sont pas des patriotes, c’est ça la version de l'histoire des libéraux.ales. Si Rakes pensait que son amour pour son pays et sa haine raciale étaient compatibles eh bien il se trompait. « Le vrai patriotisme », soutiennent-ils, implique l’amour des Américain.es ; de tou.tes les Américain.es.

Le mauvais patriotisme, disent-ils, ce sont les minutemen3, c’est le fait d'obliger les immigrant.es détenu.es à boire dans les cuvettes des toilettes. Le bon patriotisme, ce sont les bureaucrates qui interdisent l'entrée du pays et veillent à ce que les expulsions se déroulent bien méthodiquement.

Le mauvais patriotisme, ce sont les colons qui marchent à travers le monde au rythme de « Rule, Britannia »! Le bon patriotisme chante ses louanges quand de braves hommes et femmes en uniforme lancent des attaques de drones contre des « insurgé.es » adolescent.es mal équipé.es sans armure face à la terreur invisible venue du ciel.

Le « vrai patriotisme » et le « bon patriotisme » sont de timides tentatives de nettoyer plus blanc que blanc la xénophobie et l'ethnocentrisme. Ils légitiment la discrimination contre les étranger.ères sur la base de leur statut d'étranger.ères. Le bon patriotisme voit un pays de collines et de champs de blé en floraison et il ne voit pas l'occupation de l'espace naturel, il ne voit pas l'institution qui s'est déclarée « pays de l'homme blanc » où « le [nègre] n'avait aucun droit que l'homme blanc ne soit tenu de respecté. »

Dans la tête du patriote l'histoire est d'un révisionnisme absolu. La constitution devient un document qui a toujours recelé en lui une promesse de liberté qui devait être perfectionnée et exportée, générations après générations. Ce n'est pas un modèle de référence de suprématie blanche démocratisée - malgré la façon dont son projet s'est finalement déroulé. La mise en esclavage et la poursuite de Ona Judge4  par George Washington n’étaient rien qu’une faiblesse malheureuse venue d'un homme qui par ailleurs s'était engagé sur la voie de la poursuite de la liberté.

Le bon patriotisme parvient sans mal à imaginer que le racisme est négligeable dans l'institution du pays parce que le bon patriotisme est raciste. Les vies écrasées sous les roues du tracteur d'un pays en fondation importent toujours moins que les divagations politiques des hommes qui conduisent la machine.

Le patriotisme dans les pays impérialistes et colonisateurs - malgré les tentatives industrieuses des libéraux.ales d’assainir leur colonie - est raciste. Il est raciste dans tous les pays mais il est particulièrement raciste dans les pays colonisateurs. C’est la fervente célébration de l'acte d'arrachement des terres aux peuples autochtones. Le pays du colon n'existe pas. C'est un acte de dépossession répété quotidiennement qui - s'il n'est interrompu - produit l'illusion d'être chez soi.

Le patriote conservateur, s’il est confronté à un pays imparfaitement nettoyé sur le plan ethnique, est appelé à regarder les indigènes qui restent comme des objets de haine, une population ennemie ou, à tout le moins, des rescapés gênants du temps d’avant l’installation coloniale.

Il arrête le.a Palestinien.ne à la porte de ses droits, il se réfère à la loi sur l'État-nation qui le rassure sur le fait que le pays était destiné à sa race uniquement. Il se précipite pour aider à dépouiller le musulman de ses protections, il efface ses mosquées en Inde ou sa mémoire en Chine pour éradiquer de la société des cultures contraintes à devenir étrangères. S'il est lui-même autochtone, il s'assimile pleinement et en tant qu'ambassadeur autoproclamé place les cultures autochtones autour du cou de l'État comme une guirlande.

Sans exception, sous chaque acte de violence d'extrême-droite, vous découvrirez un sentiment patriotique. Il n'y a pas d'activiste anti-immigration d'extrême-droite en Europe, en Amérique ou en Afrique du Sud qui ne se considère pas comme la quintessence du patriotisme. Et ils n'ont pas tort.

Le bon patriote renie ses concitoyen.nes mauvais.es patriotes. Chaque agression nationaliste-raciste ne représente pas le vrai caractère de la nation, disent-ils. Ce n’est « pas américain ». Ce n'est pas américain même lorsque le drapeau américain est utilisé comme arme.

Lorsqu'ils sont forcés de se confronter à la violence d'un mauvais patriote, les libéraux.ales adoptent soudain l'argument des militant.es des droits des armes à feu : ce n’est pas le patriotisme qui tue les gens ; ce sont les gens qui tuent des gens. Chaque attaque est commise par des acteur.ices racistes malavisé.es qui ont perverti le vrai patriotisme avec leurs partis-pris et leurs préjugés.

Mais demandez-leur pourquoi un être humain doit être apprécié non pas au contenu de son caractère mais par les coordonnées de son lieu de naissance. Demandez-leur pourquoi son placement d'un côté ou de l’autre d'une frontière arbitraire devrait être l’unique facteur décisif pour savoir s'il devrait être aimé et doté de privilèges ou tenu à l'écart.

