SÉRIE
DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°12 : Les mouvements anti-avortement en France
Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.

Par Cases Rebelles
Novembre 2022
Cette présentation des mouvements anti-avortement sur le territoire français, nous avons choisi de la commencer par un rappel historique de la législation anti-avortement jusqu'à l’adoption de la loi Veil.
S’il a fallu légiférer pour accorder le droit à l’avortement, c’est qu’il existait des lois qui le pénalisaient. L’Édit d'Henri II, datant de février 1556, assimilait l’avortement à un homicide. En 1598, une bulle papale de Sixte Quint déclare l’avortement passible de peine de mort. Du XVI au XVIIème siècle, les prêtres doivent donner lecture publique l’Édit de 1556 tous les trois mois. Cependant, en 1708, Louis XIV produit une déclaration dont l’objectif est de rappeler aux curés leur obligation de publier l’édit tous les trois mois et d’en attester par l’envoi d’un certificat aux autorités.
Le Code pénal de 1791, premier code pénal français, adopté pendant la Révolution, condamne encore l’avortement. Le Code civil français de 1804 dit « Code Napoléon », violemment patriarcal, fait des femmes des éternelles mineures dont on exige la soumission à l’autorité du père et du mari. L’avortement est alors un crime jugé aux Assises, passible d’emprisonnement ; les membres du corps médical y participant s’exposent aux travaux forcés. Dans le même mouvement, le Code pénal est promulgué avec l’article 317 qui régira l’interdiction d’avortement applicable jusqu'à la loi Veil.
En 1920, la propagande nataliste d’après-guerre aboutit à la criminalisation de toute incitation à l’avortement mais aussi à la contraception, par la loi du 1er août.
Le régime de Vichy durcit encore le ton avec la loi du 15 février 1942 : l’avortement devient un crime d’État passible de peine de mort. Accusée d'avoir pratiqué une vingtaine d'avortements, Marie-Louise Giraud est guillotinée en juillet 1942 ; Désiré Pioge, en octobre 1943. La loi est abrogée à la Libération, mais l’avortement n’en reste pas moins interdit, sur fond de consensus politique nataliste, et l'année 1946 voit 5 151 sanctions pénales.
Les mouvements féministes de la fin des années 60 font du droit à l’avortement une revendication prioritaire. Les moments médiatiques importants sont le Manifeste des 3431 et le procès de Bobigny qui devient le procès politique de l’avortement, en octobre et novembre 1972 .
Au niveau gouvernemental, Claude Peyret, médecin et député gaulliste, avait proposé un texte de loi pour l’élargissement des conditions de l'avortement thérapeutique à l'Assemblée nationale en 1970, qui reprenait un texte de l'Association nationale pour l'étude de l'avortement (ANEA) produit quelques mois auparavant. Cette proposition de loi qui n’autorisait l’avortement que dans un cadre extrêmement restrictif fut rejetée par les mouvements féministes puisqu’elle maintenait la mainmise du patriarcat et de l’État sur le corps des personnes qui ne souhaiteraient pas avoir d’enfants.
Autour de la loi Veil
Le 29 novembre 1974 à 3h40 du matin, l’Assemblée nationale adopte en première lecture, par 284 voix contre 189, le projet de loi Veil pour la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) avant 10 semaines de grossesse. Après un passage au Sénat en première et seconde lectures, et un passage en seconde lecture à l’Assemblée, la loi est enfin promulguée le 17 janvier 1975.
La loi introduit en même temps une clause de conscience2 qui permet à tout·e professionnel·le de santé de refuser de concourir à l’avortement.
Les groupes d’opposition n’ont pas attendu la promulgation de la loi pour se former. L’association Laissez-les-vivre (qui deviendra Laissez-les-vivre – SOS futures mères) est créée dès 1971 par Geneviève Poullot (auteure de différents livres contre l’avortement : Les Femmes et les enfants d’abord (1976), J’ai la loi pour moi, Pilate ou Hérode…) et le professeur Paul Chauchard (médecin, auteur d’une trentaine d’ouvrages) qui en sera président pendant 20 ans.
