Décolonisation en action !

Publié en Catégorie: AMERIQUES, AUTODETERMINATION, DECONSTRUCTION, BAY AREA

En 1996, Mama Dee, « mère Noire, Indienne et forte », et sa fille, Lisa « Tiny » Gray-Garcia, créaient Poor Magazine un média autonome de pauvres, d’indigènes, sans-abris, migrantEs, revendiquant leur expertise de la pauvreté, de la rue, de l’incarcération pour contrer les mensonges des dominantEs sur les pauvres. Impossible d’énumérer ici toutes les activités, actions, qui découlèrent de Poor Magazine dans leur démarche radicale de décolonisation, réappropriation, résistance et autonomie par l’éducation , l’art et l’information. Nous ne pouvons que vous inciter à aller visiter les différentes sites :  Poor Magazine, PNN,etc. Un cap important a été franchi cet été pour ce qui est devenu un mouvement révolutionnaire. Dans East Oakland, ont été inaugurés deux projets capitaux dans le processus de libération : Homefulness, un projet de logement,  et DeeColonize Academy, un projet d’éducation décoloniale. Un jeudi de Septembre, à Oakland, lors de leur Conférence de presse de rue, Lisa « Tiny » Gray-Garcia et Muteado Silencio nous expliquent.

(écouter l’interview en anglais/to listen to the interview in English)

Tiny : Poor Magazine est un mouvement autonome de pauvres et d’indigènes. À la base donc nous sommes des personnes sans-abri, des migrantEs, des personnes qui ont traversé ces fausses frontières, ont été à la rue, ont été incarcéréEs. Et nous avons essentiellement créé notre propre média comme outil pour combattre les mensonges constamment répétés sur les pauvres, les personnes migrantes, sur les populations autochtones et ce sur notre propre terre. Nous utilisons donc les médias, l’éducation et l’art. Ce sont les trois cordes de l’organisation Poor Magazine. Nous faisons nos propres médias.

Nous avons plusieurs chaines. Nous faisons une émission de radio que vous pouvez écouter à cette adresse : http://poormagazine.org/radio. Nous faisons le magazine en ligne : http://poormagazine.org/magazine. Et nous faisons aussi une chaine YouTube qui se nomme PNN (PoorNewsNetwork) et nous disons toujours « Hey les gens c’est PNN pas CNN ! » parce que l’un des trucs c’est que les médias officiels continuent de mentir et même un grand nombre de médias indépendants continuent d’opérer avec une attitude de sauveurs qui signifie qu’ils ne nous écoutent pas vraiment et continuent de nous fétichiser.

Muteado Silencio : En tant que migrant du Mexique, je sais les médias sont vraiment utilisés contre nous et donc nous nous utilisons nos propres médias à notre avantage, pour être capables de parler de nos histoires. Nous avons écrit un livre qui s’appelle Los Viajes qui était en fait un livre de personnes qui ont passé la frontière depuis l’Amérique du Sud, depuis l’Amérique centrale. Parce que souvent ce que nous voyons ici, c’est que les personnes qui écrivent nos histoires sont généralement des universitaires ou des personnes qui n’ont jamais connu cette expérience. Ils l’ont probablement lu dans un livre, sont allés probablement à l’université et l’ont apprise, mais nous nous reconnaissons l’expertise, la connaissance de personnes qui ont traversé la frontière eux et qui devraient également faire partie de ces conversations. Parfois il semble qu’ils sont laissés pour compte, tant de gens veulent être la voix des sans-voix… Oui mais nous avons notre propre voix, nous n’avons pas besoin qu’on parle de nous à notre place.

Récemment nous avons eu le bonheur d’ouvrir notre école qui enseigne en fait à notre propre jeunesse, nos propres enfants. Parce que nous voyons comment les écoles publiques fréquentées par les personnes noires et latinos ne sont pas avantagées , nous voyons comment c’est piégé dès le départ, les taux d’abandon pour les afro-américainEs et latinoAs sont les plus élevés, nous voyons comment peu à peu ils ferment des écoles dans nos communautés. Donc on veut s‘approprier les connaissances et les enseigner à nos propres enfants afin qu’ils ne finissent pas en prison et ne soient pas une autre statistique, un autre chiffre d’homicide ici à Oakland. Et aussi nous sommes fatiguéEs, nous sommes des gens fatigués de voir toutes les discriminations, ces injustices dans notre communauté, donc c’est magnifique que la DeeColonize Academy ait ouvert. Là où nous enseignons notre propre histoire, pas les mensonges sur Christophe Colomb découvrant l’Amérique. Nous apprenons en fait que, non il y avait des peuples autochtones ici avec les cultures riches et aussi tout simplement nous reconnaissons juste d’où nous venons.

