Acceptess-T : une présence cruciale face à la crise sanitaire

Publié en Catégorie: ALLIE-E-S, LUTTES ACTUELLES, TRANS & QUEER LIBERATIONS
ENTRETIEN

Acceptess-T : une présence cruciale face à la crise sanitaire

Sur le terrain depuis 2010, l'association trans féministe Acceptess-T accomplit en temps normal un travail exceptionnel notamment aux côtés de ses membres migrantes et travailleuses du sexe. Depuis le début de la crise, l'asso est confrontée à de multiples urgences et fait néanmoins face grâce à un réseau solidement mobilisé. Mais les sollicitations sont nombreuses, les précarités extrêmes. Il est donc impératif de relayer et de donner de la visibilité à leurs actions ainsi que de participer si possible aux nécessaires fonds de soutien.

Par Cases Rebelles

Avril 2020

Logement, suivi de soins, soutien psychologique, fourniture de médicaments, d'hormones, de colis alimentaires, assistance face au Covid-19, l'association Acceptess-T dont l'expertise, les compétences, la rigueur et le militantisme ne sont plus à démonter répond aujourd'hui à des populations trans extrêmement vulnérabilisées par les manques et le mépris criminels des pouvoirs publics. Grâce à une capacité d'anticipation liée à la connaissance de terrain et l'expérience de lutte contre le VIH, grâce à un réseau exceptionnel et expert de médiatrices en santé, grâce aux bénévoles, grâce à des fonds alimentés par la solidarité collective comme notamment le FAST lancé juste avant la déferlante. Face à l'urgence, Acceptess-T est même parvenue à élargir son champ d'action géographique et d'intervention pour contrer les délaissements criminels dont sont victimes les personnes trans les plus marginalisées. Malgré un planning plus que chargé, Giovanna Rincon a accepté de nous répondre, d'expliquer les actions vitales qu'effectue Acceptess-T sans oublier de poser les questions politiques et sanitaires qui fâchent puisque l'asso, reconnue par l'ARS, n'a été associée à aucune concertation, élaboration stratégique en amont du déferlement du virus et que ses médiatrices, ses activistes n'ont reçu aucun moyen, aucune fourniture, tout en étant sommées bien entendu de continuer leurs précieuses actions.

CASES REBELLES : Peux-tu nous dresser un état des lieux de la situation pour les personnes trans, travailleuses du sexe, migrantes avec qui vous travaillez à Acceptess-T ? Quels sont les différents types d'aide que vous êtes en mesure d'apporter et comment ces actions s'organisent?

GIOVANNA RINCON : Les personnes trans et notamment les plus précaires, qu’elles soient ou non travailleuses du sexe, qu’elles soient migrantes ou pas - à 19 jours de confinement c'est notre bilan - vivaient la précarité avant le Covid comme quelque chose de collé à leur peau. Elles vivaient  une précarité, une pauvreté, une exclusion qui étaient « bien » gérées malgré la lourdeur et le poids de ces stigmates et de ces réalités d’exclusion, il y avait un contexte qui permettait que ces personnes « vivent » ces situations-là avec une espèce de notion de banalisation. Et avec une vision du quotidien qui a fini par devenir quelque chose de normal, intégré et intériorisé ; comme une situation qui de toute façon ne changera pas. Et ce qu’on voit avec le Covid c’est que, étant donné que pour la plupart de ces personnes-là tout est conditionné, tout ce qui leur permettait d’intérioriser, de normaliser, parce qu’elles pouvaient faire face malgré tout à un quotidien très lourd, tout d’un coup le Covid modifie et conditionne complètement tout, les met à nu et détruit cette notion de résistance contre cette précarité, cette pauvreté et cette exclusion. Et elles vont se retrouver victimes de transphobie mais sans la possibilité de rester couvertes. Et avec tous ces actes de résistance - quel que soit l’acte - pour faire face à cette transphobie multiple, le travail du sexe apparait comme étant le premier. Mais de fait il n’est plus là et donc il ne leur permet plus de se protéger, d’avoir de l’argent, de pouvoir vivre leur quotidien, de pouvoir continuer dans cette espèce d’autonomie résistante. Du coup le changement apparait à partir du moment où le confinement arrive à ses premiers 15 jours, où on commence à voir toutes celles qui étaient dans cette même situation. Mais ce sont des personnes qui n’avaient jamais rencontré une association trans, qui ne voulaient même pas se rapprocher parce qu’elles ne s’y identifiaient presque pas ; des personnes qui sont limite dans une situation très très entre-guillemets de « confort » soit parce qu’elles étaient jeunes, soit parce qu’elles étaient extrêmement jolies, soit parce qu’il y avait une autonomie qui leur permettait à travers le travail du sexe de rester complètement dans l’anonymat, et très loin de ces notions socio-politiques, associatives de santé communautaire qui sont les nôtres. Ce dont on se rend compte en 15 jours c’est qu'on reçoit, moi et les autres médiatrices, des dizaines et des dizaines d’appels à l’aide de la part de ces personnes-là, dont jamais nous ne nous serions doutées qu'elles existaient à Paris. Parce que ce ne sont pas des personnes qu’on a déjà rencontrées dans notre association, et qui ne sont suivies par nulle autre association. On se rend compte qu’il y a une jeunesse de personnes trans dans une situation extrême de vulnérabilité actuellement, parce qu'il n’y a plus de travail du sexe. Donc le Covid sert de révélateur pour nous permettre aussi d’aller à la rencontre de ces personnes et de leur apporter de l’aide. Des personnes qui ont une espèce de honte profonde de s’adresser à nous pour nous demander des colis alimentaires, et qui n’ont plus rien pour s’acheter même une recharge de téléphone ou pour avoir internet parce que beaucoup sont sans papiers et vivent au jour le jour. Et tout d’un coup elles se rendent compte que la réalité d’être sans papiers et de n’avoir aucune aide sociale, de ne pas avoir de la famille ici, et donc il n’y a plus d’argent parce qu’elles ont décidé aussi de ne pas travailler. Mais ce qui est un révélateur important à travers le Covid c’est la capacité de cette population à malgré tout rester dans une notion de préservation de sa propre santé. Et contrairement au Sida ; par expérience je sais que ma population, la communauté a intégré le Sida dans le travail du sexe comme étant une fatalité qui tôt ou tard allait nous arriver. Étant donné qu’il y a eu des progrès énormes avec la prise en charge du VIH et qu’aujourd’hui on peut vivre bien, à presque égal à une personne séronégative quand on prend le traitement ; tout ça a servi quand même à banaliser davantage une possibilité de se contaminer dans le travail du sexe parce que malgré tout il y a des traitements. Or, ce que j’apprends avec le Covid c’est que presque personne parmi elles ne veut rencontrer des mecs parce qu’elles ont compris que le sujet n’a presque rien à voir avec le sexe mais que la rencontre peut la mettre rapidement en danger, et qu’il y a vraiment un problème de santé publique et que là, il n'y a pas de traitement disponible. Il y a vraiment une lecture du Covid comme quelque chose qui risque vraiment de les tuer, je pense que c'est comme ça que beaucoup l'interprètent,  et on sent que la peur de ce virus est très présente. Donc ça c’est une grande partie des filles qu’on rencontre aujourd’hui, à qui on apporte l’aide que nous avons mise en place.

