SÉRIE
DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°16 : la FANE
Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.
Par Cases Rebelles
Décembre 2022
Paneuropéenne, nationale-révolutionnaire, nationale-socialiste, populiste, antisémite, terroriste, électoraliste, la FANE, née en 1966, a été un peu tout cela et plus. C'est sa participation à la montée des violences racistes des années 70 et 80 qui nous semblent témoigner le plus de la nocivité de son histoire ; de la terreur d'extrême-droite souvent restée impunie, du fait notamment d'une certaine proximité entre la FANE et le pouvoir policier. Voici le 16e volet de notre série Des forces réactionnaires.
Naissance de la FANE et assise idéologique
La FANE ou la Fédération d’Action Nationale et Européenne a été fondée le 8 avril 1966 et est le fruit de la fusion de trois groupuscules : le Cercle Charlemagne, le Comité de Soutien à l’Europe Réelle (CSER) et Action Occident. Son sigle, un cercle traversé par trois flèches, symbolise les organisations à la base de la fédération.
Le cercle Charlemagne est un réseau regroupant des membres des régions de l’Est de la France et de ses pays frontaliers, l’Allemagne et le Luxembourg. Son nom fait référence à la division française de la Wafen-SS. Le groupe milite pour le renoncement aux nations au profit d’une fédération européenne sur des bases ethniques. Ses membres sont des gens puissants (grands patrons, notaires, avocats, ministres luxembourgeois, etc.) qui ont quitté Occident (voir Des forces réactionnaires n°2) consécutivement à l’exclusion de Pierre Sidos.
Le Comité de soutien à l’Europe Réelle est la section française du Mouvement social belge (MSB) dirigé par l’ancien rexiste1 et waffen ss Jean Robert Debbaut.
Enfin, Action Occident rassemble des dissidents d’Occident. C’est un groupe néonazi, formé par les anciens partisans de l’Algérie française. Action Occident est dirigé par Marc Fredriksen. Fredriksen est issu des milieux royalistes. Il est devenu militant pour l’Algérie française suite à son service militaire chez les parachutistes.
C’est lui qui est élu président de la fédération naissante et en est reconnu comme le fondateur officiel.
De sa création jusqu’en 1979, la FANE oscille entre nationalisme révolutionnaire — populiste, socialisant, anticapitaliste — et le national-socialisme qui devient ensuite la principale référence idéologique.
L’une des caractéristiques principales de la FANE c’est sa dimension paneuropéenne. L’organisation prône « l'unité raciale de la nation européenne », l'unité blanche bien entendu.
Elle est liée à un réseau transnational d’extrême-droite qui s’incarne notamment dans l’internationale Nouvel Ordre européen (NOE, fondé en 1951), organisation hégémonique dans le néo-nazisme franco-belge.
La FANE va déployer tout au long de son existence une propagande révisionniste et négationniste :
Les membres de la FANE estiment que l'histoire du IIIe Reich comme la personnalité d'Adolf Hitler ont été « revues et corrigées » par le « lobby juif ». Selon eux, les fours crématoires, le génocide de six millions de juifs, ne sont que des mythes. Ces idées sont largement développées dans le bulletin mensuel de la fédération 'Notre Europe' qui, à chaque parution, porte en exergue, le nombre de jours d'emprisonnement de « notre camarade Rudolf Hess ».2
Son antisémitisme virulent la porte dès son origine vers l’antisionisme. Elle tentera régulièrement des rapprochements avec des organisations pro-palestiniennes, avec plus ou moins de réussite : la FANE est surtout liée au Rassemblement pour la libération de la Palestine, qui a été créé par le négationniste François Duprat.
La FANE première période : la marginalité et les urnes
Initialement, la FANE est constituée d’une trentaine de membres. Il ne s’agit pas d’un parti mais d’une fédération qui diffuse ses idées dans des tracts et dans son journal mensuel Notre Europe, combat pour un Nouvel ordre européen. Henri-Robert Petit, auteur et militant antisémite notoire, collaborationniste condamné, y est actif dès le début même si on ne retrouve pas la date exacte de son engagement.