Lors du premier congrès de l’association en mars 1971, le service d’ordre est assuré par le groupe d'extrême droite Ordre nouveau bien qu'officiellement l'association se définit comme apolitique et aconfessionnelle. Elle déclare dans ses statuts « promouvoir la valeur spécifique de toute vie humaine qui doit être respectée dès la conception et jusqu'à la mort naturelle ». Son activité a été particulièrement importante dans les années 1970 et 1980 en réponse aux diverses avancées législatives. L'association est alors la principale organisatrice :
- le 17 novembre 1979, avec la Confédération nationale des associations familiales catholiques, d'une manifestation de Montparnasse à l'Assemblée nationale qui aurait rassemblé entre 40 000 et 50 000 personnes ;
- le 15 mai 1982, d'une manifestation de la Bastille à la Concorde qui aurait rassemblé entre 30 000 et 40 000 participant·e·s.
L'ACPERVIE, Association des Chrétiens Protestants Évangéliques pour le Respect de la Vie, a été fondée le 8 mai 1980 par Lucie Olivier. La structure se dit « indépendante de tout parti politique, de toute école philosophique » ; « elle est chrétienne et se soumet pour ses écrits et ses actions aux seules Saintes Écritures, inspirées de Dieu et contenues dans toute la Bible. »
En 1982 l'AOCPA, Association pour l'objection de conscience à toute participation à l'avortement, devenue Choisir la Vie en 1994, présidée par Michel Raoult, émane de Laissez-les-vivre, en réponse à la loi Roudy3 qui institue le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. Raoult était ingénieur, de droite, proche de Christine Boutin et militant au syndicat CFTC.
L’association SOS Tout-Petits a été fondée en 1986 par Xavier Dor. Elle ne se contente pas de lutter contre l’avortement, elle s’oppose aussi à la contraception et au mariage entre personnes du même sexe. SOS Tout-Petits est tristement célèbre pour avoir conduit, entre 1986 et 1995, de nombreux commandos anti-IVG, saccages, intrusions dans les blocs opératoires, avec prières de militant·e·s, dont certain·e·s s'enchainent à des tables d'opération, etc. Dor, président de l’association, catholique intégriste, est membre du conseil d’administration de l’association d’extrême droite AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne, fondée en 1984). Il a été condamné 11 fois pour entrave à l’avortement, à des amendes mais aussi à des peines de prison en vertu de la loi Neiertz4 .
À partir de 1995, du fait des condamnations, l’association conduit surtout des prières de rue, l’exhibition des images de fœtus ensanglantés à proximité de centres IVG, de locaux du Planning familial, etc. Les intrusions ne cessent pas complètement puisque Xavier Dor est encore condamné en 2014 pour délit d'entrave à l'IVG après deux intrusions dans les locaux du Planning familial à Paris en juin 2012. En juillet 2015, trois jeunes militants se sont introduits dans un des centres parisiens du Planning pour distribuer des tracts et dissuader les femmes présentes, aux cris notamment de « Vous ne savez pas ce que vous faites ! », en référence au « Pardonnez-leur, Seigneur, ils ne savent pas ce qu'ils font ». Dor a quitté la présidence de l'association en 2016 et c’est Philippe Piloquet (médecin et maître de conférences à l’Université de Nantes) qui lui a succédé.
La Trêve de Dieu (référence : La Trêve de Dieu était une suspension de l'activité guerrière durant certaines périodes de l'année, organisée pendant le Moyen Âge en Europe par l'Église catholique romaine) a été créée à l'occasion de la visite du Pape à Strasbourg en octobre 1988 par Claire Fontana (ex-présidente), dont la mère était membre du comité national de Laissez-les-vivre. L’association demandait que, pendant les quatre jours de la visite papale, tout avortement soit empêché dans toutes les cliniques et hôpitaux d'Alsace et de Lorraine.
La Trêve de Dieu, qui réunit des catholiques traditionalistes ou charismatiques et des protestant·e·s surtout évangélistes, est l’autre organisation qui fut largement investie dans les commandos anti-IVG emmenés notamment par Thierry Lefèvre, qui a auparavant participé aux commandos d’Operation Rescue en 1994 à Atlanta aux États-Unis. Ce membre de l’ACPERVIE, possède nombreuses connexions dans les réseaux anti-IVG internationaux et est sans doute l’un des français qui s’inspire le plus de ce qui se fait ailleurs. Aujourd’hui, sur le site très daté de l'association on trouve des textes récents comme « Du Grand Génocide au Grand Remplacement » signés par Thierry Lefèvre, qui fut à la tête de nombreux commandos anti-IVG dans les années 90.
