Malgré une lutte historique d’une intensité rare, la loi reportant l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans a été promulguée le 14 avril dernier, et les premiers décrets d'application (portant notamment sur ce report) viennent de paraître au Journal officiel . Il est donc prévu que cette réforme inique s'applique à partir du 1er septembre 2023. Le report à 64 ans a été l'un des principaux enjeux d'opposition au projet de réforme des retraites. On veut saisir cette occasion pour revenir sur ce qui se passe quand l’on atteint cet âge et que l’on est demandeur·euse d’emploi indemnisé·e.
Lorsqu'un·e demandeur·euse d'emploi atteint l'âge légal de départ à la retraite, mais que Pôle Emploi n'a pas le récapitulatif de ses droits à la retraite (c'est-à-dire du nombre de trimestres qu'iel a acquis), l'indemnisation est suspendue. Si les demandeur·euse·s d’emploi concerné·e·s n’ont pas eu connaissance de la nécessité de fournir ce papier en avance, ou n’ont pas fait la démarche à temps, iels risquent fort de se trouver sans revenu. Et ce, tout le temps qu’il sera nécessaire pour fournir à Pôle Emploi ce bilan des trimestres acquis.
Concrètement, Pôle Emploi demande aux personnes concernées de fournir une "notification d'attribution de pension vieillesse" ou un document intitulé "chômage indemnisé : régularisation de carrière". Les demandeur·euses d'emploi reçoivent éventuellement un courrier (au mieux 6 mois avant l’âge légal de départ mais parfois encore plus tard) ou sont informés directement par un conseiller. La situation s'applique aussi aux nouveaux inscrit·es proches ou ayant dépassé l'âge légal de départ à la retraite : on exigera qu’iels fournissent ce même document avant toute étude de droit à l’indemnisation. Dans tous les cas, il faudra s’adresser à sa caisse de retraite pour le régime général (CNAV , CARSAT , MSA, CGSS...) pour obtenir le papier en question.
Si vous connaissez bien vos droits de chômeur·euse indemnisé·e proche de l'âge légal de départ à la retraite, vous savez à quoi correspond ce courrier. Le Pôle Emploi souhaite s'assurer que vous n'avez pas cumulé la totalité de vos trimestres ; parce que si c'était le cas, vous seriez éligible à une retraite à taux plein et n'auriez par conséquent plus le droit à l'allocation chômage. En réalité, un grand nombre de demandeur·euses d'emploi n'ont pas entendu parler de cette règle, d'autant plus s’iels sont éloigné·es du nombre de trimestres requis. D'autres ne comprennent simplement pas la lettre d'information, car il est bien difficile pour les profanes de saisir le sens des termes "Chômage indemnisé : régularisation de carrière".
Pour rappel (et hors cas particuliers, par exemple : “retraite anticipée pour carrière longue” ou “retraite anticipée pour handicap du salarié”), vous avez le droit de demander votre retraite dès lors que vous atteignez l’âge légal ; si vous ne comptabilisez pas l'ensemble des trimestres requis pour prétendre au taux plein, vous pourrez accepter ou non de prendre votre retraite à taux minoré. Vous pouvez également choisir de repousser votre départ à une date ultérieure, afin d’obtenir une décote moins importante. Ou bien, vous pouvez encore repousser le départ jusqu'à 67 ans pour une retraite à taux plein automatique (dont le montant sera néanmoins fonction de vos revenus cotisés et trimestres cumulés). Tout ceci, que vous soyez en activité ou sans emploi.
Ce que Pôle Emploi ne vous dit pas, c'est que l'obtention de ce courrier "Chômage indemnisé : régularisation de carrière" peut être plus ou moins longue. En effet, en fonction des régions, la démarche à effectuer varie considérablement, et donc la durée de traitement de votre demande aussi. Là où une simple attestation vous sera remise quasi immédiatement, ailleurs on vous demandera de déposer l'équivalent d'une demande de retraite. Quoi qu’il en soit si le document de "régularisation de carrière" n'est pas transmis à temps, toute indemnisation est suspendue une fois l’âge légal atteint. Pôle Emploi avertit sur son site : "Il est indispensable d'anticiper l'âge légal de départ à la retraite, car il peut interrompre le versement d'allocations ou de rémunérations que vous recevez". Mais ni le site ni le conseiller n’informent sur le délai ou la procédure dans votre région.
À la Réunion par exemple, une attestation de régularisation de carrière peut vous être envoyée par la CGSS en quelques jours, après que vous ayez rempli un formulaire disponible en ligne ou en agence. En région parisienne, la CNAV vous invitera à « régulariser votre carrière » (donc faire le bilan des trimestres cumulés) afin de vous délivrer le précieux sésame.
En Pays de la Loire la procédure est tout autre. Il vous faudra déposer un dossier de demande de retraite, qui sera instruite en vue d'un rejet d'attribution de pension de retraite — si votre choix est bien de rester demandeur·euse d'emploi . Mais il vous faudra malheureusement patienter : cette procédure peut prendre plusieurs mois ! Dans ces conditions, on comprend l'importance d'avoir été prévenu·e et surtout bien informé·e à temps. De nombreuses personnes se retrouvent ainsi sans ressources, 2, 3, 4 mois... Certaines accumulant les dettes si cela dure. N'ayant pas reçu ou compris l'information suffisamment tôt, un certain nombre de demandeur·euses d'emploi ne fournissent pas le document de "régularisation de carrière" et voient par conséquent le versement de leur allocation suspendu par le Pôle Emploi. À ce stade, le Pôle Emploi n'a l'air de faire aucune exception quant à la reprise de l'indemnisation : il est inutile de leur expliquer vos difficultés et impératifs financiers, cela ne change rien. Côté caisse de retraite, il n'y pas de procédure d'urgence permettant le traitement en accéléré de ce type de dossiers.
Nous n'avons pas connaissance de la proportion de demandeur·euses d'emploi concerné·es par ces interruptions d'indemnisation, mais il est clair qu'une meilleure information de la part de Pôle Emploi (courriers intelligibles et envoyés bien plus tôt, formation aux droits à la retraite pour les plus de 60 ans), des caisses de retraite ou même une uniformisation nationale de la démarche la plus simple permettraient d'éviter ces situations désastreuses, aux lourdes conséquences, matériellement et psychologiquement.
Ce que le mouvement social et les débats autour de la réforme des retraites ont entre autres permis, c'est une meilleure information sur le droit à la retraite, ou au moins l'éveil des curiosités sur nos droits en fonction de nos situations, carrières, absences ou interruptions de carrière, carrières en France et/ou ailleurs, handicaps, revenus, enfants, personnes à charge, etc. Et sur le temps qu'il reste à cotiser... Que vous soyez ou non demandeur·euse d'emploi, proche ou non de l'âge légal de départ à la retraite, parlez-en, renseignez-vous dans votre région. Cet âge légal ne concerne pas que les personnes en activité.
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