Mais à l’époque, le groupe qui a le vent en poupe c’est Ordre Nouveau (1969-1973), qui est en pleine ascension et travaille au lancement du Front National. En 1973, François Duprat, exclu du FN et d’ON, approche la FANE. Duprat, qui fut également exclu d’Occident, a été régulièrement soupçonné d’être un informateur de la police.
Un an plus tard, il est de retour au FN. Promu n°2, il embarque dans ses valises la FANE et ses idées. Des figures comme Mark Fredriksen, Hubert Kohler, se lancent dans l’aventure électorale sans pour autant renoncer au nazisme. Les membres plus anonymes de la FANE viennent grossir les rangs des GNR — Groupes Nationalistes Révolutionnaires, également dénommés Groupes Nationalistes Révolutionnaires de Base — aile radicale notamment destinée à passer à l’action violente en cas de victoire de la gauche à l'élection présidentielle de 74. L'objectif est donc de constituer une avant-garde nationaliste-révolutionnaire au sein du FN. Les Cahiers européens, le journal des GNR, va également fusionner avec le mensuel de la FANE, Notre Europe : Fredriksen devient à l'occasion co-directeur des Cahiers.
En décembre 1974, se tient à Lyon le congrès de la NOE : 12 pays, 3 continents sont représentés. Les débats sont présidés par Mark Fredriksen et Daniel-Louis Burdeyron, avocat et ancien cadre de l’Union mondiale des nationaux-socialistes, la WUNS.
La même année, Fredriksen est aussi secrétaire départemental du FN pour la Seine-Saint-Denis.
Le 20 février 1978, un certain Paul-Louis Durand, policier, écrit au Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) :
Huit camarades élèves inspecteurs et moi-même avons choisi de réaliser un dossier sur le racisme qui sera ensuite classé dans la bibliothèque de l’École (...). Pour ma part, je suis chargé d'effectuer un panorama sur les organisations racistes et néo-nazies en France (...). Il va sans dire que le dossier constitué par notre équipe sera antiraciste, sans ambiguïté et que votre organisation sera citée.3
Or, ce Durand est un activiste de l'internationale fasciste et il est aussi membre du bureau national de la F.A.N.E.
Fredriksen échoue aux législatives en mars 1978. Entre les deux tours, François Duprat est assassiné dans un attentat à la voiture piégée. Sa mort provoque la marginalisation de ses proches au FN qui finissent par quitter le parti ou en être exclus. Les GNR sont dissous et une partie de ces militants iront gonfler les effectifs de la FANE qui passe à plus d’une centaine de membres.
Michel Faci, ancien responsable du service d’ordre du FNJ (mouvement de jeunesse du Front National), ex GUD (Groupe union défense, groupuscule juvénile d’extrême droite), ex-GNR, rejoint la FANE et devient en 1978 rédacteur en chef de l'organe de la FANE, Notre Europe, qui est de retour. Il travaille aussi pour l’Immonde, journal satirique, pastiche du Monde.
La montée en violence
Dès lors, la FANE va militer de manière particulièrement offensive, multipliant la propagande nazie et les actions violentes. La fédération revendiquera un nombre important d’attentats antisémites, une centaine selon la presse de l’époque. Elle menace aussi régulièrement des personnalités juives. Partout, en France des graffitis « FANE » alimentent la terreur raciste et voisinent avec des affiches telles que « Ouvrier fasciste, rejoins nos rangs », « Pour un socialisme national, rejoins tes camarades ». Les autocollants qu’elle édite sont tout autant dépourvus d’ambiguïté : « Une race, un combat », « Les Blancs pillulent, les allogènes pullulent », « Ta patrie c’est ton sol, ton peuple c’est ton sang! », « Solidarité aryenne contre internationale sioniste ».
La FANE avance à découvert et sa confiance est justifiée par la passivité des autorités.