Il existe deux types de commando. Les premiers, inspirés par Xavier Dor et se réclamant de SOS Tout-Petits, pénètrent dans les services par ruse et, au besoin, violemment. Arrivés dans la salle d'opération, ils s'enchaînent aux radiateurs, prient et chantent des cantiques à gorge déployée. Les autres, affiliés à Claire Fontana et à La Trêve de Dieu, avancent sans que rien ne puisse les arrêter. Si une personne se met en travers de leur chemin, ils la bousculent ou même la pincent violemment comme l'a fait Thierry Lefevre, ancien président de La Trêve de Dieu. Dans la salle d'opération, ils affichent un mutisme, aussi pesant que les prières. Il faut comprendre que leurs interventions se déroulent dans des centres d'orthogénie qui sont aussi des maternités. Le matériel est dégradé, les instruments salis, les patientes et le personnel sont humiliés. Ils utilisent des grosses chaînes de moto, dont ils détériorent ou cachent la clé. Il faut au moins trois heures pour les scier. Dans certains cas, comme à Grenoble, des militants sont restés six heures dans la salle, avec leurs déjections sous eux. (Source : Propos de l'avocat Jean-Paul Valois dans Libération, 19/03/1996.)
En 1993, Véronique Neiertz, secrétaire d’État aux droits des femmes, membre du Parti Socialiste, a fait voter la « loi du 27 janvier 1993 » qui punit l'« entrave à avortement volontaire » de deux mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 2 000 à 30 000 francs. Outre les différentes formes d'action ou d'intimidation, la loi vise la désinformation sur l'IVG.
Le délit d'entrave numérique à l'IVG est puni depuis 2017, par deux d'emprisonnement et 30 000 € d'amende.
Alliance Vita a été fondée fin 1993, sous le nom d’Alliance pour les droits de la vie, par Christine Boutin, et devient Alliance VITA en 1994 après l’arrivée de Tugdual Derville. L'association milite sur plusieurs fronts : opposition à l’avortement, à l’euthanasie, à toute forme d’union entre personnes de même sexe. Elle est présente en ligne à travers des sites comme sosbebe.org5, dotés de lignes d’écoute, très accessibles, d’apparence apolitique, neutre et institutionnelle, qui permettent de tromper les internautes en quête d'information et de leur asséner des discours anti-IVG voire de les rediriger vers des plates-formes plus explicitement anti-IVG. Alliance Vita est toujours active.
La Fondation Jérôme Lejeune porte le nom d’un médecin et chercheur qui joua un rôle important dans la découverte de la trisomie 21 et fut militant anti-avortement au sein de Laissez-les-vivre. La fondation est née en 1995, un an après la mort du professeur Lejeune.
L’association AGAPA (Association des groupes d’accompagnement post-avortement) a été créée en 1994 avec l’aide des Petites Sœurs des maternités catholiques. Elle dépend de la Pastorale de la Santé du diocèse de Paris. Tout comme Alliance Vita, derrière l’objectif annoncé ― aider les femmes à surmonter l’épreuve d’un avortement ― et l’affichage aux allures institutionnelles se dissimulent des positions anti-IVG et des méthodes à l’avenant.
L’AGAPA est toujours active et financée, selon son site internet, « par les dons de particuliers, par des partenaires institutionnels (CAF, Mairie du XVème, Assemblée Nationale) ou des fondations (Fondation PFG, Fondation Assise), et par des événements ponctuels (théâtre, concert, brocante, vente évènement…). »
Les nouvelles générations anti-IVG
L’EPV, association des Étudiants pro-vie, a été active quelques années à partir de 2009. Après cette période, on n'en trouve plus trace malgré les ambitions affichées au départ :
Notre mouvement s’inspire et travaille avec le modèle américain « Students for life » présent déjà dans plus de 476 facultés à travers les États- Unis et l’Europe (Espagne, Portugal, Italie, Royaume- Uni). Concrètement, les « Étudiants pro-vie » comptent mener toute une série d’actions par le biais de ses différentes antennes locales. Le but étant un rôle informatif, par exemple conseiller ou orienter une maman qui se pose la question de l’avortement. Nous travaillons également avec les autres associations comme « Choisir la vie », « Agapa » ou encore « Soignants porteurs d’espérance ».
