Des forces réactionnaires n°7 : l’agression fasciste de mai 2017 à Nantes

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SÉRIE

DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°7 : l'agression fasciste de mai 2017 à Nantes

Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.

Série | Des forces réactionnaires

Par Cases Rebelles

Juin 2022

Pour poursuivre notre série « Des Forces réactionnaires », on revient sur l’agression à Nantes en mai 2017 de deux jeunes du quartier populaire de Bellevue par des fascistes proches du GUD, dans un contexte de montée en puissance des extrêmes-droite locales et nationales.
Les faits

Dans la nuit du 7 au 8 mai 2017, Erwan David (18 ans) et Steven Dardenne (16 ans) rentrent à vélo chez eux dans le quartier de Bellevue, à Nantes, après avoir passé la soirée en centre-ville et mangé un kebab. On est le soir du deuxième tour des élections présidentielles entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ; une manifestation réunissant 450 personnes s’est déroulée dans le centre-ville. Vers 1 h du matin, alors qu’Erwan et Steven sont près de la station de tram Du Chaffault, cinq militants d’extrême droite proches ou membres du GUD Bretagne surgissent d’un buisson, leur demandent s’ils sont antifa avant de les attaquer violemment. Erwan et Steven sont poussés à terre et roués de coups de poing et coups de pied, au niveau de la tête notamment. Ils sont gazés à la bombe lacrymogène. Steven est frappé à la main avec une barre de fer et à la tête avec des bouteilles en verre.
Les agresseurs s’acharnent sur Erwan :
« Ils devaient être cachés quelque part. L'un d'eux, avec un masque de ski et une capuche, a tenté de m'étrangler avec ses mains gantées. Comme je me débattais, il m'a flanqué un coup de bombe lacrymogène dans les yeux. Après, j'ai reçu des coups de barre de fer et de bouteilles en verre. Mais j'ai perdu connaissance. »1
Il est laissé pour mort, dans un bain de sang (avec les cervicales fracturées et une oreille au trois quarts arrachée). Alors qu’il est transporté au CHU, il fait un arrêt cardiaque de 15 minutes et doit être ranimé. Il est placé sous coma artificiel pendant quatre jours et passera plus d’un mois à l’hôpital. Aujourd’hui, Erwan souffre de séquelles irréversibles permanentes et de troubles neuropsychologiques (il est reconnu comme travailleur handicapé). Steven, même s’il a été plus légèrement blessé et s'est vu prescrire 5 jours d’ITT, confie toujours souffrir de troubles du sommeil et d’angoisse.C’est une véritable expédition punitive dont ont été victimes Erwan et Steven. Les agresseurs reconnaîtront avoir circulé en voiture cette nuit-là, à la recherche d’antifas.
Les deux adolescents déclarent :

Nous ne sommes pas des militants politiques. Et pas non plus des casseurs. Bien sûr, on est contre Le Pen. On est allés à la manif ce soir-là. Mais nous sommes restés en retrait, parce qu'on se méfie.2

Ce soir-là, aucun équipage de police ne s’est déplacé et les secours ont tardé : c’est grâce à l’intervention d’un témoin, secouriste, qui fait d’abord fuir les agresseurs, puis prodigue des premiers soins à Erwan, que celui-ci a certainement eu la vie sauve.

Un rassemblement de soutien a lieu pour Erwan et Steven dans leur quartier de Bellevue le 7 juin 2017, et un comité de soutien se forme à l’initiative d’habitant.e.s. À la fin du mois de juin, quatre personnes sont mises en examen et écrouées. Un cinquième individu sera mis en examen en septembre 2017. Il y a parmi eux des militants bien connus de l’extrême droite dans la région et notoirement violents comme François Mamès Cosseron de Villenoisy, ancien adhérent de l’Action Française, ou Tanguy Martin.
Alors qu’il est toujours à l’hôpital, Erwan fera l’objet de fortes pressions et de menaces de la part de Manon Le Cardiet, une militante d’extrême droite et compagne de Tanguy Martin, pour le forcer à changer son témoignage. Elle sera jugée pour « acte d'intimidation pour déterminer une victime à se rétracter ». Reconnue coupable, elle bénéficiera finalement d’une dispense de peine.3

Une enquête défaillante

Des défaillances entravent dès le début l’enquête : aucune recherche de véhicule n’a été effectuée par la police, malgré la description de témoins. Ce sont les bris de verre (sur lesquels se trouvent des traces d’ADN), collectés par la mère d’Erwan et non la police, qui permettront d’identifier un des agresseurs/suspects. La sœur d’Erwan fera elle-même des photos du visage de son frère.4
Erwan et Steven sont accusés d’avoir menti, de ne pas avoir dit qu’ils avaient pris part à la manifestation contre Le Pen.

