SÉRIE
DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°17 : Glossaire en cours
Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles. Dans ce cadre on se propose ici d'entamer un glossaire que l'on souhaite accessible et clair, même si les conflits - politiques, historiographiques - rendent partiels et partiales ce type d'entreprise. Nous le complèterons régulièrement.

Par Cases Rebelles
Janvier 2022
Pour ce 17e épisode de notre série Des forces réactionnaires, nous vous proposons quelques définitions de termes, courants et idéologies caractérisant les mouvances réactionnaires en France.
NATIONALISME
Idéologie politique qui prône ultimement la souveraineté de l'État-nation1 , ou du moins l'unité de la communauté nationale en fonction d'un ou plusieurs critères objectifs (généralement ethniques, culturels, linguistiques et/ou religieux) et de critères subjectifs (le sentiment national, les héros, la définition d'un destin, etc.) construits au fil du temps. Le nationalisme valorise l'appartenance communautaire, souvent pour se distinguer d'un autre ensemble, parfois pour s'y opposer. (Source : Perspective Monde2 )
Si l’historien Michel Winock distingue dans l’histoire de France deux nationalismes, le nationalisme républicain qu’il qualifie d’ouvert et le nationalisme fermé, réactionnaire et agressif, qui apparaît à la fin du XIXème, la porosité est grande entre ces deux tendances. Nous allons les définir dans leur contexte d’émergence.
Le nationalisme républicain découle de la Révolution française. Il exalte initialement la nation, l’unité nationale, la République et l’Universel par opposition aux valeurs de l’Ancien Régime. Mais la construction de la nation a un coût : centralisation, formatage intellectuel et linguistique dans les écoles, éducation au patriotisme, conscription universelle et obligatoire, enrôlement dans les diverses guerres de conquête et dans l’entreprise coloniale… Toutes ces dynamiques sont globalement imposées aux individus appartenant à la nation. Ils deviennent victimes, témoins ou agents de multiples processus d’écrasement de la complexité identitaire et sont projetés dans cette fiction qu’est la nation.
Le nationalisme ordonne, modèle et distribue ces populations entre citoyens légitimes, en adéquation avec les modèles identitaires nationaux, et les Autres : illégitimes, subalternes, étrangers, suspects, etc.
En France, ce nationalisme s’accompagne en outre du sentiment de supériorité du « pays des Lumières et des droits de l’homme », qui nourrit un imaginaire d’exceptionnalité ainsi qu’une conception missionnaire de la relation au reste du monde, au nom du progrès à répandre.
L’autre tendance nationaliste se manifeste d’abord en fin des années 1880 avec le mouvement lancé par le général Boulanger, le boulangisme, qui exaltait la patrie et le peuple. Le caractère très composite du boulangisme, en témoigne l’attrait qu’il exerça sur certaines personnes de gauche de l’époque, atteste de la porosité entre les deux nationalismes. Les écrits de Maurice Barrès et de Charles Maurras participeront à formuler les principes d’une tendance qui se marquera plus nettement avec le schisme produit par l’affaire Dreyfus, entre dreyfusards et anti dreyfusards. Dès lors on retrouve les éléments de bases du nationalisme offensif : antisémitisme, antiparlementarisme, bellicisme, xénophobie, instrumentalisation identitaire du catholicisme, exigence d’ordre. Ce nationalisme est également animé par l’idée d’un déclin contre lequel il faudrait lutter, notamment au moyen du repli sur soi.
Il est incarné dans cette première période par le militantisme des ligues ou dans l’Action Française ; tous ne poursuivant pas le même horizon politique.
Aujourd’hui, les discours nationalistes agressifs sont omniprésents dans l’espace médiatique et traversent l’ensemble de l’échiquier politique. Ces discours séduisent une partie des masses et sont par conséquent au cœur des compétitions politiciennes : débats sur l’identité nationale, sur la laïcité, sur la loi confortant le respect des principes de la République – dite loi contre le séparatisme, etc. Ils nourrissent en flux continu l’imaginaire xénophobe d’ennemi·es de l’intérieur. Par ailleurs, même si l’antiparlementarisme en tant que tel se manifeste moins explicitement aujourd’hui, l’existence et l’utilisation récurrente par l’État/l’exécutif de la disposition particulière qu’est le 49.3 en sont une manifestation concrète.
