Des forces réactionnaires n°8 : le RIF (rock identitaire français)

SÉRIE

DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°8 : le RIF (rock identitaire français

Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.

Série | Des forces réactionnaires

Par Cases Rebelles

Septembre 2022

Notre série Des forces réactionnaires continue avec ce nouveau numéro sur le RIF ou "rock identitaire français", courant musical fasciste qu'on peut aujourd'hui considérer comme défunt, en tant que tel.

L’une des stratégies des groupes fascistes en quête d’adhésion massive et de maintien du réseau entre militants suprémacistes blancs déjà actifs est la propagande culturelle. La musique est l’un des principaux moyens. Malgré son appellation, le « rock identitaire français » se décline dans des genres variés : rap, ska, métal, électro, pop.
Pour clarifier leur activité, les nationalistes de Vae Victis, pionniers du genre, la qualifient eux-mêmes « d’agit-prop » (agitation-propagande). Ce groupe, dont le nom signifie « malheur aux vaincus », a été produit en 1993 par la maison de disque Société d’Études et de Relations Publiques (SERP) appartenant à Jean Marie Lepen et sa fille aînée Marie-Caroline. La SERP assumait une tactique de guerre culturelle et faisait circuler des idéologies racistes, nazies et négationnistes : « La montée vers le pouvoir d’Adolf Hitler et du Parti national-socialiste fut caractérisée par un puissant mouvement de masse, somme toute populaire et démocratique, puisqu’il triomphera à la suite de consultations électorales régulières, circonstances généralement oubliées… »
Ce texte au verso de la pochette du disque Voix et chants de la révolution allemande – Le IIIe Reich a valu une condamnation pour « apologie de crimes de guerre et complicité » à la SERP en 1968.

Dans les années 1990, période d’émergence et d’activité prolifique du RIF, une compilation de titres a été distribuée à la sortie de lycées à plusieurs milliers d’exemplaires. Cette entreprise était soutenue par le label Bleu Blanc Rock (BBR) cofondé par Fabrice Robert, figure de proue de l’extrême droite niçoise, co-fondateur et président du Bloc Identitaire qui deviendra Les Identitaires. Robert est aussi batteur du groupe Fraction, formé en 1994, et auteur d’un mémoire de maîtrise en sciences politiques sur la diffusion de la propagande nationaliste par la musique. Les textes qui s’y trouvent sacralisent le mythe d’une identité européenne pure et une injonction à sa défense contre l’invasion d’étrangers.

Dans l’extrême droite française, le RIF émane d’une mouvance radicale et anti-électoraliste dite « nationale révolutionnaire ». Elle s’est incarnée notamment à travers des groupuscules comme l’Unité Radicale (UR), organisation dissoute après la tentative d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie en 2002. Les groupes de RIF sont aujourd’hui moins nombreux mais leurs musiques continuent de résonner, comme c’était le cas aux marches de la Manif Pour Tous de Paris et Lyon où on pouvait entendre celle du groupe catholique réactionnaire Francs-Tireurs Patriotes.
Si l'entre-soi de la scène RIF lui est en réalité imposé par son exclusion de l’industrie du disque, les identitaires s’en servent pour renforcer une posture de bravoure qu’ils revendiquent ainsi dans un discours de pureté politique.

Le RIF est héritier du Rock against communism (RAC) mais s’en différencie puisqu’il vise à être diffusé au-delà des groupes politiques d’extrêmes droites existants. Christian Bouchet, membre du Front National depuis 2008 et auparavant du Mouvement National Républicain (MNR), écrit en 2001 un livre intitulé Les Nouveaux Nationalistes. Après un passage affirmant que la prise de pouvoir par les urnes est une vitrine insuffisante pour agir, il explique que le RIF est un moyen de recruter des jeunes, dont la large distribution répond à une volonté d’efficacité politique : « Ainsi, le RIF, moyen d’expression privilégié de la révolte de notre jeunesse européenne, doit être un vecteur efficace de recrutement et de sensibilisation de jeunes encore extérieurs à la famille d’idées ou pas encore encadrés. Chacun de nos groupes de base un peu conséquent doit participer à la création d’un groupe de RIF local. […] Un concert de RIF avec dix jeunes Européens encore isolés deux heures auparavant, cela vaut cinq mille tracts boîtés. »

Les labels Mémorial Records, Bleu Blanc Rock et Alternative-S ont cessé d’exister, mais Patriote Productions semble toujours actif. Des groupes de musique identitaire et fasciste existent toujours.

Ressources

- Rock Haine Roll : Origines, histoires et acteurs du rock identitaire français, Collectif No Pasaran, 2004. Les chapitres sur le RIF sont disponibles en ligne ici.
- La propagande par le disque. Jean-Marie Le Pen, éditeur phonographique, Jonathan Thomas, 2020.

- « Du rock à Gramsci, un fourre-tout idéologique », Jacky Durand, liberation.fr, 07/08/2002.
- « Quand Jean-Marie Le Pen était patron d’une maison de disques », Théo Chapuis, konbini.com, 10/05/2015.
- « Radiographie des groupuscules d'extrême droite en France », Piotr Smolar, lemonde.fr, 18/05/2005.
- « Sur le front du rif. Etat des lieux du Rock identitaire français, proche du FN », David Dufresne, liberation.fr, 09/05/1998.
- « Une musique groupusculaire : le rock identitaire français », Lilian Mathieu, dans Art et contestation, Lilian Mathieu et Justyne Balasinski (dir.), 2006.
- « Francs-Tireurs Patriotes (FTP) : le retour des morts-vivants », La Horde, 17/06/2022.
- « Skinheads : du reggae au Rock Against Communism », Gildas Lescop, dans Volume !, 9 : 1, 2012, p. 129-149.

- « Qui sont les Brigandes, groupe musical identitaire? », France 3 Provence-Alpes-Côte d’Azur, 18/03/2018.
- « Chants xénophobes et soupçons de dérives sectaires : les Brigandes sèment le trouble à la Salvetat » - RD avec AFP pour France 3 régions, 24/01/2018.