Alors qu'une nouvelle réactivation a été annoncée récemment, il nous a semblé important d'effectuer un retour historique sur le Groupe Union Défense dans ce 18e volet de notre série Des forces réactionnaires. Né après mai 68 dans le milieu universitaire, le "GUD", groupuscule d'extrême droite de la mouvance nationale-révolutionnaire, est tristement célèbre pour ces incessantes violences et agressions à l'encontre de militants ou sympathisants de gauche, et de personnes non blanches, même si son histoire est aussi très liée aux courants électoralistes d'extrême-droite.
De la naissance en mai 68 à la première dissolution
Régulièrement évoqué lorsqu’il est question des proches de Marine Le Pen aux manettes des finances du Rassemblement National, le GUD (Groupe Union Défense) charrie un imaginaire de violence extrême, ses membres se représentant comme des héros révolutionnaires romantiques à qui l’histoire finirait par donner raison. Depuis près de cinquante-cinq ans, cette nébuleuse de la jeunesse activiste d’extrême droite — dont certains anciens peuvent se targuer d’être à l’origine de la création du Front National (FN) — oscille entre hibernation et réactivation agressive, souvent à l’occasion de réformes de l’enseignement supérieur. Malgré la grande fluctuation du positionnement idéologique de ses membres, chaque nouvelle mobilisation du sigle GUD reste surveillée par les générations précédentes. Les anciennes générations, notabilisées dans le secteur privé ou au sein des partis d’extrême droite lancés dans la conquête électorale, ont remisé leurs casques pour embrasser pleinement la stratégie de l’entrisme et de la bataille culturelle, en investissant par exemple les champs de la communication, de l’enseignement ou de l’édition.
En octobre 1968, suite à la dissolution du mouvement Occident la jeunesse nationaliste s’émiette dans des structures concurrentes qui se neutralisent : Restauration Nationale, Œuvre Française ou encore Pour une Jeune Europe. Pour contourner le délit de reconstitution de ligue dissoute, certains ex-militants d’Occident ont l’idée de profiter de la loi Faure de novembre 1968. La réforme d’Edgar Faure institue en effet des conseils élus dans chaque université ; choisir ce terrain de jeu est un moyen d’attirer des jeunes, tout en affrontant directement les adversaires d’extrême gauche. Un syndicat étudiant est donc créé, « Union Droit », pour se présenter aux élections de février 1969. Rebaptisé GUD par ses adversaires communistes, le « Groupe Union Droit » obtient des résultats significatifs grâce à un positionnement de trublion anticonformiste, une campagne électorale à l'américaine (affiches, ballons badges, hameçonnage grâce aux « reines de beauté » présentes sur les stands) et à la dissimulation sournoise de ses véritables idées. Il franchit la barre des 10 % à Clignancourt, St-Maur, Nanterre, et Assas qui restera son bastion historique.
Dans l’arène universitaire, la stratégie initiale du GUD, présidé par Alain Robert, est de reprendre les violentes bagarres coutumières d'Occident contre la jeunesse d’extrême gauche. Ces affrontements, principalement à Assas et à Nanterre, provoquent à chaque fois de nombreux blessés graves, attirent l’attention médiatique, et permettent ainsi de crédibiliser le GUD comme fer de lance de l’antimarxisme.
A l'intérieur d'Assas, sous l’œil de vigiles impassibles et d'une administration parfois complaisante, « l'ordre nouveau » imposé par quelques dizaines, voire une ou deux centaines de militants, s'exerce contre les étudiants présumés de gauche, interdits d'accès, victimes d'intimidations morales ou physiques, d'injures à caractère raciste ou antisémite.
Les « gudards », pour beaucoup jeunes bourgeois et pas forcément étudiants, construisent ainsi leur réputation : croix celtiques, barres de fer, mobilisation d’un humour potache confusionniste et en guise de mascotte, un rat noir belliciste dessiné par le militant Jack Marchal. Cette esthétique suscite un afflux de recrues, et le GUD essaime ainsi dans plusieurs universités parisiennes, y compris en fac de médecine. Il parviendra plus tard à s’implanter à Sciences Po. Le « D » du sigle GUD prend la signification de « défense ».