On trouve à l’origine de la première marche unitaire anti-avortement du 23 janvier 2005 de nombreuses associations aux stratégies très diverses (Choisir la Vie, Laissez-les-vivre, Rivages, SOS-Tout-Petits, Renaissance catholique, La Trêve de Dieu, etc.) fédérées pour l’occasion et réunies au sein du collectif « 30 ans ça suffit/ En marche pour la vie » :
Le Collectif réunit des associations qui agissent chacune dans leur domaine et selon leur caractère propre pour la défense de l'enfant à naître, la protection maternelle et la promotion de la vie de sa conception à sa fin naturelle.
Cette première Marche pour la vie se tient à l'occasion du trentième anniversaire de la légalisation de l'avortement en France et rassemble quelques milliers de personnes.
À l'origine : Aux États-Unis, une March for life annuelle existe depuis 1973. En France, le 17 janvier 1988, plusieurs milliers de personnes avaient défilé à l'appel de l'AOCPA. Le 22 janvier 1995, 8 500 personnes selon la police, 30 000 selon les organisateurs, défilaient à l'appel de l'Union pour la vie, présidée par Christine Boutin, qui fédérait une vingtaine d'associations opposées à l'avortement. Par ailleurs, depuis 1991, Renaissance Catholique organise « une marche de prière pour la vie » au mois d’octobre, tradition qui s’est maintenue malgré l’investissement du groupe dans la Marche pour la vie. « Renaissance Catholique est un mouvement de laïcs engagés dans la vie de la Cité afin d’œuvrer au rétablissement du règne social du Christ. Depuis trente années, sous le patronage de Sainte Jeanne d’Arc, notre association s’est engagée dans une œuvre, exigeante, de réforme intellectuelle et morale. »
À l'automne 2008, « 30 ans ça suffit » devient « En marche pour la vie ». En 2012 il est composé des associations suivantes : ACPERVIE-SOS Maternité, AOCPA-Choisir la vie, Comité pour Sauver l'Enfant à Naître, Confédération des familles chrétiennes, Coordination pour la vie en Saône-et-Loire, Étudiants Pro-Vie (EPV), La trêve de Dieu, Laissez-les-vivre - SOS futures Mères, Promouvoir, Renaissance catholique, Rivage, Soignants Porteurs d'Espérance, SOS la vie, SOS Tout-Petits.
En 2022, la Marche pour la vie a réuni 4 500 à 20 000 personnes — selon que l’on se fie aux chiffres de la préfecture de police ou à ceux des organisateurs. La proposition de loi de la députée Albane Gaillot (ex-LREM) concernant l’allongement de la durée légale était dans la ligne de mire des participant·e·s.
Aliette Espieux, figure de la nouvelle génération, âgée de 22 ans, qui se présente comme féministe pro-vie, en est la porte-parole officielle depuis deux ans déjà. Cette jeune génération qui lutte également contre l’euthanasie n’hésite pas à se réapproprier les symboles des combats contre les violences d’État : le 12 juillet 2022, Espieux tweete « Hier soir, une vingtaine de membres de la Génération Pro Vie rendait hommage à Vincent Lambert ! Pour Vincent, ni oubli, ni pardon. #euthanasia » accompagné d’une photo où ces militant·e·s tiennent une banderole « Hommage à Vincent Lambert assassiné par l’État » avec un portrait particulièrement similaire à ceux utilisés par les familles de victimes. Notons que les racistes du collectif Némésis, qui se définissent comme des « féministes identitaires », ont également des positions anti-IVG.
Les Survivants est officiellement un groupe composé de « jeunes nés après 75 » qui militent contre l'avortement au nom du prétendu « syndrome du survivant » qui voudrait que chaque personne née en France après 75 soit un rescapé de l'avortement, un·e survivant·e. De leurs calculs qui voudraient qu’un enfant sur cinq est avorté, ils ont tiré un slogan : « 1 sur 5 » et un signe de main, à valeur de ralliement et de revendication. Le groupe a été fondé en 2016 par le militant pro-vie Émile Duport. L’organisation s'est surtout illustrée par des opérations de com, d’agit-prop soldées dans des bad buzz témoignant sans aucun doute possible de l’immaturité de ses membres, comme l’opération « Sauvez Pikachu ». Ses membres n’en usent pas moins d’une rhétorique extrêmement violente, visible non seulement dans leur communication virtuelle mais aussi dans des campagnes d’affichages très agressives menées à grands moyens. Notons que ces Survivants s'inspirent, pour leur nom, d'un autre groupe qui exista à la fin des années 90 et était une émanation de La Trêve de Dieu.
