ENTRETIEN
Promouvoir les droits des personnes intersexes du Congo et sensibiliser : Ginette NTUMBI et le rôle de GIDE dans le changement sociétal
Ginette NTUMBI TUKELEBAWU, médecin et activiste intersexe vivant à Kinshasha est fondatrice du GIDE (Groupe Inter-Désirs) dont la mission est de sensibiliser, protéger et défendre les droits des personnes intersexuées.

Par Cases Rebelles
Juillet 2025
Cases Rebelles : Est-ce que tu veux bien te présenter ? Peux-tu nous raconter la parcours qui a mené à ton investissement dans l’activisme intersexe ?
Ginette NTUMBI TUKELEBAWU : Je suis médecin de formation et de profession en milieux défavorisés dont je suis issue ; aînée d’une fratrie de 3 enfants en vie ; la cinquantaine depuis ce mois de juin 2025 ; Ginette NTUMBI TUKELEBAWU comme l’on m’appelle, je suis une femme intersexuée, célibataire sans enfants, née et habitant en RDC.
Mon intersexuation m’a été révélée à mes 16 ans d’âge à l’école secondaire de suite d’un retard pubertaire selon mon entourage qui s’inquiétait de l’absence d’expression féminine (seins, menstrues,…) de mon corps, contrairement à d’autres filles de mon âge. Après une visite médicale sollicitée pour la cause ; j’ai été persuadée de prendre des œstrogènes de manière quotidienne pendant plus d’un an pour booster ma féminité sans succès. Depuis lors, j’ai vécu toute sorte de stigmatisation sociale par le fait de mon intersexuation où l’une d’elle m’allait être fatale : une agression physique que j’ai subie dans la rue à l’âge de 25 ans (2000) durant mes études universitaires. 13 ans après (2013) et au terme de mes études universitaires, je prenais connaissance via l’internet de qui j’étais et entrais en contact avec Sarita Guillot qui m’a obtenu 2 ans après (2015), ma première participation au forum intersexe mondial tenu à Douarnenez en France en juin 2015. Ce forum a été pour moi, une véritable école aux enjeux intersexes qui méritaient leur appropriation. En 2020, soit 5 ans après Douarnenez, j’ai sorti par césarienne réalisée dans une maternité de Kinshasa dans mon pays, un bébé intersexe. J’ai été confrontée pour la première fois dans le cadre de ma profession médicale à l'ampleur des problématiques intersexes (culturelles, sociales, juridique, éthiques et médicales) et j’avais assisté, impuissante, à l'infanticide désiré par les parents. Bouleversée par cet événement tragique, j’ai décidé d'agir et j’ai fondé GIDE (Groupe Inter-Désirs) avec pour mission de sensibiliser, protéger et défendre les droits des personnes intersexuées en RDC.
J’utilise le mot intersexe mais quels sont les termes employés au Congo ? Y a t’il un mot en lingala par exemple ? Et si c’est le cas peux tu préciser s’il s’agit d’une appellation positive, neutre ou négative ? Comment caractériserais-tu la perception des personnes intersexes dans la société congolaise, dans les familles, etc ainsi que la connaissance des réalités intersexes ?
En RDC en général (et à Kinshasa en particulier), les termes les plus courants utilisés pour désigner les personnes intersexuées rarement visibles du fait de la stigmatisation généralisée, sont « hermaphrodite » et « double sexe ou deux sexes ». En lingala : « Mwasi-mobali », des appellations à connotation très négatives où la personne concernée attire un peu d’empathie mais surtout une grande stigmatisation sociale (personne assimilée à un mauvais sort à ne pas fréquenter avec risque d’être assimilé soi-même).
Quelle est la situation d’un point de vue médical pour les personnes intersexes ? Quelles ont été les étapes principales dans l’évolution de cette situation ?
Et comment le système de santé fonctionne t’il ?