Les nationalismes de libération mis en œuvre par des territoires colonisés sont radicalement différents de nationalismes d’exclusion précédemment décrits. Ils cherchent à faire exister des territoires qui ont été occupés, exploités et a visibiliser des réalités identitaires qui ont réprimées, écrasées . La conscience nationale est alors un moyen intermédiaire et provisoire pour permettre les luttes de libération. Mais il ne s’agit pas de fétichiser la nation comme fin en soi.
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NATIONALISME RÉVOLUTIONNAIRE
En France, le nationalisme révolutionnaire est une mouvance héritière du fascisme. L'historien Nicolas Lebourg situe sa naissance dans les années 1960, et voit dans l'indépendance de l'Algérie un événement catalyseur. Dans un effort de renouvellement et pour sortir de l’impuissance, le discours d’une frange de l'extrême droite mute : il alliera désormais les valeurs sociales, la vision économique et les postures de politique étrangère étiquetées à gauche, aux valeurs culturelles et de politique intérieure de droite. Multipliant les références à Lénine3 et empruntant au répertoire d'action militante de l'extrême gauche, les nationalistes révolutionnaires (dits NR) peuvent être désignés, depuis l’extérieur, par les termes « nationaux-communistes », « nationaux-bolchéviques » ou encore « rouges brun ».
Les Nationalistes Révolutionnaires cherchent à se différencier de la droite conservatrice, bourgeoise et chrétienne. Tout en rejetant le marxisme, ils affichent un positionnement anticapitaliste et une posture favorable à l’élimination — via l’intervention d’un État-nation planificateur — des différences de classe sociale, jugées dangereuses pour la cohésion du « peuple ». Le suprémacisme blanc est dissimulé derrière la promotion du cloisonnement des identités et des cultures, jugé indispensable à leur préservation. L’immigration est considérée comme une force destructrice, bras armé d’un capitalisme homogénéisant. Négationnistes, les NRs présentent la Shoah comme un mythe servant à inhiber la « résistance » populaire à ce qu’ils appellent le projet « américano-sioniste ».
Le nationalisme révolutionnaire abandonne le nationalisme français au bénéfice d'un nationalisme européen. Les NRs ont pour objectif de construire une Europe unitaire, ethniquement et culturellement homogène, promotrice d'une « troisième voie » entre communisme de l'URSS et le capitalisme des USA. Alors même que le colonialisme le plus extrême fait partie de leur culture politique historique, ils adoptent un discours anti-impérialiste. Les NRs transposent à l'extrême droite les idées issues des nationalismes d’anciennes colonies, considérant qu'ils mènent une lutte similaire et que des alliances sont donc possibles. De nombreux militants sont entrés en contact avec certains régimes autoritaires du monde arabe : Libye, Irak et Syrie. Ainsi, François Duprat, l'un des théoriciens du courant, écrit-t-il dans son Manifeste du Nationalisme Révolutionnaire que celui-ci « envisage la France comme une nation colonisée, qu’il est urgent de décoloniser. Les Français se croient libres alors qu’ils ne sont, en vérité, que les jouets des lobbies étrangers, qui les grugent et les exploitent, grâce à la complicité d’une fraction des classes dirigeantes, à qui ces lobbies jettent quelques morceaux de leur festin. »
Les groupuscules qui se réclament du nationalisme révolutionnaire sont très hétéroclites, et sont caractérisés par un opportunisme politique qui les conduit à de nombreuses contradictions. On peut classer dans cette mouvance la FANE, le Mouvement d’Action Sociale4, les Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires de Serge Ayoub, le Groupe Union Droit et l’un de ses derniers avatars, le Bastion Social .
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PATRIOTISME
Le patriotisme peut se définir par l’attachement à la patrie, l’identification à un même pays et ses valeurs et la capacité à s’impliquer pour sa défense ; le cas extrême étant la guerre.