Au-delà de l’université, l’ambition d’Alain Robert, bientôt aidé par François Duprat, un autre transfuge d’Occident, est en fait de rassembler dans un même mouvement les différentes sensibilités de l’extrême de la droite : « nationalistes révolutionnaires », collaborationnistes, anciens de l’Algérie française, poujadistes, ex-militants de l’Action française. Des discussions sont engagées avec des groupes issus de la dissolution d’Occident, notamment les Jeunesses Patriotes et Sociales dirigées par Roger Holeindre, et Pour Une Jeune Europe, qui défend un nationalisme européen sous la houlette de Nicolas Tandler.
En novembre 1969, Alain Robert lance le mouvement Ordre Nouveau, dont le manifeste, ouvertement néo-fasciste, proclame « l’échec irréversible de la démocratie ». Il prône notamment l’élimination des partis politiques, l’interdiction de la grève, la limitation des héritages avec reversement des biens à l’État ou encore le rapprochement entre travailleurs et patrons au travers d’une organisation corporatiste.
Face au risque permanent de dissolution d’Ordre Nouveau, par ailleurs très infiltré par les renseignements généraux, ses cadres prennent soin de conserver l’autonomie du GUD. Compte tenu des ambitions électoralistes d’Ordre Nouveau — confirmées en juin 1972 lorsqu'Ordre Nouveau lance le Front National (FN) vue des élections législatives à venir — il est également nécessaire de se distancier de l’image tumultueuse du GUD, ainsi que de ses accointances avec le néo-nazisme. En effet, Ordre Nouveau se réclame davantage des mouvements fascistes de l’entre-deux guerres que de l’héritage du IIIème Reich.
Après que Jean-Marie Le Pen a été désigné pour prendre la tête du FN, Patrice Janeau, le président en exercice du GUD, entre en dissidence et entraîne une partie des militants néonazis pour former le Groupe Action Jeunesse (GAJ). Ordre Nouveau est dissous par le gouvernement suite à la nuit d’émeute urbaine du 21 juin 1973, ce qui affaiblit encore le GUD, déjà contraint de consacrer son énergie à matraquer son nouveau concurrent, le GAJ, dans son fief d’Assas.
Évincé par Jean-Marie Le Pen, qui se voit octroyer par les tribunaux le droit exclusif de revendiquer l'étiquette Front National, Alain Robert contribue en 1974 à la création du Parti des Forces Nouvelles (PFN), dont le GUD devient la branche étudiante aux côtés d'un autre groupuscule juvénile extrémiste, les Forces Nationales de la Jeunesse. Tandis que le PFN cherche à lisser son image et à se rapprocher de la droite classique, les nouveaux leaders du GUD, Philippe Peninque et J.-F. Santacroce, travaillent à renforcer la politisation de leurs nouvelles recrues.
Parmi les activités et positionnements du groupuscule à cette époque, on peut citer : sa participation au service d'ordre de la campagne présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing, son soutien à Franco et au Sud Vietnam, son engagement dans les milices chrétiennes actives lors de la guerre civile au Liban. En 1977, lors de son premier congrès (ouvert à la presse), le GUD, gêné par l’imminence du procès de trois de ses militants pour coups et blessures à l’encontre d’une militante de l’UNEF, qualifie ses actions dures passées d’erreurs de jeunesse et affiche un certain légalisme. « Voici venu le temps du fascisme à visage humain » selon les propos d’un militant du GUD rapportés dans un article du Monde du 29 novembre 1977.
Les tensions grandissantes avec le PFN puis les échecs successifs du camp nationaliste (campagne européenne ratée de 1979, victoire de François Mitterrand aux présidentielles de 1981) continuent d’affaiblir le GUD. Après le tabassage spectaculaire de certains de ses membres à la station RER de Nanterre suite à leur irruption à l’université Paris-X, le GUD s'autodissous à l'été 1981 au sein du mouvement Renouveau Nationaliste , qu’il quittera en 1983 lorsque les manifestations étudiantes protestant contre la loi Savary lui redonneront suffisamment de vigueur.
Les années 80 : un tournant dans la violence
La décennie 80, au cours de laquelle la France découvre la mouvance skinhead d’extrême droite, est marquée par une augmentation des violences racistes du GUD, moins porté vers ses actions historiquement anti-gauches, par exemple contre les militants de la Ligue Communiste Révolutionnaire ou les syndicats étudiants ennemis tels que l’UNEF.