Une autre chose qui apparaît comme importante, c’est que beaucoup ont présenté des symptômes. Et qu’il y a eu beaucoup, beaucoup de peur derrière ces symptômes-là. Il a fallu tout un mécanisme d’anticipation de notre part et je pense que personnellement étant donné que je suis quand même à la base la directrice de l’association, pas seulement pour diriger mais plutôt pour aussi apporter mon expérience avec la lutte contre le Sida, ça m’est venu comme un réflexe automatique : à la veille du décret de confinement, j’avais déjà déclenché tout un dispositif à l’association parce que je savais que tout ce qui se passe en ce moment allait sûrement arriver, notamment avec des personnes qui allaient présenter des symptômes, qui allaient avoir beaucoup de peur pour gérer tout ça, et qu’il fallait que de notre côté on puisse rester le plus proches, le plus mobilisées, le plus accessibles possible face à un décret de confinement qui allait conditionner notre travail. Et c’est vrai, ça me satisfait énormément, parce qu’avec cette stratégie de médiation à distance, gérée par trois médiatrices, par moi-même, une infirmière, un psychologue, un intervenant social et une accompagnatrice sociale, ensemble nous tou.tes à distance et en physique – parce qu’on a continué malgré tout à recevoir, en respectant la règle de la distance et pas plus de cinq dans 100 m² - on se rend compte à quel point sans notre présence ça aurait pu être une vraie catastrophe pour ces personnes. Sur le plan psychologique déjà, parce que beaucoup nous appelaient en panique, en pleurs parce qu’il y a tous les flashs info anxiogènes, les représentations que les gens se sont faites du Covid, le manque de bonnes interprétations de toutes les mesures barrières, des statistiques, de tout ce que présentent les médias en ce moment ; effectivement ça les a mis dans une situation où en plein isolement, ça n’a pas été facile du tout et ça le reste.

Parce que c’est tous les jours. Hier soir par exemple nous avons reçu l’appel de deux nanas trans qui habitent ensemble à Courbevoie et qui avaient bénéficié il y a quinze jours d’un premier colis alimentaire. Ça avait été livré parce qu’elles étaient loin de Paris, parce qu’elles n’avaient pas d’attestations, donc on a fait tout ce dispositif pour aller à leur rencontre. Sauf qu’hier leur demande était de les aider parce qu’elles sont toutes les deux déjà malades. Pourtant elles ne sont pas sorties. On leur a donné à manger pour éviter qu’elles sortent et elles ne l’ont pas fait, sauf qu’elles ont des symptômes : de la fièvre, elles se sentent vraiment très malades. Et elles sont dans une situation à laquelle elles ne s’attendaient pas : le confinement commence, elles sont complètement en bonne santé et quinze jours plus tard, elles sont malades. Ce qui veut dire qu’il y avait quand même malgré tout sûrement une contamination déjà faite, et c'était le temps de développer… voilà. On essaie de les accompagner à distance ; l’une d’elles est extrêmement malade en ce moment, une intervenante-médiatrice est en train de l’accompagner à distance pour voir si on arrive à la faire hospitaliser.

On sait que vous faites face aussi à un tas de problématiques liées au logement...