Pour les médecins Congolais, l’intersexuation est une malformation congénitale ou désordre de développement sexuel (DSD) qui mérite une réparation par une assignation chirurgicale précoce en genre le plus évident. De manière non organisée, des médecins opèrent systématiquement des cas d’intersexuation sur demande parentale puis plus rien après l’intervention chirurgicale sans se préoccuper de la suite et par manque de protocole thérapeutique approprié. Il y a des structures bien connues qui font ces interventions en tête de laquelle se trouve, l’hôpital pédiatrique de Kalembe lembe qui prend en charge dans le cadre des campagnes de chirurgie menées annuellement avec l’appui des Médecins Belges « sans Vacances » à l’endroit des populations vulnérables, des cas d’hypospadias (une des formes d’intersexuation la plus courante) et sans que les données de ces interventions ne soient disponibles et par refus de collaboration sur le sujet. Le système de santé ne s’est pas encore imprégné des réalités intersexes spécifiques, se contentant d’un espace réservé pour la Communauté LGBTI au sein d’un programme sanitaire multisectoriel de lutte contre le VIH pour se faire soigner des IST et infections à VIH en tant que « populations-clé ». Notons que le système de santé Congolais est organisé en un niveau central (le Ministère National de la Santé Publique, Hygiène et Prévoyance Sociale ainsi que son Secrétariat Général comme instance stratégique), intermédiaire (Divisions Provinciales de la santé comme instance d’appui technique) et périphérique (Zone de santé comme instance opérationnelle de dispensation des services de santé). Il est renforcé par une vingtaine des programmes spécialisés. De tout l’ensemble de ce système, nulle instance ne porte la question d’intersexuation qui pourrait trouver sa place dans un des Programmes spécialisés : le Programme National de la Santé de la Reproduction (PNSR) où des contacts sont avancés dans le cadre des activités de plaidoyer que mène GIDE avec les différentes couches de la population Congolaise et dans le cadre d’un projet de Monitoring des Accouchements et Naissances Inhabituelles « MANI » comme l’intersexuation et tout autre situation inhabituelle naturellement non prise en compte, que GIDE est en train d’initier.
Quel regard portes-tu sur la situation en France et le combat qui y est mené par les activistes contre les mutilations ?
Ailleurs comme le cas de la France, une longueur d’avance est évidente même s’il y a encore du chemin à faire dans la reconnaissance générale des personnes intersexuées dont le militantisme lucide et innovent, ne cesse de servir de référence pour nos premiers pas d’activistes intersexes. Je dois d’ailleurs la création de GIDE au militantisme d’activistes intersexes français de par ma participation au forum de Douarnenez et de l’excellente collaboration avec l’actuel Collectif d’Intersexes Activistes «CIA» et nous sommes fiers de porter localement le combat commun de lutte contre les interventions chirurgicales infantiles faites aux enfants intersexes.
Quelle est la situation d’un point de vue politique et institutionnel pour les personnes intersexes au Congo ? Y’a t-il de véritables interlocuteurs du côté des personnes qui ont du pouvoir politique et si oui qui sont-ils ?
En RDC, la question parlant des personnes intersexes est largement méconnue. GIDE est la première voix qui monte depuis la base et affutes ses armes pour une avancée de la connaissance des droits des personnes intersexuées en RDC. Après une première table ronde axée sur « une meilleure considération des personnes intersexuées » à laquelle ont pris part des cadres universitaires, des certains ministères gouvernementaux et de la Société civile sous l’égide de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), GIDE pense mener une campagne de sensibilisation médiatique pour atteindre une large population autour de l’intersexuation en RDC en vue d’attirer l’attention et faire bouger quelques lignes. Par ailleurs, la CNDH demeure à ce jour, le seul interlocutoire du pouvoir publique qui s’est approprié le combat de GIDE de la défense des droits et intégrité physique des personnes intersexuées en RDC.
Tu es activiste. Qui sont les autres personnes et/ou collectifs mobilisés au Congo pour les personnes intersexes ?
Parlant de GIDE comme l’unique voix en RDC en matière des droits humains intersexes dont j’assure la coordination, il y a également Didier NSEKA, Kévin MASENGO, Jonathan BUKASA et Thiphaine BISHIMA tous militants intersexes avec qui j’essaie de faire bouger les lignes aux côtés d’une douzaine des bénévoles qui sont nos Alliés non Intersexes. Cet activisme de GIDE s’articule autour de 4 axes :
- Communication pour le Changement de comportement sociétal auprès d’un large éventail communautaire vis-à-vis de l’intersexuation,
- Plaidoyer en vue d’une meilleure considération des personnes intersexuées dans la Société Congolaise,
- Recherche communautaire sur le parcours et la qualité de vie des personnes intersexuées,
- Accompagnement psychologique, social, médical et juridique des personnes intersexuées et leurs proches
La jonction avec le mouvement LGBTQIA+ se fait-elle facilement et dans la réciprocité ?