Montée en puissance de l’ultradroite entre Nantes et Angers

Cette agression s’inscrit dans une longue série d’actes violents commis dans une relative impunité par l’extrême droite entre Nantes et Angers, et une résurgence de mouvements d’ultra-droite.
Qu’est-ce que le GUD ? Le Groupe Action Défense est une organisation étudiante d’extrême droite prônant l’action violente qui a été fondée en 1968, par d’anciens membres d’Occident (cf. Les Forces Réactionnaires n°2).

Parmi les mis en examen, on trouve donc François Mamès Cosseron de Villenoisy, déjà condamné5 à deux mois de prison avec sursis et 600 euros de dommages et intérêts pour avoir frappé avec un gant coqué un adolescent Bangladais de 17 ans dans les rues de Nantes. Le mobile raciste n’avait pas été retenu et il avait bénéficié de la mansuétude complice de l’institution judiciaire, avec procédure de plaider coupable et promesse d’un jugement en toute discrétion. C’est seulement après l’agression d’Erwan et Steven que sortira cette autre affaire dans la presse locale.En 2016, apparaît, en marge des cortèges contre la Loi Travail, le groupe Defend Naoned, qui agresse des manifestant·e·s isolé·e·s.6 Ses membres sont pourtant interviewés par Ouest France sur ses motivations dans un article de grande taille. On leur permet ainsi de se définir comme un mouvement à tendance sociale et de légitime défense, tout en sauvegardant leur anonymat.
Cette même année, le GUD Bretagne tente d’implanter une section locale à Nantes : du tractage et des collages auront le lieu sur le campus Tertre.
À Angers, les identitaires rassemblés un temps au sein de l’Alvarium (lieu désormais fermé) sévissent depuis des années avec la complaisance de la municipalité et la bienveillance de la justice. La dissolution de l’association Alvarium a eu lieu en 2021 à la demande du ministre de l’Intérieur après quantité d’agressions et d’exactions. Cofondé par Jean-Eudes Gannat (fils de Pascal Gannat, ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen et ex-conseiller régional RN des Pays de la Loire), le groupe se reforme sous d’autres dénominations, comme le montre le RAAF (Réseau Angevin Anti Fasciste) dans cet article : « Alvarium, encore une association de malfaiteurs »7 . François-Aubert Gannat, son frère, est lui impliqué dans des violences graves à Angers : avec une bande d'une dizaine de fachos, ils ont semé la terreur dans les rues d’Angers une nuit d’automne 2016. Tanguy Martin participe à ce déferlement de violence : saluts nazis, cris « À mort les Arabes, à mort les Noirs », jusqu’à l’agression d’un homme arabe.
Deux jours avant l’agression d’Erwan et Steven, c’est encore François-Aubert Gannat,Tanguy Martin et François Mamès Cosseron de Villenoisy que l’on retrouve impliqués dans une énième agression raciste. Dans un bar, Gannat profère des insultes négrophobes à l’encontre d’un étudiant d’origine rwandaise et les deux autres roueront de coups un ami de l’étudiant ayant entendu les propos et étant venu leur demander des explications.