L’autre chose qui se pose comme situation qui se rajoute à l’anxiété et la difficulté de pouvoir gérer le confinement, c’est effectivement le fait qu’elles ne peuvent plus payer à partir du 1er avril leur propre logement. C’est devenu le sujet lourd, parce que maintenant beaucoup vont commencer à se dire qu’elles vont peut-être devoir accepter de faire certains clients au moins pour payer leur loyer, parce que pour l’instant aucune d’entre elles n’est venue nous dire : « bah écoute mon propriétaire, ou le gérant de l’hôtel, m’a proposée de rester tranquille et que je puisse le régler quand le confinement sera passé. » Aucune ! C’est tout le contraire ! C’est la pression, le chantage : « soit vous payez, soit vous déménagez, soit on change les serrures parce que je peux changer les serrures ! » Pour celles qui ont des contrats de bail, on essaie d’intervenir pour faire de la médiation. Là par exemple, après cette interview je dois appeler le propriétaire d’un appartement qui est devenu vraiment violent, insultant ; c’est un lieu où trois personnes habitent et elles n’ont jamais eu de retard pour payer le loyer. Et là tout d’un coup, le type devient violent ; il vient ce matin de leur couper l’eau et là il menace de couper l’électricité. Mais ce n’est pas que lui ; la plupart ce n'est pas qu'ils menacent, ils coupent l’eau ! Ils en profitent parce qu’ils savent que ce sont des personnes trans, qu’elles sont migrantes, qu’elles sont sans papiers, etc. Ce qui est violent dans cette situation-là c’est qu’il y a aussi des personnes trans françaises, blanches qui sont dans la même situation. Nous avons rencontré une nana trans française qui a fait appel à nous en urgence, qui habitait à Creil et qui malheureusement avait déjà le mois dernier et ce mois-ci en retard, son proprio lui a coupé l’eau et menaçait carrément de rentrer et de jeter toutes ses affaires à la rue. Et pourtant ce n’est pas quelqu’un qui a des problèmes avec la langue française ; elle peut s’exprimer, elle peut malgré tout aller porter plainte sans avoir peur. Donc on voit que cette nana est complètement conditionnée par la peur, par la honte, du fait que jusqu’à il y a peu elle pouvait faire le travail du sexe mais elle ne veut pas qu’on sache qu’elle le fait ou l’a fait. C’est quelqu’un qui a eu quand même un passif difficile parce qu’elle a été rejetée par sa famille, n’a pas son soutien et qu’elle est complètement seule. C’est pour ça qu’en introduction je te disais que le Covid, au-delà de la nationalité et du travail du sexe, voilà comment il sert de révélateur d’un dysfonctionnement vis-à-vis des politiques publiques sur la question des droits des personnes trans dans tout ce qui relève de la protection sociale dans chaque région en France, et notamment au niveau législatif, en ce qui concerne une constitution vraiment garante de protection pour ces personnes. Donc c’est vrai que pour cette nana-là qui est française, on a réussi, comme on a fait pour tant d’autres - on arrive à plus de 10 nanas trans notamment qu'on a réussi à héberger en urgence. Elle a appelé, le lendemain elle est venue directement au local, je l’ai rencontrée et avec une autre personne qui se charge en ce moment de chercher des logements pour pouvoir confiner les gens, on a réussi à l’héberger dans la journée. Ce qui veut dire qu’on l’a mise à l’abri, en sécurité, elle est repartie chercher ses affaires, elle a vidé ses affaires comme ça, direct. Et on lui a donné notre adresse pour qu’elle puisse changer tous ses papiers directement chez nous à l’association. Ça c’est un peu la situation.

Ce que je voulais te dire c’est que de notre côté, on sait qu’il y a déjà cette espèce de demande de la part de certaines filles qui vont nous dire : « comment je peux réduire le risque du Covid si je reprends le travail du sexe ? Quel conseil me donnes-tu Giovanna, ou vous les médiatrices, parce que je ne vois pas quelle autre chose je pourrais faire, je ne veux pas perdre mon logement. Bien que le propriétaire soit un connard, j’habite ici, ça fait quatre ans, cinq ans, c’est mon lieu de vie je ne peux pas le perdre ! » Tu vois c’est quand même le contrôle de la misère qui fait que ces personnes se plient à la discrimination, à la violence qui est exercée de la part de gens qui profitent de la transphobie, des injustices que produisent les stigmates de la transphobie pour dominer et pour manipuler ces personnes-là. C’est révoltant pour moi en tant qu’activiste de devoir toucher ça de si près et d’être en même temps entre guillemets « obligée » de me dire : « ok, on va négocier avec ces personnes-là » parce que malgré tout ces nanas sont quand mêmes autonomes dans ces lieux-là, qu’elles soient déclarées ou pas. Et quand je fais la comparaison avec ce que nous proposent les politiques publiques pour les personnes trans en termes d’hébergement et notamment pour les travailleuses du sexe, je me dis que je n’ai pas d’autre solution que de faire ça, et je dois chercher les moyens pour aller à la rencontre de ces types, de ces propriétaires que j’appelle sales, profiteurs, que je condamne ! Mais en même temps, au moment où la misère remonte en surface, moi je dois faire le tri au milieu de toute cette poubelle pour essayer de garder une propreté et cette propreté s’appelle la dignité des personnes trans que nous accompagnons.

Est-ce que vous avez eu la moindre réponse, aide des pouvoirs publics depuis le début de la crise à ce sujet ?