D'ailleurs, un juge d'instruction, Guy Joly, écrira en août 1980 à un commissaire pour s'inquiéter du sabotage systématique par la brigade criminelle de son enquête sur les attentats racistes et antisémites ; la lettre sera portée à la connaissance du public par le journal Le Canard Enchaîné.
Dans la nuit du 2 au 3 juin 1980, deux militants de la FANE sont arrêtés armés de barres de fer et de cocktails molotov à Clichy-sous-bois ; rapidement libérés, ils s'en tirent avec du sursis, en dépit du fait qu'ils aient déclaré que leur intention était de procéder à des agressions racistes.
Plus tôt dans l’année, le dimanche 15 juin, à Paris dans le quartier du Marais, une quinzaine de membres de la FANE s’en prend à coups de barres de fer et de slogans fascistes à une expo consacrée aux réfugiés du Nicaragua et du San Salvador par l’organisation catholique Justice et paix. La voiture dans laquelle s'enfuient certains agresseurs appartient à Michel Faci, mais il n’est nullement inquiété.
Le 22 juin 1980, une tentative d’attentat a lieu contre le monument aux morts de Châtillon-d'Azergues, dans le Rhône, alors qu’à quelques kilomètres de là se déroule un rassemblement de la FANE.
Le 26 juin a lieu un attentat à la bombe contre le siège parisien du MRAP. « La Fédération de l'Action Nationaliste Européenne revendique cette action, réponse à la tentative de meurtre contre un militant de la F.A.N.E., le mois dernier. » déclare le communiqué laconique parvenu à l’AFP. Fredriksen démentira plus tard.
Le 1er juillet 1980, un attentat contre un magasin Daniel Hechter est attribué à la FANE.
Le 2 août 1980, une bombe placée dans une salle d’attente de la gare de Bologne, en Italie, explose. Le bilan terrible de 85 morts et plus de 200 blessés en fait l’attentat le plus meurtrier du XXème siècle sur le sol européen. L’enquête qui s’oriente vers les milieux fascistes fait émerger le nom du flic Durand, dont les policiers italiens découvrent qu’il entretient des contacts réguliers avec les principaux mouvements d'extrême droite. Ce coup de projecteur international le rend soudain trop gênant pour un Ministère de l’Intérieur jusqu’ici peu troublé par ses activités à la FANE ; il est suspendu.
Dans la foulée advient, le 3 décembre 1980, la dissolution très tardive de la FANE sur initiative de Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur dont nous avons déjà parlé au sujet d'Honneur de la Police (voir Des Forces réactionnaires n°9).
- Sur la proposition du ministre de l'Intérieur, le conseil des ministres a décidé de prononcer la dissolution de l'association dite "Fédération d'action nationale européenne".
- Les manifestations violentes organisées par ce mouvement, dont l'un des buts exprimés est l'installation d'un nouveau régime nazi, l'organisation paramilitaire de cette association et ses incitations à la discrimination raciale sous les formes les plus diverses : tracts, affiches, propos publics, actions de commando, entrent dans le champ d'application des dispositions de la loi du 1er juillet 1972 qui a complété la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées.4
Le groupe est immédiatement reconstitué dans les Faisceaux nationalistes européens (FNE), créés en juillet en prévision.
Le 8 septembre 1980, Annette Lévy-Willard, journaliste de Libération, se rend dans les locaux de la F.A.N.E pour une interview. Elle se retrouve notamment face à Fredriksen et Henry-Robert Petit. Les propos, à l’encontre d’Annette Levy même, sont d’une violence extrême. Ils sont en partie rapportés dans le livre de Jean-Marc Théolleyre, Les Néo-nazis, publié en 1982.
Le 3 octobre 1980, l’attentat de la rue Copernic plonge la France dans la stupeur. En ce jour de shabbat et de fête juive, une bombe vise la synagogue de l'Union libérale israélite de France et fait 4 morts et 46 blessés. L’émotion est grande. Un coup de fil à l’AFP revendiquera l’attentat au nom de la FANE, mais la revendication est l’œuvre de Jean-Yves Pellay, un militant infiltré dont l'objectif est de nuire à l'organisation.