Même si le site des Survivants est toujours actif, le groupe semble, lui, ne plus l’être.
Les victoires électorales du Rassemblement National rapprochent des instances décisionnaires d’État des opposant·e·s au droit à l'IVG. En juin 2022, un article de Bastamag rappelait qu'un certain nombre d'élu·e·s du groupe RN s'étaient illustré·e·s par des déclarations amalgamant IVG et génocide : Caroline Parmentier, Hervé de Lépinau, Christophe Bentz... D'autres comme Laure Lavalette ou Marie-France Lorho peuvent être qualifiées de militantes puisque la première fait partie de Choisir la vie et que la seconde avait organisé à l'Assemblée nationale, en 2018, un colloque anti-IVG. Pour rappel, en 2012, en pleine campagne présidentielle, Marine Le Pen menaçait de dérembourser ce qu'elle nommait les "avortements de confort".
Le confusionnisme de la galaxie antivax a permis l'émergence de figures comme Fabrice Di Vizio, Alexandra Henrion-Caude ou Thierry Casasnovas, qui participent à des degrés divers à remettre en question le droit à l'IVG. L'extrême droite numérique (Le Salon beige, medias-presse.info, Pro Fide Catholica, Égalité & réconciliation, VA+, Papacito, Le Raptor, etc.) est investie à des degrés divers dans le même discours anti-IVG.
Les ressorts idéologiques
Nous le rappelions en introduction, la criminalisation de l’avortement en France est historiquement liée à la religion catholique. Elle le reste aujourd’hui encore. Si un événement comme La Marche pour la vie se prétend aujourd’hui aconfessionnelle, la mouvance dite pro-vie en France s'appuie indéniablement sur des groupes ou des arguments religieux antiféministes majoritairement issus des milieux catholiques traditionalistes, voire intégristes, promouvant une vision très restrictive et hétérosexiste de la famille, l'idée d'une sexualité destinée à la procréation, militant pour la reconnaissance de la personnalité juridique du fœtus .
Cette mouvance se retrouve dans de nombreux autres combats réactionnaires : l'opposition au Planning familial, au mariage pour tous, à la "Théorie du genre", opposition à l’euthanasie et au suicide assisté, à la PMA et à la GPA. Elle a d’ailleurs grandement bénéficié des mobilisations de la Manif Pour Tous et du renouvellement générationnel qu’elle a produit.
Par son insistance sur les droits des pères, notamment celui à s'opposer à l'interruption d'une grossesse, la mouvance intègre aussi parfaitement les préoccupations des mouvements masculinistes.
Les approches racistes, elles, se déploient à plusieurs niveaux. L'IVG est accusé d’être au service du " Grand remplacement" dans la mesure où il affaiblirait le taux de natalité des personnes blanches au profit des populations non blanches, dont le taux de natalité ne faiblirait pas. Dès les années 70, le Front National (FN) liait dans son argumentaire lutte contre l’immigration et opposition à l’avortement.
Le champ sémantique du génocide, également largement mobilisé pour dramatiser et manipuler les esprits, nourrit intrinsèquement le négationnisme, le révisionnisme, et donc l’antisémitisme dans la mesure où il produit des équivalences insupportables. Il permet aussi d'assimiler les partisans de l'IVG à des nazis.
Le bureau politique du Front national attire l’attention des Français, sensibles à juste titre à l’horreur des fours crématoires dans l’univers concentrationnaire, sur le fait que de tels fours sont installés dans les hôpitaux français et qu’y sont brûlés chaque jour les corps de centaines d’enfants arrachés vivants du sein de leur mère en vertu des lois Veil et Roudy. (Source : « Les fours crématoires fonctionnent en France, aujourd’hui ». Présent, 8 septembre 1988.)
Cette déclaration du bureau politique du FN faisait suite au jeu de mot de Jean-Marie Le Pen, « Durafour-Crématoire ». Mais ce registre n’est pas l’apanage du FN : de Xavier Dor aux Survivants, il est très généralisé. En juin 1991, lors d'un passage à Radom en Pologne, le pape Jean Paul II comparait dans un discours virulent l'avortement au génocide nazi. L'UNEC (Union des Nations de l'Europe Chrétienne), dont la branche anti-avortement SOS Mamans reste très active, est allée jusqu'à organiser des pèlerinages à Auschwitz contre l'avortement.