Le sujet de l’hébergement de ces personnes va être pour moi LA question pour le post-Covid. Je ne laisserai plus passer ; pour ceux qui ne connaissent pas la situation dans laquelle nous a mis le Covid vis-à-vis de cette réalité, je le laisserai plus passer, c’est fini, c’est terminé ! La question centrale pour la vie des personnes trans c’est la notion d’hébergement, et rien n’est fait aujourd’hui pour résoudre cette question de façon systémique, face à une transphobie systémique. On le sait tou.tes ! Sans un toit, aucun.e individu.e ne peut se construire dans une société aussi exigeante que la nôtre. Évidemment, tu verras dans le post-Covid que la notion de plaidoyer sur l'hébergement va devenir centrale. Sans agir de notre part sur ce sujet on va vite laisser passer l’opportunité de faire un plaidoyer sur ce sujet qui peut, comme je le disais tout à l’heure, rapidement redevenir invisible. Et face à des politiques publiques irresponsables, face à une inaction irresponsable vis-à-vis de la vie des personnes trans, nous devons trouver nos propres armes ! Et les armes que je souhaiterais lever c'est ensemble avec ma communauté, celle à laquelle nous répondons aujourd’hui. Et ce qui est important à dire vis-à-vis de cette situation-là, où le Covid fait émerger une proximité entre ces personnes-là et notre association, c’est que les armes que nous allons développer ce sont elles-mêmes ! Parce que ce sont elles-mêmes qui vont commencer à parler, parce qu’à chaque fois que je les rencontre, que je leur parle, qu’on leur trouve des solutions, je leur rappelle à quel point on ne peut plus continuer à rester en silence et que c’est le moment de crier comment tout cela se passe, que c’est le moment de réclamer. Nos armes sont en elles-mêmes ; ce sont leurs témoignages, ce sont vraiment elles qui vont participer à ce changement, mais pas que pour elles parce que malheureusement on vit dans un monde aujourd’hui où évidemment il y aura malheureusement d’autres situations critiques et face à ces situations critiques, nous nous sommes aujourd’hui là, face au Covid nous sommes là, responsables, face à d’autres situations qui pourraient devenir critiques pour notre communauté, pour les futures des générations trans.

Sur la question du travail du sexe, la question de l’hébergement, comme je disais on a une cellule qui nous permet en permanence d’héberger les cas les plus critiques et les plus difficiles. Nous avons demandé de l’aide : j’ai rédigé hier soir jusqu’à tard un argumentaire pour présenter à la Mairie de Paris et leur demander carrément une subvention nous permettant de participer au paiement des loyers, peut-être pas tout payer mais continuer d’aller à la rencontre des propriétaires d’hébergements et les rassurer pour éviter que ces personnes trans soient dans des situations critiques qui peuvent devenir des situations de violence aussi – et les filles peuvent perdre le contrôle aussi et devenir agressives, ce qui peut rapidement tourner en une situation délicate. Pour que ce confinement se passe pour le mieux, je demande aussi que les personnes qui sont dans des hôtels, certaines ont déjà été expulsées mais qu’aux autres on puisse payer au moins un mois d’hôtel pour éviter qu’elles se retrouvent dans des situations où elles vont devoir initier systématiquement la prostitution, et nous on n’aura pas la possibilité de les héberger, de trouver des appartements pendant le confinement. Donc voilà pour cet appel à projet, cette subvention que je demande à la ville de Paris et qui, j’espère, pourra participer pour combler cette crise humanitaire qui traverse les personnes trans et notamment les personnes trans qui ne peuvent plus exercer le travail du sexe, qui n’ont aucune aide sociale parce qu’elles sont en situation irrégulière. Dans l’échelle des nécessités et des besoins on essaie de prioriser et d’apporter un peu des réponses concrètes pour que l’instabilité de ces personnes ne s’aggrave pas.

Comment se passe également le suivi santé que ce soit lié directement au covid ou aux nombreuses autres problématiques que vous prenez en charge habituellement ?

En ce qui concerne la santé, heureusement que sur la question du Covid on est là, on gère. Là le gros souci c’est par exemple pour des personnes trans qui étaient arrivées en France depuis pas très longtemps et qui n’avaient pas encore eu le temps de rentrer dans un parcours de soin à l’hôpital ; ce sont des personnes qui se retrouvent sans médicaments pour le VIH par exemple ou se retrouvent sans hormones. Heureusement que nous avons de notre côté tout un dispositif de proximité avec certaines pharmacies : on a fait appel à ces pharmacies pour celles pour qui on peut acheter avec nos fonds propres les hormones pour éviter qu’elles arrêtent leur traitement hormonal. Il faut savoir qu’un traitement hormonal sans prescription ce n’est pas évident de se le faire donner par des pharmacies. Or, étant donné qu’on a une confiance établie avec certaines pharmacies, on le fait sur le déclaratif. Et c’est là que la place de représentant.es des usagers des systèmes de santé est vraiment une possibilité extraordinaire pour nous, face à cette crise en tant qu’association qui travaille en santé communautaire. Mais le problème c’est que pour les antirétroviraux on ne peut pas faire ça avec les pharmacies ; elles ne peuvent pas se permettre de nous les donner évidemment et nous on ne peut pas acheter en grande quantité des antirétroviraux hyper chers. Mais on a fait un appel et ça a très bien fonctionné. Et je pense qu’à partir de maintenant on va créer cette notion de notre côté d’une banque, d’une collecte d’antirétroviraux qu’ont les gens, souvent soit parce qu’ils ont changé de traitement ou qu’il leur en reste. On va donc faire cette banque ; en 3 jours on a réussi à collecter au moins 40 boites d’antirétroviraux qui servent pour les personnes trans qui sont déjà ici, et on va commencer à avoir une banque dans notre local qui va être redistribuée de façon responsable. Je rappelle que nous ne sommes pas seulement une association qui répond juste parce que quelqu’un.e a besoin ; on a tout un contexte de méthodologie derrière où avant tout on discute avec la personne qui est en demande pour savoir si vraiment elle prend ou pas ses médicaments, quel est son parcours de soins, savoir si la molécule correspond vraiment ou pas à ce qu’elle prend. On ne fait pas ça juste parce qu’on a envie et qu’on a la possibilité de répondre. Il y a toute une expérience, de compétences de notre part pour faire tout ça de manière très responsable. Ce projet de collecte de rétroviraux va nous permettre plus tard de créer un partenariat notamment avec des pays où on sait qu’il y a une transphobie très importante et qu’il y a un problème de crise politique, tel que par exemple le Venezuela, où il n’y a pas de médicaments pour le VIH… Donc nous allons essayer de collaborer avec des associations trans ou LGBT là-bas pour leur envoyer ce qu’on pourra collecter en termes de médicaments contre le VIH.