Complaisance médiatique et récit dépolitisant : une simple « erreur » de cibles

Les médias locaux se sont faits les relais complaisants de la version des agresseurs d’Erwan et Steven : ainsi les membres/proches du GUD voulaient se venger d’une bande d’antifas qui les auraient pourchassés plus tôt dans la soirée en marge de la manifestation, dans les rues de Nantes. Il ne s’agirait en somme que d’un « règlement de compte » et la violence inouïe de l’attaque, à défaut d’être acceptable, en deviendrait presque compréhensible.
Cette affaire s’est produite après 1 an de diffusion d’un discours sécuritaire dur porté notamment par les commerçants, la municipalité, comme son opposition, condamnant les « casseurs » et les « saccages » de la ville lors du mouvement contre la loi travail. Antifas ou groupuscules d’extrême droite sont renvoyés dos à dos dans une logique des « extrêmes ». Ces discours, outre qu’ils légitiment dangereusement la violence des fafs contre des individu.e.s, en dépit du nombre croissant de victimes de l’extrême droite (notamment Clément Méric et Martin Arambu pour les faits les plus récents et les plus médiatisés), participent invariablement en creux de la normalisation des idées et des méthodes réactionnaires.
Dans l’affaire de Nantes, c’est comme si on devait comprendre que ce déchaînement de violence est fâcheux parce qu’il ne s’est pas abattu sur les bonnes victimes.
La presse locale s’est à nouveau illustrée lors du procès en poussant dans la même tonalité. Les accusés ont été présentés avec beaucoup d’empathie, comme des repentis, et les explications psychanalysantes, comme l’absence de figure paternelle, ont permis de dépolitiser les violences et de les extraire de la nébuleuse fasciste qui ne cesse de les produire.

Procès

L’affaire a été jugée cette année aux Assises en première instance : le procès s’est tenu du 21 mars au 25 mars 2022. Seules quatre personnes comparaissaient, libres ; Tanguy Martin est décédé en 2020.
François-Mamès Cosseron de Villenoisy et Joyce Burkart sont jugés pour l’agression d’Erwan, mis en examen pour « violences ayant entraîné une infirmité permanente, en réunion, avec armes et préméditation ». Antoine Desbas, Matthieu Gaultier de la Richerie et Joyce Burkart sont jugés eux pour l’agression de Steven, pour des violences en réunion, avec usage d'une arme et préméditation.
Joyce Burkart est condamné à 8 ans de prison ferme. François Mamès Cosseron de Villenoisy est lui reconnu coupable des violences et devra purger une peine de 6 ans de prison.
Joyce Burkhart fait appel de la décision et le Parquet de Nantes à sa suite.
Antoine Desbas, Matthieu Gaultier de la Richerie sont condamnées à 3 ans de prison avec sursis probatoire et interdiction d'entrer en contact avec les protagonistes de l'affaire.

* * *

Sources :

- Complaisance médiatique et récit dépolitisant : une simple « erreur » de cibles :

« Assises de Loire-Atlantique : quatre sympathisants d'extrême droite jugés pour l'agression de deux adolescents en mai 2017 »
« Violente agression à Nantes en mai 2017 : les accusés veulent montrer un autre visage à leur procès »

- Procès :
« Nantes : agression violente en mai 2017, l'enquête mise à mal à l'audience »
« Affaire du Chaffault à Nantes : récit d'une agression d'une violence impressionnante »
La justice nantaise voulait juger un fasciste en toute discrétion

- La Horde:
« Nantes : le GUD passe aux aveux dans l’agression d’Erwan et Steven »,
« Pays de la Loire : Famille Gannat, faire du neuf avec du vieux »

RAAF :
« Alvarium, encore une association de malfaiteurs »

VIDEO : « Nantes : les agresseurs présumés de deux adolescents en 2017 seront jugés aux assises en mars 2022 », Dec. 27 2021,

  1. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/erwan-ne-comprend-pas-pourquoi-il-ete-tabasse-50320 []
  2. https://www.facebook.com/watch/?v=151340318205596523 []
  3. https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/de-2-a-10-ans-de-prison-requis-au-proces-du-lynchage-de-deux-garcons-par-des-sympathisants-d-extreme-1648202900 []
  4. https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/de-2-a-10-ans-de-prison-requis-au-proces-du-lynchage-de-deux-garcons-par-des-sympathisants-d-extreme-1648202900 []
  5. https://www.leparisien.fr/faits-divers/angers-deja-condamne-pour-violences-racistes-un-militant-extremiste-recidive-14-11-2017-7391223.php []
  6. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/lextreme-droite-joue-avec-et-contre-lultra-gauche-4203278 []
  7. https://raaf.noblogs.org/post/2022/06/18/alvarium-encore-une-association-de-malfaiteurs/ []