Demandez-leur et ils se taisent. Ou ils marmonnent dans leur barbe des « on y peut rien c'est comme ça », avec un peu moins de conviction que ceux qui ont soutenu que les Noirs devraient être maintenus en esclavage parce que c'était ce que Dieu voulait. Le patriotisme appelle le patriote à suspendre la reconnaissance de l'égalité des non-citoyens et à considérer leur présence avec suspicion si ce n’est avec colère. C'est une religion d'exclusion.

Dans la période actuelle marquée par l’effervescence patriotique, on est prêt à s’abaisser à défendre le meurtre par patriotisme. Des journalistes américain.es, des politicien.nes et des candidat.es à l’élection présidentielle américaine ressortent du placard leurs trouvailles rhétoriques les plus chauvines telles que « Du sang américain » et – en chœur – déclarent que Quassem Soleimani avait « du sang américain sur les mains. »

Le sang humain a une nationalité lorsque les étranger.ères sont désigné.es pour mourir mais le sang devient apatride quand il coule à cause de tirs policiers.
Peu importe ce qu’est censé être ce sang américain, ce n’est pas ça qui coule quand il s'agit d'une femme noire qui essayait d’attraper son téléphone portable. Aucun officier de police ne ramène à leurs mères les corps d’hommes noirs criblés de balles dans des cercueil drapés du drapeau américain ; il est bien plus probable qu’on laisse leur corps par terre en pleine rue.

L’argument contraire selon lequel le patriotisme permet parfois le progrès social n’est pas plus tenable que de dire que la suprématie blanche incite les hommes blancs à être de bons pères.
Le patriotisme décide quel genre de personne mérite d’être bien traité et à qui on doit refuser des privilèges juste à cause de ce qu'il est. Répliquer qu’il existe un bon patriotisme, qu’il ne faudrait pas le confondre avec le mauvais patriotisme en les rejetant tous les deux, n’est pas plus convaincant.

Tout bien qu'apporte le patriotisme est, au minimum, discriminatoire. Il est discriminatoire par définition. Et cela inclut tous les types de patriotisme, même ceux qu’on croit anti-impérialistes. Il est difficile d’imaginer un pays dans lequel la population n’essaye pas de soustraire à l'emprise autoritaire de l’état. Quel nationalisme anti-colonial inspiré par Nasser n’a pas dans leur dos qualifié les irakien.nes noir.es, les libyen.nes noir.es, les marocain.es noir.es, les palestinien.nes noir.es de « hayaman » (brute).

Ted Landsmark n'était pas le premier Noir à avoir été transpercé par un pays. Il n'était pas le premier à être couvert de sang par un homme qui pensait que verser le sang d'un non-blanc équivalait à de la défense nationale. Je ne suis pas le seul touriste noir qui après avoir tourné à un coin de rue s’est retrouvé dans un quartier couvert de drapeaux et a su tout de suite qu’il n'était pas en sécurité.

Je connais des Marines coloniaux, des affranchi.es noir.es et des évadé.es qui ont réduit la ville de Washington en cendres et ce spectacle a tellement affligé un patriote qu'il a écrit les mots qui sont devenus l'hymne américain : « Aucun refuge ne pourrait sauver le mercenaire et l'esclave de la terreur de la fuite ou l'obscurité de la tombe. Et la bannière étoilée en vague de triomphe ... » Je sais que dans l'hymne national coule une menace d'intimidation raciale ; de crime haineux. Je sais que le drapeau qui est entré en collision avec Ted Landsmark exige toujours des noir.es chapeau bas et déférence.

Et en cas de défaut en la matière, il pousse les adolescent.es noir.es à quitter l'école et les athlètes vedettes à quitter le stade. Non, je ne suis pas patriote. Je fais partie des centaines de millions de noir.es victimes du patriotisme. Aucune invocation d’idéaux ou de documents fondateurs racialement neutres, aucune revendication révisionniste d'une Union imparfaite mais en voie d'amélioration ne saurait camoufler le fait que Thomas Jefferson possédait des esclaves. Et tandis que les esclaves du Père Fondateur sont des notes de bas de page dans les narrations blanches suprématistes-patriotiques de l'histoire - ils/elles constituent l'histoire toute entière dans ma narration.
Le patriotisme est raciste.

Yannick Giovanni Marshall - 6 février 2020
Nous remercions chaleureusement Yannick Giovanni Marshall pour l'autorisation de traduction et de publication de son article.

  1. https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/patriotism-racist-200205133653479.htm []
  2. Le busing a été mis en œuvre pour la première fois aux États-Unis en 1971 dans la ville de Charlotte. Le but était de brasser les enfants blancs et les enfants noirs, qui fréquentaient des écoles différentes malgré les lois de déségrégation. En effet, compte tenu de l'homogénéité raciale des quartiers, les itinéraires de bus uniquement basés sur des critères de proximité géographique conduisaient à maintenir des écoles noires et des écoles blanches. WIKIPEDIA []
  3. Les milices qui traquent les migrants à la frontière entre le Mexique et les États-Unis []
  4. Oney "Ona" Judge était esclave de la famille de George Washington, le premier président des Etats-Unis. Elle s'enfuit lorsqu'elle apprit qu'elle serait vendue et elle ne fut jamais remise en esclavage []