Sur la question des rendez-vous annulés, il y a la problématique des personnes trans qui avaient été opérées depuis pas très longtemps et qui ne pouvaient donc plus faire de contrôles au niveau gynécologie, etc. Effectivement là c’est beaucoup plus compliqué parce que tout a été pratiquement arrêté. C’est vrai que toutes les demandes qu’on reçoit de personnes trans concernant soit des suites d’interventions, le diabète ou d’autres types de problème, on essaie de les accompagner et de trouver des solutions soit pour leur prendre leur rendez-vous, soit pour parler directement avec leur médecin, soit pour mettre en relation la médiatrice de santé, le médecin et la personne bénéficiaire à travers une conversation à trois sur Whatsapp. Dans cette interface de santé globale des personnes trans aujourd’hui on a su s’approprier des outils numériques et on met en place cette intervention qui permet des consultations à distance, là où c’est possible, quand il n’y a pas de graves problèmes mais plutôt des suivis à mettre en place.

Pour l’accompagnement et l’hospitalisation de personnes qui ont vraiment présenté de graves symptômes de Covid, c’est nous qui avons fait le nécessaire pour les aider à être hospitalisées, appeler le 15. Il ne faut pas oublier qu’il y a la barrière de la langue et que donc cette activité nous a permis de garantir que les personnes ne crèvent pas seules en silence chez elles. Aujourd’hui, ce qu’on fait aussi pour les personnes qui ont des symptômes, on continue à distribuer les médikits. Ils sont  composés d’un thermomètre, de paracétamol, de gants, de masques, de gel hydroalcoolique, d’alcool, de beaucoup d’attestations de sortie dérogatoires et d'explications sur tout ce qui se passe en espagnol, portugais ou en anglais. On continue à faire tout ça coordonnées avec toute l’équipe des médiatrices en santé.

Ce que nous faisons aussi, et ça c’est surtout moi, c’est aider à l’usage d’un outil de surveillance du Covid qui s’appelle Covidom. C’est la plateforme de surveillance clinique et thérapeutique destinée à recueillir des informations de patient.es atteint.es du Covid. Quand tu vas à l’hôpital et que tu es dépistée Covid, le médecin va te créer un identifiant et un mot de passe et tu sors avec tout ça pour aller en quatorzaine. Ça c’est pour les personnes présentant vraiment des symptômes modérés et qui vont faire tout ça chez elles. Ce dispositif leur permet de se connecter à Covidom et si possible tous les jours de donner un peu une restitution de leur état de santé. S’il y a des complications, la personne peut se connecter rapidement à Covidom et lancer une alerte comme quoi elle a des problèmes respiratoires et a priori ceci active le 15 pour qu’on puisse venir la chercher. Sauf que la plupart des personnes que j’accompagne, c’est à distance. Ces personnes elles-mêmes m'ont informée des problèmes avec Covidom parce qu'elles ont reçu des textos et elles ne peuvent pas répondre parce qu’elles n’ont plus d’unités dans leur téléphone et ne peuvent pas se connecter à internet et donc elle sont complètement bloquées. Et pour celles qui avaient internet et qui donc ont essayé de le faire, impossible de se connecter parce que la manipulation de ce truc n’est pas simple, la plateforme bugge… et en plus c’est écrit uniquement en français, avec des questions qui sont extrêmement difficiles à répondre pour elles. Il faut que je regarde de nouveau parce que même pour moi qui maîtrise plutôt bien ces questions-là, c’est difficile d’y accéder à distance. Ça veut dire que pour toutes les personnes qui ont été dépistées positives et qui devraient participer - parce que ça s’appelle aussi la surveillance épidémiologique – eh bien l'absence de leurs réponses va entraîner des manques dans l’analyse des données plus tard concernant l'épidémie.

La situation aussi fait apparemment émerger d'autres demandes ?