Nous avions ce projet appelé Homefulness qui est l’endroit où nous sommes en ce moment. Et Homefulness est un projet qui date de genre 16 ans, lorsque Tiny et sa mère et d’autres camarades ont eu l’idée d’un lieu collectif où les gens qui ont des vues similaires pourraient venir, lutter, créer et s’entraider.
Donc DeeColonize Academy fait partie de Homefulness et on travaille aussi avec Healthy Hoodz. Et c’est la première année que nous ouvrons et l’école a commencé il y a 3 semaines, et on y enseigne donc l’histoire de notre peuple. Nous avons également les cours habituels en grammaire, orthographe et en mathématiques. Et c’est vraiment un acte révolutionnaire d’être en mesure d’enseigner notre propre histoire à nos propres enfants.
En ce moment je pense que nous avons 15 enfants inscrits. Je pense que plus vont venir et c’est juste un début. Nous enseignons les percussions afro-cubaines et nous apprenons ce puissant outil qu’est la musique, le tambour en particulier, pour les gens d’origine africaine. Parce que si on compare à quand les colonisateurs sont venus en Amérique, les espagnols ont laissé les esclaves africainEs garder le tambour, les Anglais ont pris le tambour et la culture parce qu’ils savaient que le tambour, la musique sont des outils puissants que les gens peuvent l’utiliser pour s’organiser et aussi être résistants.

Tiny : Les gens connaissent les Zapatistes au Chiapas, les gens connaissent Move 9 – Longue vie à John Africa – mais est-ce que les gens savent qu’ici aux États–Unis d’AmeriKKKe nous tous en tant que peuples autochtones furent déplacés de nos terres ancestrales? Donc nous n’avons pas de terres ancestrales ici comme les zapatistes. Donc c’est un mouvement différent, sauf que c’est pourtant la même chose, parce qu’il y a des similitudes. Notre croyance première est tout d’abord que personne ne possède la Terre. C’est un mensonge du capitalisme et c’est à la racine des choses comme les relogements contraints, la gentrification, les expulsions. Donc tout le monde est embarqué dans cette fausse idée de succès, d’acheter, d’avoir certaines choses et si vous avez votre propre maison, votre propre voiture, vous…. vous êtes sauvés. Pendant ce temps il y a des gens dans la rue parce qu’en fait, ce ne sont pas les valeurs de nos peuples autochtones d’avoir cette philosophie du « c’est moi d’abord ».

Donc l’une des choses que nous essayons de faire à Homefulness est de reprendre ce qui a été volé aux Ohlones – c’est au peuple Ohlone, c’est leur territoire – et d’honorer les peuples autochtones qui étaient ici avant nous. Donc nous demandons d’abord la permission des frères et sœurs Ohlone, ils font partie de notre famille d’anciens, donc on leur demande : « Pouvons-nous construire ici ?« . Et donc ils ont béni cet espace, béni ce projet. Et nous sommes allés de l’avant et l’idée n’est pas que nous essayons de posséder ça. Nous essayons d’offrir une alternative réelle au mensonge de le capitalisme. Donc on construit des logements, nous n’avons pas beaucoup d’espace, mais nous construisons des logements, nous faisons le jardin, nous fournissons de la nourriture gratuitement. Il n’y a pas de conditions. L’autre chose c’est que c’est construit sur l’idée de réparation. Nous sommes des peuples pauvres nous n’avons aucun putain d’argent, et ce n’est pas un accident. On ne nous a pas donné cette terre et nous ne l’avons pas squattée parce que ça aussi c’est des conneries. Squatter est un mensonge dans le capitalisme qui finalement va vous mener à une putain d’arrestation et ce n’est pas … Je ne suis pas en train de médire, « plus de pouvoir au peuple » pourquoi pas, mais la réalité c’est que pour les mères pauvres célibataires et leurs enfants, et en particulier les non-blancHes, eh bien ça vous met surtout en danger d’être incarcéréEs. Et puis ça a tendance à être très blanc et fait par des gens la plupart du temps privilégiés. C’est donc un putain de mensonge.

Alors en fait ce qui est vraiment révolutionnaire c’est de parler de rendre les terres et les ressources à la communauté et parler de ce que nous appelons l’interdépendance, et pas le mensonge de l’indépendance.  Et on agit en cohérence avec ça et on avance avec ça.