Dans le cadre du projet SHARE initié par une ONG Canadienne œuvrant en RDC : Cuso International ; GIDE collabore depuis 2024 avec des ONG locales dont certaines sont de la Communauté LGBTQ+ (Jeunialissime, Oasis RDC,…) où la jonction se fait avec bienveillance de manière réciproque et où GIDE affirme son expertise particulière sur les questions spécifiques touchant les personnes intersexuées et leurs proches.
Est-ce que vous avez accès à des fonds ? Si oui, de quels bailleurs de fonds ? Et de quelles manières cela affecte-t-il votre action ?
Depuis sa création voici bientôt 5 ans, GIDE bénéficie d’un appui financier international évolutif de la Fondation américaine Astraea (obtenu par l’intermédiaire de Loé Petit du CIA) et depuis 2 ans, de petits appuis financiers locaux ponctuels (Cuso international, Centre CPAS, Centre PRH Congo, MSI,…). Ces différents appuis (surtout celui d’Astraea resté stable) ont élargi les efforts de GIDE, et renforcé l’engagement et le soutien de la communauté atteinte par les actions de GIDE et permis l’identification de la première vague d’individus intersexués du pays.
Y’a t’il d’autres collectifs sur le continent avec qui tu entretiens des relations régulières ?
Sur le continent Africain, GIDE appartient depuis bientôt un an, au Mouvement Intersexe Africain (AIM) basé à Johannesburg en Afrique du Sud et participe depuis le début de l’année en cours (2025) aux réunions de consultation régionale africaine sous l’égide du projet WeBelongAfrica du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) autour des résolutions 55 et 552, respectivement des Nations Unies et de la Commission Africaine des Droits de l’homme et des peuples ; au sujet de la défense et protection des droits humains intersexes. Une autre petite dynamique en gestation est celle qui réunit virtuellement depuis le début de cette année 2025, quelques activistes africains de l’espace francophone pour une solidarité entre activistes francophones du continent.
Comment les différentes crises très graves qui ont touché et touchent le Congo affectent-elles le système de santé, la continuité des soins, les personnes intersexes, le militantisme intersexe ?
Par rapport au contexte de la RDC affectée depuis des décennies par des interminables conflits armés où la violence et le mépris sont des lots récurrents, l’instabilité et l’insécurité sont omniprésentes et n’épargnant personne ; le tissus social en général désarticulé et la pauvreté a atteint un seuil critique au sein de la population ; son système de santé, heureusement résilient par le fait des partenariats bilatéraux et multilatéraux (mis en mal dernièrement avec les récentes coupes budgétaires) tente de relever les défis d’assurer des soins de santé primaires et la continuité des soins dans la précarité et parfois sous les sifflements des balles ou d’autres risques liés aux bandes armées non contrôlées, fragilisant davantage tous les efforts en présence et augmentant le nombres des victimes des violences basées sur le genre. Une situation qui expose davantage les personnes intersexuées où certaines aperçues dans des groupes armés (via les réseaux sociaux) sont instrumentalisés de détenir des pouvoirs particuliers. Dans un tel contexte qui s’ajoute à l’homophobie généralisée et même institutionnalisée à l’endroit de la communauté LGBTQ+, l’activisme intersexe trop risqué, se fait prudemment et par ciblage même si des projections pour une sensibilisation à large échelle sont entrevues.
Quels sont, aujourd’hui, les objectifs principaux pour les personnes intersexes au Congo?
Le travail de GIDE de nos jours pour les personnes intersexuées du Congo, porte essentiellement sur :
- Une reconnaissance légale et sociale du statut des personnes intersexuées,
- La lutte contre les Barrières psychosociales qui masquent la visibilité des personnes intersexuées, souvent cachées, voire tuées,
- La lutte contre l’Intersexophobie médico-sociale,
- Le démarrage d’un centre multidisciplinaire offrant des soins holistiques aux personnes intersexes, visant à établir un environnement favorable et sans peur pour les personnes intersexes et leurs familles.
- L’accès au financement pour mener à bien son combat pour la justice humaine.