Nous avons reçu pas mal d’appel de personnes trans handicapées et par ailleurs de personnes trans handicapées qui ne sont même pas à Paris. Et ça nous a obligées à trouver une stratégie de réponse, à aller à la recherche de solutions dans d’autres villes. Et donc c’est ça qu’on a réussi à faire aujourd’hui pour des personnes qui nous ont demandé de l’aide depuis Marseille, Besançon, les lieux les moins fréquentés par nous parce que nous sommes une association Ile-de-France/Paris. Ça a été assez formidable de voir qu’on a réussi à trouver des solutions. Et donc aujourd'hui une chose qui nous paraît extrêmement importante d’aborder dans l’échelle des difficultés, ce sont les problématiques des personnes trans handicapées et complètement isolées parce que les services sociaux sont pour beaucoup concrètement en confinement. Dans cette situation de Covid et dans l’échelle des difficultés dans tout ce qui est protection sociale, tout ce qui est travail social, on se rend compte qu’il y a beaucoup de gens laissés seul.es et que la question des personnes trans handicapées doit être dans nos prochains projets un objectif majeur à l’intérieur d’Acceptess-T et à l’intérieur des luttes collectives trans.

Le 21 février 2020 Jessyca Sarmiento était sauvagement assassinée au Bois-de-Boulogne. Suite à ce meurtre nous avions interviewé Giovanna avant la marche qui réclamait justice pour ce nouvel assassinat transphobe et putophobe.  Jessyca, femme migrante, était originaire du Pérou et une collecte avait été organisée en vue du rapatriement de son corps. Mais la crise du Covid19 est venue et a malheureusement relégué le meurtre de Jessica, une femme trans, migrante et travailleuse du sexe, aux oubliettes médiatiques. À l'occasion de cette nouvelle interview, Giovanna fait le point avec nous sur la situation.

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GIOVANNA RINCON : La question est extrêmement nécessaire, particulièrement parce que j’ai discuté avec pas mal de médias ces derniers jours qui étaient au courant de la situation de Jessyca mais le Covid a complètement inhumé la réalité et je ne parle pas du corps de Jessyca. La crise a inhumé la réalité légale et aussi tout ce qui tenait vraiment de l’inhumation de Jessyca. Donc ça me touche beaucoup que vous posiez cette question car je porte ça avec les gens de notre asso dans l’intime - notre intimité - parce que Jessyca est toujours en service médico-judiciaire, son corps est toujours là-bas. Il ne faut pas oublier que le 10 mars on était à peine en train de chercher l’argent pour compléter ce qui est nécessaire pour le rapatriement du corps - parce que la famille le voulait. C’est à ce moment-là que le frère de Jessyca était à Paris, on l’a fait venir. Et lui, son intention, en arrivant en France c’était de rentrer avec le corps de sa sœur ; et puis de signer les papiers, voir les avocats avant de pouvoir continuer la démarche de justice. Mais le Covid arrive et conditionne totalement tout ça, tout l’affectif, toute nécessité d’agir autour de la situation de Jessyca. Son frère a dû rentrer tout seul sans le corps parce que le Pérou a aussi été déclaré en quarantaine et risquait de fermer ses frontières - comme la France. Donc on a réussi à changer la date de son vol pour qu’il puisse rentrer, mais sans le corps de Jessyca. On lui a fait la promesse que quand toute la situation ici allait se calmer, on allait continuer à faire le nécessaire pour cette fois-ci, soit faire une crémation, soit voir s’il y a une possibilité de rapatriement du corps. Comme j’ai dit, le corps de Jessyca est toujours au service médico-judiciaire à Paris, pour l’instant on ne peut pas agir, compte-tenu de la situation. Pour le corps, peut-être qu’on va décider cette semaine de demander à ce qu’il soit inhumé ici. Mais la question qui se pose c’est : la plupart des personnes notamment de ses copines proches qui souhaiteraient se rencontrer pour une petite cérémonie ça ne pourra pas se faire. Donc je pense que le Covid arrive dans un moment où il conditionne aussi nos luttes, pour une situation dramatique où on n’avait pas besoin de sujet aussi lourd pour ralentir la visibilité vis-à-vis de notre objectif de réclamer justice pour Jessyca. Or, à ce stade-là toute la machine judiciaire est complétement arrêtée, donc on ne peut rien demander parce que tout est au point mort. On avait organisé un grand événement pour récolter des fonds le 29 mars qui a du être annulé. On n’a pas de marge d’action pour pouvoir débloquer la situation. On espère que cette semaine, si on prend la décision de la crémation du corps, que ce soit aussi fait à distance avec l’autorisation des deux parties présentes - la famille et les copines les plus proches de Jessyca qui sont à Paris en confinement.

Personne ne peut faire le deuil.

C’est une situation qui est conditionnée par le Covid mais qui en même temps peut nous faire repasser à nouveau dans l’invisibilité parce que la situation actuelle en France ne nous permettra sans doute pas d’avoir de marge de manœuvre médiatique sur le sujet ; et aussi sur la question de la notion de la partie civile, tout le monde - même les avocats - sont conditionnés. C’est vrai qu’on peut évidemment rester mobilisées mais face à la lourdeur de l’événement actuel, ça va être très compliqué pour nous en tant qu’association - nous devons reconnaître quand même qu’à notre niveau, nous sommes invisibles et petits. Acceptess-T apparait de plus en plus comme étant extrêmement autonome, extrêmement présente, légitime devant les médias et capable de mobiliser les pouvoirs politiques. Malheureusement, ce n’est qu’une vision. Une vision qui est biaisée par le fait que cette visibilité ne se fait qu'à travers des événements extrêmement odieux et dramatiques ; mais une fois terminée cette espèce d’émotion que j’appelle des fois un peu pornodrame, immédiatement tout devient pour nous hyper difficile à manœuvrer et on devient rapidement presque inintéressantes.

