À propos de la mort de Claude Jean-Pierre : pour mémoire et afin que nul n’ignore

Publié en Catégorie: POLICES & PRISONS
PERSPECTIVES

À propos de la mort de CLAUDE JEAN-PIERRE : pour mémoire et afin que nul n'ignore

Nous publions ici avec son aimable autorisation, un texte de Thierry Césarus qui met en perspective la mort de Claude Jean-Pierre avec un siècle de violence coloniale et de déni de justice. La mort de Klodo, tout comme celle de Didier Assor s'inscrivent dans un continuum ; une histoire qu'il faut impérativement raconter, apprendre et transmettre. Une histoire que nous refusons d'oublier. Thierry Césarus est membre fondateur du KSG (Kolèktif pou Sové Gwadloup) et ancien 1er secrétaire général de l'organisation de jeunesse BIJENGWA (Bik a jennès Gwadloup). Le KSG fait partie du Kolèktif Gwadloup Kont Vyolans a Jandam qui exige justice et vérité pour Claude Jean-Pierre et Didier Assor.

Fresque murale en hommage aux victimes de mai 1967 (Philippe Laurent, Pointe-à-Pitre, 2007)

Par Thierry Césarus

Juillet 2021

La mort de Claude JEAN-PIERRE n’est pas un accident. Elle n’est pas non plus une bavure policière.

Elle vient simplement nous rappeler qu’en pays colonisé, le gendarme français est avant tout un délinquant en uniforme qui a comme commanditaire l’État français qui lui a délivré un permis : le permis permanent de tuer.

Twôp manman zanfan ka pléré ti moun a yo ki monté an filao davwa chimen a yo kwazé épi chimen a on jandam fwansé.

SONJE !!!

Il y a tous ces crimes d’État.

▸Février et mars 1910, c’est la grève dans le secteur sucrier, des ouvriers désarmés sont abattus comme des chiens par les gendarmes.

Le mardi 22 février devant l’usine Sainte-Marthe de SAINT-FRANCOIS : 3 morts et 6 blessés.

Le vendredi 18 mars devant la gendarmerie de CAPESTERRE : 1 mort et 6 blessés.

Vous avez dit Justice ?

▸Le mercredi 4 février 1925, c’est la grève à l’usine Duval- PETIT-CANAL, les gendarmes tirent : 7 blessés et 6 morts dont 2 femmes.

• Kalimabékas, Victor ILLAHIBAKAS
• Clémence ARSTAND
• Martyr, Pierre, Joseph CAZABON-COMMINGES
• Innocent MEGAL
• Charles ALEAUME
• Benoit, Norbert PASQUIN

Vous avez dit Justice ?

▸Le mercredi 25 février 1930, le secteur de la canne est en grève.
Les gendarmes déclenchent une fusillade au Lamentin : une femme, Estelle DRACON est assassinée.
Aux ABYMES, au Raizet, les gendarmes fusillent aussi des grévistes, deux guadeloupéens tombent :

• Augustin LAMALLE
• Fénélon GALERY

Vous avez dit Justice ?

▸Le 14 février 1952, le massacre de la Saint-Valentin en Guadeloupe.
Les gendarmes tirent sur les ouvriers de l’usine Gardel en grève et sur la population à l’entrée du boulevard Rougé : 14 blessés et 4 morts.

• Constance DULAC
• Capitolin JUSTINIEN
• Edouard DERNON
• François SERDOT

Le massacre du 14 février 1952, Guadeloupe (dessin © Xonanji/Cases Rebelles)
Le massacre du 14 février 1952. Le Moule, Guadeloupe (Dessin © Xonanji/Cases Rebelles, extrait de : 100 portraits contre l’État policier, 2017)

Vous avez dit Justice ?

▸26, 27 et 28 mai 1967, massacre d’État : au moins 87 morts et 200 arrestations.

Fresque murale en hommage aux victimes de mai 1967 (Philippe Laurent, Pointe-à-Pitre, 2007) (Photo : Thierry Cesarius)
Fresque murale à Pointe-à-Pitre en hommage aux victimes de mai 1967 (Photo : Thierry Cesarius)

Vous avez dit Justice ?