En effet, le groupuscule a progressivement cessé de considérer comme une véritable menace son ennemi originel, « le gauchisme » — mot valise utilisé aussi bien par le GUD que par les journalistes pour désigner les courants progressistes qui imprègnent les universités depuis mai 1968. Les agressions de personnes non blanches, qu’elles se déroulent dans le cadre d’affrontements avec de nouveaux groupes antagonistes tels que les dits chasseurs de skins, ou qu’il s’agisse de personnes isolées attaquées au hasard par les gudards, sont le reflet du fantasme grandissant de sauvegarde d'une France blanche menacée, dans un contexte où les luttes antiracistes et leur récupération par le PS et SOS Racisme sont davantage visibilisées.
En 1985, le GUD s’associe au mouvement de Jean-Gilles Malliarakis, le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR), au sein d’une fédération baptisée Troisième Voie. Celle-ci développe une posture anti-américaine, anticommuniste, anticapitaliste. L’objectif de ce discours révolutionnaire et populaire est de récupérer les déçus du lepénisme. Le GUD laisse de côté la stratégie de séduction par l’humour et embrasse alors plus franchement antisémitisme et antisionisme. Le profil de ses membres évolue, en s’ouvrant au prolétariat de droite, et le groupuscule continue de se propager en province. Sa marque, que Troisième Voie cherche à contrôler, y voyant un enjeu stratégique étant donné son pouvoir d’attraction sur les jeunes nationalistes, resurgit à l’occasion des attaques dont les gudards se rendent coupables, notamment de l’agression des étudiants manifestant contre la loi Devaquet
Bientôt, les ambitions politiques grandissantes du MNR rebutent le GUD, qui juge la critique systématique du FN stérile. Galvanisé par le succès de sa manifestation « Nous ne serons pas les Palestiniens de l'Europe » en mai 1987, le GUD décide de reprendre son autonomie. Il se présente aux élections étudiantes à Assas en 1988 sous l'appellation Union et Défense des Étudiants d’Assas (UDEA).
Le nouveau chef du GUD, William Bonnefoy, souhaite faire du groupuscule un mouvement politique autonome plus large qu’un syndicat étudiant. Il tente d’investir le champ intellectuel en lançant un cercle de réflexion, des réunions et la revue Rebelle, qui renoue avec « le ton potache » d’antan. Des affrontements violents ont lieu aussi bien avec les organisations de jeunesse juives qu’avec les frères ennemis de Troisième Voie, dont le GUD attaque un meeting à la Mutualité en mai 1989.
Retour vers le FN
En 1992, Frédéric Chatillon, admirateur d’Hitler et de Mussolini, ami de Marine Le Pen, prend la suite de William Bonnefoy et fait prendre un tournant majeur au GUD, en se rapprochant du Front National, qui continue de consolider sa place dans le paysage politique français. Les gudards côtoient les jeunes frontistes à l’occasion d’entraînements aux sports de combat. L’alliance avec le Front National au sein de la confédération syndicale des étudiants nationalistes, le Renouveau Etudiant, se traduit positivement dans les urnes aux élections universitaires de 1993. Les 25 ans du GUD sont célébrés la même année à la Mutualité devant 400 personnes. La revue de propagande Les Réprouvés prend la suite de Rebelle. Le 7 mai 1994, Sébastien Deyzieu, un jeune militant nationaliste de 22 ans, chute d’un immeuble en cherchant a échapper à la police lors d’une manifestation interdite organisée par le GUD contre l’impérialisme américain. Son décès est depuis commémoré par l’extrême droite chaque 9 mai.
Le GUD s’exprime publiquement sur les enjeux internationaux. Certains gudards prennent les armes en Croatie contre les Serbes lors de la guerre civile qui suit l’effondrement de la Yougoslavie à partir de 1991. Motivé par son négationnisme, le GUD affiche par ailleurs son soutien à la cause palestinienne. En 1994, Chatillon prend contact avec le général Tlass, ministre syrien de la Défense, qui voit dans le groupuscule français un véhicule intéressant pour sa propagande. Damas se met alors à financer le GUD, notamment l’édition de textes révisionnistes et l’impression d’affiches pro-Hamas. Suite à l’attentat à la cassette piégée contre le journal Tribune Juive le 3 décembre 1996, ces affiches, placardées dans Paris plus tôt dans l’année, mettent les renseignements généraux de la préfecture de police de Paris sur la piste du GUD. Si l’enquête est classée sans suite, la police découvre des armes, du matériel de fabrication d’explosifs ainsi que de la littérature antisémite et raciste au domicile de Fréderic Chatillon.