Mais des déclarations récentes de Fredriksen dans la presse sur l'usage de la violence oriente aussi les soupçons vers la FANE.
Au lendemain de l’attentat, José Deltorn, secrétaire général du Syndicat National Autonome des Policiers en Civils, déclare qu’un adhérent sur cinq de la FANE est policier ; cela fait 30 personnes, précisera-t-il en interview. Le ministre de l’Intérieur porte plainte contre lui.
Mais lors de la séance au Sénat du 8 octobre 1980, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission de contrôle sur l'appartenance à la Police nationale d'agents suspects d'activités en liaison avec les menées néo-nazies, et sur l'organisation de la riposte policière aux attentats racistes et antisémites est présentée par la gauche.
Par ailleurs, des militants juifs ont décidé de faire justice. Le dimanche 12 octobre 80, un groupe de militants des FNE est attaqué à Rambouillet, où les nazis ont leurs habitudes d’entraînement. Fredriksen a les poignets fracturés. Il est aussi victime de traumatismes crâniens. Michel Caignet, autre cadre de la FANE, sera plus tard défiguré par une attaque au vitriol.
Lors de la séance du Sénat le 14 octobre 1980, les débats provoqués par l’attentat de la rue Copernic témoignent de la passivité de la police et de la justice quant aux violences des organisations racistes, depuis une décennie. André Méric, élu socialiste, raille « la vanité de la mesure » de dissolution de la FANE « son inefficacité » puisque « l'organisation de "nazillons" » « avait pris la précaution de déposer les statuts d'une nouvelle association quelques jours auparavant sous le nom de "Faisceaux nationalistes européens" ».
Le 20 novembre une information judiciaire est ouverte contre les anciens dirigeants de la FANE, Mark Fredriksen, Michel Caignet et Michel Faci, pour reconstitution de ligue dissoute.
Par la suite, la FANE ou les FNE ne reviendront sur le devant de la scène qu'à l'occasion de procès pour des délits divers liés à des prises de position publiques et des faits de violence de ses membres.
En 1987, la dissolution de la FANE est enfin effective. La même année, les FNE fusionnent avec le Mouvement national et social ethniste. Cette fusion donne naissance aux structures Survival Kompagnie SS et Armée secrète nationale ; mais il n’en est fait mention que dans l’article « Agir et penser en néo-nazi »5
En 1994, les FNE sont absorbés par le Parti Nationaliste Français et Européen (PNFE) (voir Des Forces réactionnaires n°11), dont Marc Fredriksen devient vice-président.
SOURCES :
Nicolas Lebourg, « Nazis dans le rétro : ce que l’attentat de la rue Copernic nous raconte de l'extrême droite française », Slate, 4 octobre 2014.
▶ https://www.slate.fr/story/92895/attentat-rue-copernic-extreme-droite
Kathleen Evin. Le bel été de l’extrême-droite, Le Nouvel Observateur, août 1980.
▶http://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS0823_19800816/OBS0823_19800816_018.pdf
Extrême-droite, Ina, archive du 13 HEURES de TF1, 07 janvier 1980.
▶ https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caa8001195301/extreme-droite
- Le Rex, plus couramment appelé Rex, est un ancien mouvement politique d'extrême droite, nationaliste, antibolchévique et collaborationniste belge, actif entre les années 1930 et 1945. Léon Degrelle en est la figure emblématique. [↩]
- Source : La FANE milite pour l'unification de l'extrême droite européenne [↩]
- Différences, décembre 1980. [↩]
- Source : Discours du 3 septembre 1980 annonçant la Dissolution de la FANE. [↩]
- in Parlement[s], Revue d'histoire politique 2018/2 (N° 28), Nicolas Lebourg. [↩]