▸Le 14 février 1974, le massacre de la Saint-Valentin en Martinique.
Lors de la grande grève des ouvriers agricoles dans la banane, environ 200 gendarmes -appuyés par un hélicoptère- encerclent soigneusement les grévistes avant de tirer à balles réelles. Près d’une dizaine de blessés et 2 morts :

• Ilmany SERIER
• Georges MARIE-LOUISE, ouvrier maçon âgé de 19 ans, torturé et mutilé.

Ilmany Rénier et Georges Marie-Louise, Chalvet 1974, Martinique (dessin © Xonanji/Cases Rebelles)
Ilmany Rénier et Georges Marie-Louise, tués le 16 février 1974, à Basse-Pointe, Martinique (Dessin © Xonanji/Cases Rebelles, extrait de : 100 portraits contre l’État policier, 2017)

Vous avez dit Justice ?

Et l’empoisonnement de nos terres et de notre peuple par le chlordécone ! Ils appellent aujourd’hui à la prescription.

Vous avez dit Justice ?

Il y a tous ces crimes d’État, mais il y a aussi tous ces autres crimes dont certains sont passés inaperçus et que, parfois, nous oublions.
Mais un homme ne meurt jamais si son souvenir reste gravé dans la mémoire de son peuple. C’est pourquoi il est important, aujourd’hui de se souvenir.

▸ Le samedi 1er juillet 1978, un jeune de Trenelle en Martinique, Alain JOVIGNAC, jouait tranquillement au football avec ses camarades au pied du fort Desaix (c’est un lieu où les jeunes de Fort-de-France venaient régulièrement s’entrainer). Il avait 18 ans.
Un jeune militaire français, le caporal-chef Christian RICHEROL, âgé lui aussi de 18 ans, tire plusieurs coups de feu en direction des jeunes qui jouent au football. Alain tombe, fauché par une balle. Il décèdera avant son arrivée à l’hôpital. Sa compagne était enceinte de deux semaines. Sa fille Pegguy ne connaitra jamais son père.

Vous avez dit Justice ?

Gilles Prudent▸Le vendredi 17 juillet 1981, dans la section de Carrère, un jeune de PETIT-BOURG, Gilles PRUDENT est lâchement assassiné d’une balle de fusil par un français dénommé MOUGIN.
Gilles n’avait que 17 ans, il était membre de l’équipe de football des cadets de l’Arsenal. Kon Chawlo, sété grenn a lespwa planté an tè.
Son assassin, MOUGIN, ne sera jamais inquiété. Le procès qui aura lieu quelques années plus tard, en Guyane, prononcera un non-lieu.

Vous avez dit Justice ?

▸Le jeudi 27 octobre 1983, un jeune de Bouillante, Jocelyn ALPHONSE, qui effectuait son service militaire en Bretagne, était déchiqueté par l’explosion d’une bombe qu’un gradé lui avait ordonné de désamorcer, alors qu’il n’avait aucune connaissance sérieuse en la matière. Acte raciste de la part d’un gradé raciste qui choisit délibérément le seul nègre du régiment pour effectuer cette besogne.

Vous avez dit Justice ?

▸Le lundi 27 aout 1984, Marius Marc HORATIUS était retrouvé pendu dans une cellule du camp de la Jaille.
Insoumis pendant plusieurs années, il avait décidé de se rendre à la caserne pour « régulariser » sa situation. Il fut enfermé. Les autorités militaires prétendirent qu’il s’était suicidé. Sa mort a surpris son entourage qui affirmait qu’il était incapable d’un tel geste.

Vous avez dit Justice ?

▸Il y eut aussi le jeune GENE de Baillif qui aux dires des « chefs » militaires se serait lui aussi suicidé.

▸Il y eut ce jeune de Petit-Bourg qui périt noyé parce qu’un gradé français, qui le détestait, l’obligea à plonger la nuit dans le fleuve (en Guyane) afin de récupérer une arme qui était tombée à l’eau.