Malgré le retour dans le giron du FN et l’implication dans sa campagne présidentielle de 1995, les factions du GUD implantées en province soutiennent le numéro 2 du FN, Bruno Mégret, lorsque celui-ci tente un putsch contre Jean-Marie Le Pen en 1998 — tandis que le GUD Paris semble choisir la neutralité.
À partir des années 2000, le GUD poursuit son parcours chaotique toujours marqué par les tensions internes ou concurrentielles avec les autres groupuscules nationalistes, sortant généralement de ses périodes de sommeil pour s’attaquer violemment, physiquement ou sur les réseaux sociaux, aux porteurs des luttes pour les groupes structurellement dominés (agressions des manifestants contre la Loi El Khomri, agitation et menaces à l’occasion de rassemblements de la Manif pour tous, agression à Nantes en mai 2017 entre les deux tours des présidentielles de deux jeunes du quartier populaire de Bellevue …).
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Il est difficile de dégager quelques axes clairs de l’histoire décousue de ce qu’il convient d’appeler les GUDs plutôt que le GUD, les postures fluctuant au gré de l’apparition d’un nouvel ennemi. Le GUD est l’archétype de l’instabilité et de la recomposition permanente des milieux réactionnaires. Cette inconséquence politique, sans doute masquée par la mythification du sigle, était bien identifiée par Philippe Péninque, inspirateur de la stratégie entrepreneuriale des gudards des années 90 — ils sont aujourd’hui à la tête de nombreuses sociétés .
Diplômé d’Assas puis de l’Institut d’études politiques de Paris, Péninque avait consacré son mémoire universitaire à « l’âge d’or » du GUD, comme évoqué dans un chapitre du livre Marine est au courant de tout… des journalistes Marine Turchi et Mathias Destal, et dont l’extrait suivant a été publié sur Médiapart en mars 2017 :
Intitulé « La Politique à coups de poing », son manuscrit s’arrête longuement sur les faits d’armes des castagneurs aux « nuques rasées, brosses agressives », agrégés dans un mouvement qui « sentait le soufre ». Les affrontements avec les « rouges ». Le local de la rue des Lombards rempli « de barres de fer, lances, boucliers, manches de pioche ». La violence devenue « fascination », « but de l’action », mais aussi « esthétique » « romantique »... Le tout sous-tendu « par l’appel aux vieux mythes nationalistes : le sol, le sang, les morts, l’exaltation des corps d’élite ». Ou encore le « culte de soi, passant par l’accomplissement dans le groupe, absolument soumis au chef, sans autre finalité que la réussite d’une belle opération sans but objectif ». Et ce « goût de la peur vaincue, du danger côtoyé, désir du monde sans femme, des retours triomphants », qui « entraîne un activisme débridé ».
SOURCES :
Brochure présentée par le SCALP et REFLEXes, « Les rats pourris, une petite histoire du GUD », 2010.
▶ https://lahorde.samizdat.net/wp-content/uploads/2013/01/Les-rats-pourris.pdf
« Skins, GUD, JNR : extrême droite, le flambeau de la violence », L'Obs, juin 2013.
▶https://www.nouvelobs.com/politique/20130612.OBS2962/skins-gud-jnr-extreme-droite-le-flambeau-de-la-violence.html
L’INA éclaire l’actu : Occident, GUD, Ordre nouveau : le FN avant le FN, Ina, 4 octobre 2022.
▶ https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/front-national-genese-gud-ordre-nouveau
Marine Turchi et Mathias Destal, « La «GUD connection»,l’équipe bis de Marine Le Pen», Mediapart, 15 mars 2017.
▶https://www.mediapart.fr/journal/france/150317/la-gud-connection-l-equipe-bis-de-marine-le-pen
Frédéric Charpier, « Génération Occident: de l’Extrême Droite à la Droite », Éditions du Seuil, 2005.