Donc on fait du logement au mieux et  nous aidons d’autres pauvres à lancer leurs propres mouvements. Nous avons un plan en 10 points que nous partageons avec d’autres personnes pauvres, pas avec des sauveurs, des missionnaires, des travailleurs de l’industrie humanitaire, mais avec d’autres personnes pauvres. Mais c’est construit sur l’idée de réparations, nous enseignons aux gens avec des privilèges de race et de classe pourquoi ils doivent vraiment redistribuer leurs richesses volées aux autochtones et c’est comme ça que nous avons obtenu cet espace. Notre but à long terme est de nous passer complètement des normes de vie standard. Parce que les euros, les dollars, où ça bordel ? Ce ne sont que des mensonges et ils ont été imposés ici par des colonisateurs qui sont venus ici avec des papiers, des bibles et toute cette vision mensongère des missionnaires utilisée pour nous tuer et nous opprimer. Je ressemble à mon colonisateur de père, alors je marche avec cette peau mélanodéficiente et ma mère était boricua africana. Elle était une femme célibataire pauvre de couleur, elle a fait face au racisme, à la haine toute sa putain de vie et enfant aussi parce qu’elle était orpheline. Alors en tant qu’adulte elle portait cela et je suis resté avec elle, je l’ai aidée et protégée du mieux que je pouvais jusqu’au jour où elle a fait sa transition1. Parce que c’est ce que nous faisons en tant que peuples autochtones, nous prenons soin les uns des autres.

La colonisation c’est profond et ça m’amène à DeeColonize Academy. Nous faisons ici une école qui fait partie de la vision à long terme que nous avons commencé en septembre. Et il s’agit vraiment d’apprendre à nos jeunes leaders de s’inspirer de ça. Je ne vais être ici… je n’essaie pas d’être la sauveuse de qui que ce soit. J’essaie d’aider des gens à faire exactement la même chose que ce que nous faisons. Je ne suis aucunement riche ou quelque chose comme ça, mais pour la première fois de ma vie brisée, pleine de jours sans un toit au dessus de la tête, d’incarcération due au fait d’être sans-abri, j’ai réellement un chez-moi. Je suis réellement optimiste en raison de tout cela. C’est énorme. Je ne peux pas encore mettre des mots là-dessus. C’est une bénédiction. Et je suis très humble. Ase à ma maman Dee car sans elle il n’y aurait pas de moi.
Et je pense que lorsque nous parlons de colonisation, nous devons activement commencer à parler de décolonisation et c’est ça la DeeColonize Academy.

Nous enseignons à nos enfants comment prendre soin de la terre, comment faire pousser leur propre nourriture, mais également des trucs pratiques comme un de nos cours, par exemple, qui s’appelle « Répare le tacot de ta mère » parce que beaucoup de nos familles ont de mauvaises voitures et elles sont toujours en panne, alors nos jeunes doivent être en mesure d’aider leurs parents. En tous cas, il y a beaucoup de choses différentes que nous essayons de faire, et nous avons 15 étudiants, c’est un magnifique mouvement de libération. Et nous sommes ici à la Street Newsroom où nous partageons de la nourriture avec la communauté ; nous ne nourrissons pas la communauté parce que c’est un autre mensonge. Nous partageons juste des aliments, de pauvres à pauvres, de manière horizontale ; changeant ces notions de missionnaires et de sauveurs, et bien entendu les notions dangereuses et nuisibles de l’industrie humanitaire ou de ce que j’ai appelé « le complexe industriel de la pauvreté » qui est évidemment mondial avec les ONG et toute cette merde.

Donc la dernière chose c’est ce poème que je peux dire. C’est ce que j’appelle ma slambio parce que je suis fière d’être membre du Po’ Poets Project, du Poor Magazine et des welfareQUEENS2 et je dis toujours :

Je suis érudite de la pauvreté, criminalisée, racialisée et toujours en lutte pour un dollar

Je suis érudite de la pauvreté – de tout ce peuple que tu ne veux pas voir- dont tu ne veux surtout pas être – détourne toi de moi – mais je suis dans ta ville

Je suis érudite de la pauvreté je porte cet uniforme des prisons parce que maman et moi furent emprisonnées pour crimes de pauvreté, essayant de survivre dans ce trou

Je suis érudite de la pauvreté – la fille mélanodéficiente d’une maman Noire Indienne et forte – mère célibataire et Reine du Welfare

*   *   *

Interview réalisée en Septembre 2014.

On remercie chaleureusement Tiny et Muteado pour l’interview et on envoie tout notre amour et notre force à Homefulness, aux élèves de la DeeColonize Academy et longue vie à Poor Magazine ! Ase !

We warmly thank Tiny and Muteado for the interview and we send all our love and our strength Homefulness , students of  Deecolonize Academy. Long live Poor Magazine ! Ase !

  1. Mama Dee, co-fondatrice de Poor Magazine, est décédée en Mars 2006 []
  2. Les welfareQUEENS est un groupe révolutionnaire de mamans, filles et fils aux prises avec la pauvreté, les aides sociales, le racisme et le handicap, des femmes pauvres qui créent dans le but de résister et de répondre aux mythologies racistes et classistes sur la pauvreté et à la criminalisation des pauvres en Amerikkke . []