On considère que le patriotisme est plus positif, respectable, naturel et rassembleur que le nationalisme. C’est pour cette raison que ce que nous appelons communément « fachosphère » est appelé « patriosphère » par celles et ceux qui en font partie.
Mais le patriotisme ne peut exister sans nationalisme. Il implique l’adhésion à l’État-nation dans sa dimension identitaire, sacralisée et figée ; il implique l’adhésion à ses guerres, ses rivalités, son impérialisme.
L’idée de défense de la patrie est d’ailleurs régulièrement réinvestie dans des discours politiques d’exclusion contre les personnes désignées comme ennemi·es de l’intérieur, qui menaceraient la cohérence de l’État-nation par leur action ou leur essence.
Notons qu’en Guadeloupe, par exemple, l’ensemble des forces ayant pour objectif la libération du territoire de la tutelle coloniale et la naissance de la nation Guadeloupe est défini par l’expression « camp patriotique ». Il s’agit dans ce cas là d’un nationalisme de libération, créé par la situation de colonisation.
Sur le manque de pertinence de la distinction entre bon et mauvais patriotisme, nous vous conseillons la lecture du texte de Yannick Giovanni Marshall, « Patriotism is racist ».
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ROYALISME
Dans son acception la plus générale, le royalisme est une idéologie politique qui soutient la royauté et prône le retour du roi de France légitime au pouvoir. Royalistes et monarchistes diffèrent en ce que ces derniers ne sont pas intrinsèquement antiparlementaristes et antidémocratiques : ils sont attachés à la figure d'un roi ou d'une reine à la tête de la nation.
L'historien René Rémond distingue, dans sa thèse controversée des « trois droites » en France, une droite bonapartiste, légitimiste et orléaniste5 . La première prône le retour de l'Empire mais reste d'inspiration républicaine. Les deux autres sont royalistes : d'un coté, les légitimistes soutiennent la descendance de la maison Bourbon, tandis que les orléanistes considèrent que les seuls héritiers au trône de France sont les descendants de Louis-Phillipe II.
Du courant orléaniste émergera, en 1899, l'organisation d'extrême droite nationaliste et antisémite l'Action Française (AF), toujours active à ce jour, avec environ 3000 adhérents en 2018. Charles Maurras (co-fondateur de l'AF) en deviendra le théoricien : férocement antisémite, partisan d'une monarchie héréditaire, catholique traditionaliste, antiparlementariste, défenseur d'un pouvoir fort et autoritaire, il fustige la décadence culturelle, morale, politique incarnée par les les quatre états confédérés, c'est-à-dire « juifs, Franc maçons, protestants, métèques ». C'est lui qui développe la théorie du « pays réel » qu'il oppose au « pays légal »6 reprise régulièrement ces dernières années à des fins populistes.
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D'autres définition viendront prochainement compléter ce glossaire.
- D'un point de vue géopolitique, l'État-nation est considéré « comme un type d'État dont la majeure partie de la population relève d'une seule et même nation » (Yves Lacoste). En ce sens, il se distingue des États composés de plusieurs minorités ethniques (État multinational, empire). Toutes les nations ne sont pas dotées d'État (par exemple, les Kurdes ou les Palestiniens) et certains États sont multinationaux (ainsi la Belgique peuplée par les Flamands et les Wallons). (Source : Dictionnaire des sciences sociales, Jean-François Dortier, 2013.) [↩]
- https://perspective.usherbrooke.ca/ [↩]
- Révolutionnaire communiste, théoricien politique et homme d'État qui prend la tête de la Russie soviétique suite à la Révolution de 1917. L’un des écrits fondateurs du nationalisme révolutionnaire est Pour une Critique positive de Dominique Venner, fortement inspiré de Que faire ? de Lénine. [↩]
- Voir Des forces réactionnaires, épisodes n°13 sur le Mouvement d’Action Sociale, et n°16 sur la FANE. [↩]
- D'ailleurs, l'historien Z. Sternhell qui conteste la thèse des « trois droites » privilégie la catégorie de « droite révolutionnaire ». [↩]
- dans Enquête sur la monarchie, de Charles Maurras, 1900 [↩]