L'antisémitisme se manifeste par ailleurs au travers d'attaques racistes directes contre Simone Veil et sa mémoire, notamment en tant que juive survivante de la Shoah. Et le complotisme va même jusqu'à suggérer ou prétendre que l'avortement est un complot juif contre la race blanche.
En parallèle, la communication angélique et héroïsante des anti-IVG, au travers d’éléments de langages comme le « respect de la vie », « défense de la vie » est omniprésente. Elle était d'ailleurs dénoncée dès le Manifeste des 343 6 :
Aux fascistes de tout poil — qu’ils s’avouent comme tels et nous matraquent ou qu’ils s’appellent catholiques, intégristes, démographes, médecins, experts, juristes, “ hommes responsables ”, Debré, Peyret, Lejeune, Pompidou, Chauchard, le pape — nous disons que nous les avons démasqués.
Que nous les appelons les assassins du peuple. Que nous leur interdisons d’employer le terme “ respect de la vie ” qui est une obscénité dans leur bouche.
Le noyautage sémantique, par inversion du recours aux mots tels que "vie" ou "choix", reste une marque de fabrique globalisée. La communication niaise, les dehors angéliques, l'invocation de valeurs comme la bienveillance, etc., sont en total décalage avec les méthodes de terreur psychologique, de culpabilisation, de mépris des êtres vivants et de leur santé, qui sont au cœur de cet activisme. Comme dans le militantisme contre le mariage pour tous ou la PMA ainsi que la GPA, l'invocation de la prétendue "protection des enfants" — ici, ceux à naître — justifie toutes les outrances, toutes les violences à l'égard de personnes — vivantes celles-ci — se réclamant du droit de choisir. La primauté des discours et approches relevant d'un moralisme borné permet également de ne jamais aborder les questions socio-économiques liées à la maternité et la parentalité alors qu'on a affaire à des leaderships extrêmement bourgeois.
Le « courant pour l’écologie humaine » est un groupe porté notamment par Tugdual Derville, figure de la Manif pour tous et Alliance Vita. L'écologie n'est ici qu'un cheval de Troie pour vendre d'une autre manière une vision très étriquée de la famille, « écosystème naturel » ; le groupe revendique l'influence de l’encyclique Laudato' Si’ du Pape François dans laquelle le pape réaffirme l’opposition de l’église à l’avortement en invoquant la « défense de la nature », sur fond de prises de position écologistes.
Les positions anti-avortement sont aussi très répandues chez les complotistes. En plus de l’argumentation contre la dépopulation, la fin de la race blanche, le Grand remplacement, circulent des théories antivax prétendant par exemple que des cellules de fœtus avortés seraient utilisées à des fins d'exploitation pharmaceutique pour le développement des vaccins anti-coronavirus.
La Pologne, et désormais les États-Unis où un lobbying anti-IVG intense des milieux catholiques et évangéliques a abouti à des réformes politiques, sont regardés par cette mouvance avec énormément d’espoir : l’objectif c'est l’abolition du droit à l’avortement et la criminalisation du recours à l'IVG.
Sources et ressources :
La poursuite de la répression anti-avortement après Vichy
Les avortons de l’anti-avortement
IVG : décryptage des sites anti-avortement
Pour le FN, "Simone veille (toujours) sur la dénatalité" ?
«Révisionnisme» et négationnisme au sein de l’extrême droite française
"Journée pour la vie" : le colloque anti-IVG qui dérange l'Assemblée nationale
La lutte anti-IVG, obsession de la sphère complotiste française
- Pétition parue en 1975 appelant à la légalisation de l'avortement en France parue dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971 [↩]
- De manière générale, la clause de conscience pour les médecins, vis-à-vis de tout soin, est reconnue par le Code de la santé publique (Art. R4127-47). [↩]
- Loi du 31 décembre 1982 [↩]
- Loi du 27 janvier 1993 pénalisant l'entrave à l'interruption volontaire de grossesse [↩]
- Il existe d'autres sites du même acabit, portés par divers groupes : ivg.net, avortement.net, ecouteIVG.net... [↩]
- Lire le Manifeste des 343 ici [↩]