Pour finir sur la question de la santé, l’une des grosses réflexions que nous avons concernant l'avenir c’est celle de l'implication des associations représentantes des usagers des systèmes de santé et de la défense des droits des personnes telles qu’Acceptess-T dans les futures politiques des démocraties de santé. En ce qui concerne le dépistage rapide du VIH nous sommes agréées, nous sommes habilitées, formées pour diagnostiquer les problématiques des infections sexuellement transmissibles dans notre communauté. Nous avons un agrément qui nous permet de travailler dans notre local et aussi hors-les-murs dans des soirées, dans des lieux de sexualité récréative, dans les lieux de prostitution. Nous sommes aujourd’hui sur le terrain dans une époque où on pense qu’on va pouvoir d’ici 2030 maîtriser l’épidémie du Sida. Mais on est en 2019, 2020 face à une déclaration du Ministère de la Santé et d’ONUSIDA qui dit très clairement qu’on a aujourd’hui tous les outils pour pouvoir maîtriser l’épidémie mais que ça ne pourra pas se faire sans l’intervention des personnes issues des communautés et que ça ne pourra pas se faire sans l’intervention des médiatrices en santé communautaire, que ça ne pourra pas se faire sans donner les moyens à ces personnes de s’approprier de toutes les avancées et de les déployer rapidement à l’intérieur de leur propre communauté et réduire les délais. Du coup vu que face au Covid on n'a été associées à rien du tout, on se demande si on va attendre 30 ans aussi comme pour la lutte contre le Sida pour reconnaître ce qu’on reconnaît aujourd’hui concernant la lutte contre le Sida, ou est-ce que l'on va être rapidement impliquées pour qu’on puisse s’approprier très vite du dépistage du Covid étant donné que l’urgence majeure post-Covid sera le déploiement multiplié du test de dépistage rapide du Covid. Étant donné que jusque là nous sommes reconnues par l’Agence Régionale de Santé (ARS) mais qu’ils ne nous ont donné aucun moyen pour continuer à faire nos actions, aucun masque, aucune boite de Doliprane (à un moment où les pharmacies ont été conditionnées à ne plus donner qu’une boite), même pas de gants, rien du tout. Ça nous fait une belle jambe que trente ans après la lutte contre le sida ils fassent des annonces mais que face à une épidémie pareille ils nous invitent à continuer à faire nos actions de médiation en santé pour les personnes précaires, exposées au risque Covid, sans nous donner aucun moyen ! Je sais que les médecins ont des besoins prioritaires dans ce moment où le gouvernement démontre sa propre irresponsabilité. Et ce n’est pas que le gouvernement actuel : tous les gouvernements précédents y compris celui-là montrent à quel point il y a eu irresponsabilité totale !

Mais ce n’est pas à nous de porter le chapeau et d’être les exclues dans leur système d’actions de santé vu que ce que nous faisons et ce que nous mettons en place là c’est vraiment au bénéfice de la collectivité, de la société entière même si oui c’est fait à l’intérieur de notre communauté, mais c'est hors de question qu'une fois passé Covid... La notion de démocratie sanitaire doit nous donner des explications sur pourquoi on n’a pas été informées en temps réel sur les questions, pourquoi ils ne nous ont pas aidées à trouver des solutions pour qu’on puisse faire dans de meilleures conditions notre travail de santé. On réclame que sur les prochaines stratégies – notamment de déploiement de dépistages - on soit les premières concernées pour ces questions-là.

Nous sommes encore en pleine crise alors quels sont vos besoins actuellement et comment les gens peuvent aider ? Et est-ce que tu peux nous parler du Fond d’Action Social Trans, le FAST ?

Pour ce qui relève des problématiques d’hébergement, je pense qu’actuellement nous avons encore des besoins parce que la situation critique va devenir pire si le confinement se prolonge après mai, d’encore une fois un mois. Ça va devenir très critique parce que je ne suis pas sûre qu’on obtiendra de l’argent pour payer deux mois de loyer et deux mois d’hôtel. Déjà, on attend de débloquer pour le mois d’avril. Pour l’instant, on est en train de payer des nuits d’hôtels, de participer au loyer de certaines qui payent pas cher et qui ont un bail déclaré et dont on a réussi à rentrer en contact avec leurs proprios, avec lesquels on savait qu’il y avait une entente possible. On a réussi à participer au loyer de certaines personnes qui sont par ailleurs très malades et qui ont des problèmes, pas que le Covid mais d’autres problèmes de santé et de handicap. Il nous paraît fondamental de veiller au bien-être psychologique et de santé de ces personnes. Aujourd’hui avec le fonds de base, on essaye de répondre avec nos fonds propres, là où il n’y a ni réponse des politiques publiques ni réponse de l’État.

Là, on a encore besoin de débloquer parce qu’il y a de plus en plus la notion de difficultés dans des lieux où il y a trois, quatre filles qui habitent ensemble. Tu peux imaginer quatre filles qui habitent dans 20m²… le confinement ne se passe pas vraiment de manière incroyable. Donc on va avoir besoin, pour les aider à se séparer avant qu’il y ait des problèmes entre elles - ce qui est un truc presque impossible à maîtriser.

On va avoir encore besoin de moyens financiers, donc tous les dons que les gens souhaitent évidemment nous apporter sont les bienvenus, petits, grands ou moyens. Le FAST a besoin de répondre aujourd’hui à une urgence humanitaire que le FAST ne pouvait pas prévoir. Il répond aujourd’hui à des besoins alors qu'il y a une transphobie latente qui existe depuis très longtemps et il est capable d’arriver à répondre dans un moment qui démontre à quel point il y a un problème dans les politiques publiques. Le FAST démontre également qu’il est capable de pallier les responsabilités de l’État. Sans le FAST aujourd’hui, on serait gravement dans la merde. Il faut absolument rappeler que le FAST est un fond qui n’est pas destiné à n’aider que les personnes trans à Paris ; ce fond est destiné à aider des personnes dans toute la France, avec l’aide des associations trans dans les différentes régions. Elles peuvent nous contacter et on pourra débloquer, si on a les fonds, pour aider des personnes trans qui ont des difficultés matérielles.

Une autre chose à ce stade me paraît extrêmement importante : évidemment il y a des gens qui ne peuvent pas donner mais c’est important de relayer au maximum les informations. Nous avons besoin aussi que nos actions d’Acceptess-T et celles des autres associations trans soient relayées au maximum. Nous avons besoin d’être soutenues matériellement, physiquement mais aussi virtuellement. Je pense que la notion de soutien, d’alliance virtuelles sont extrêmement importantes.

Je voulais vous dire qu’en tant qu’activiste, militante, en tant que personne concernée, en tant que directrice de l’association, en tant que porte-parole de la Fédération Trans et Intersexes (FTI), en tant que personne séropositive qui lutte depuis 30 ans contre les inégalités, contre le Sida, il est très important pour moi de rappeler à quel point nos luttes ont pris une identité. Nos luttes démontrent à quel point, nous avons appris, nous avons compris aussi comment développer nos propres armes, comment nous  sommes auto-organisées, comment nous sommes autonomisées. Et c’est fabuleux pour moi d’être aujourd’hui entourée de tant de bénévoles qui se sont donné.es à fond, sans compter en respectant toutes les mesures barrières. Nous inventons nos masques, nous inventons tout ce que nous n'avions pas, pour pouvoir rester sur le terrain. Dans un moment où on enlève à une communauté son seul moyen de subsistance, de survie à cette exclusion, si le Covid a une chose positive, c’est de démontrer que le travail du sexe on en parle ce n'est pas juste parce qu'on a envie de faire du travail du sexe, qu’on est dans le prosélytisme du travail du sexe mais parce que c’est une réalité politique, économique dans notre communauté ! Et le nier 30 ans après c'est complètement une erreur !

Pendant cette période où les travailleuses du sexe ne peuvent pas travailler, où sont les tenants des grands discours abolitionnistes et des injonctions à « sortir de la prostitution » ?

C’est un point important aujourd'hui de rappeler que pour le féminisme abolitionniste, que ce soit au niveau national, porté par Marlène Schiappa, porté par des maires ou d’autres, il va falloir que cette notion de trafic puisse rapidement être détachée de la réalité du travail du sexe. Et par rapport à ce discours idéologique autour de la question, le Covid aujourd'hui permet de démontrer que les milliers d’euros destinés aux associations abolitionnistes leur ont surtout permis de se confiner en toute sécurité. Et toutes les personnes trans qui étaient suivies avec des faux espoirs, des promesses, des promesses d'aides à sortir de la prostitution, ces personnes ont dû revenir vers nous, vers nos associations trans pour pouvoir obtenir à manger. Je trouve ça aujourd'hui indigne de la part de ces associations ! Je pense que des personnes ont compris aujourd'hui qu’en réalité le vrai problème, ce n’est pas forcément la prostitution, le problème c’est la récupération du sujet de la prostitution, la récupération de la transphobie juste pour créer du pornodrame là où nous, nous refusons toute victimisation de nos existences.

Un mot de la fin?

Je voulais remercier énormément toutes les personnes bénévoles, leur rappeler à quel point notre lutte aujourd’hui a du sens. Je pense que le Covid nous a renforcées en termes de solidarité. Il nous a rapproché.es, a renforcé nos capacités de mobilisation. Je voulais leur dire à quel point leur travail est vital, à quel point leur engagement est nécessaire. Et que dans la phase post-Covid, leur parole sera aussi nécessaire et vitale que des personnes trans bénéficiaires de nos actions à la fin de ce confinement. L’ensemble de nos témoignages, l’ensemble de notre mobilisation pourront nous permettre de sortir après le confinement pour démontrer que face à l’irresponsabilité de l’État, nos armes ont été capables de nous maintenir en vie.

Mes remerciements et tout mon respect donc aux bénévoles, à mon équipe salariée Acceptess-T, un cœur géant à la Mutinerie qui traverse des difficultés financières à cause du confinement et qui ouvre ses portes pour nous permettre de faire le stockage et l’organisation de la distribution sur place et à domicile des colis alimentaires. Nos remerciements aussi à la Fondation de France qui vient de nous attribuer un financement d’urgence pour pouvoir faire l’achat de denrées alimentaires et produits pour nos médikits prévention contre le Covid-19.

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Interview réalisée le 4 avril 2020 par Cases Rebelles.
Nous remercions infiniment Giovanna Rincon.