Vous avez dit Justice ?

▸Le lundi 21 janvier 1985, la population guadeloupéenne apprenait la mort en Guyane, du jeune Joseph VINGADASSAMY, qui effectuait son service militaire à Saint-Laurent du Maroni.
La presse officielle, au service de la hiérarchie militaire et du Pouvoir Colonial, affirmait qu’il s’agissait d’un malheureux accident : le coup serait parti, alors qu’un caporal français dénommé JARKI vérifiait si le fusil de chasse qu’il tenait en mains était chargé. Joseph avait rejoint le camp le 14 janvier 1985, et le 20 janvier il y laissait la vie. Très rapidement, il s’avéra que la version officielle était fausse. Joseph avait bel et bien été assassiné, victime d’une agression raciste.

Vous avez dit Justice ?

Charles-Henri Salin▸Le 18 novembre 1985, un jeune de BASSE-TERRE, Charles Henri SALIN, qui était alors lycéen, est froidement abattu de trois balles de pistolet mitrailleur par Michel MAAS, maréchal chef des logis de la gendarmerie.
Dans les semaines qui suivent, Michel MAAS retourne en France où il est décoré et promotionné en grandes pompes. En dépit des obstructions et des mensonges du procureur DUPUY, l’affaire, délocalisée sera jugée du 9 au 11 mai 1990 par la cour d’assises de Paris pour « coups, blessures, voies de fait ayant entrainé la mort sans intention de la donner ». Dans le journal Le Monde du 13 mai 1990, on pouvait lire : « Après la mort d’un jeune guadeloupéen, l’adjudant MAAS jugé coupable est acquitté ». (Il était maréchal chef des logis au moment des faits).

Vous avez dit Justice ?

▸Le dimanche 15 décembre 2017, un guadeloupéen de la section La Regrettée à Trois-Rivières, Didier ASSOR, âgé de 45 ans qui souffrait de troubles de la personnalité est abattu de 8 balles par l’un des gendarmes venu le chercher pour le conduire à l’hôpital.
La thèse officielle avancée par le procureur de la république de Basse-Terre, Samuel FINIELZ, fut la légitime défense. Ce n’est pas l’avis de la famille qui, plus de trois ans après les faits attend toujours que la lumière soit faite sur les circonstances exactes ayant entrainées la mort de Didier.

Vous avez dit Justice ?

Claude Jean-Pierre▸Le samedi 21 novembre 2020 à 14h, lors d’un banal contrôle routier au bourg de Deshaies, Claude JEAN-PIERRE, âgé de 67 ans est brutalisé par des gendarmes.
Ces derniers requièrent l’intervention des pompiers, puis du SMUR en prétextant que Claude JEAN-PIERRE a eu un malaise. Il sera conduit au CHU où les médecins vont constater des contusions, plusieurs hématomes au visage, les vertèbres C4 et C5 sont brisées. L’une d’entre elles compresse la moelle épinière.
Claude sera déclaré tétraplégique et devra être opéré.
Le 3 décembre 2020, Klodo ké monté an filao.
Le 18 janvier 2021, le procureur de la république Xavier SICOT justifie l’interpellation de Claude JEAN-PIERRE et apporte son soutien aux gendarmes. Les avocats de la famille sont pourtant catégoriques : l’interpellation a été filmée par les caméras de surveillance de la ville de Deshaies et les images montrent un homme coopérant qui est extrait violemment de son véhicule par les gendarmes.
A ce jour, le procureur de la république n’a pas saisi l’IGPN. Les gendarmes n’ont jamais été auditionnés.
Lorsqu’un contribuable est interpelé par les forces de l’ordre, comme cela a été le cas pour Claude, il est censé être sous la protection de ces dernières qui sont garantes de son intégrité tant physique que morale durant toute la durée de son interpellation.
Les autorités judiciaires auraient dû s’auto-saisir de cette affaire et faire diligence pour que la vérité éclate au grand jour et que justice soit faite1 .

Vous avez dit Justice ?

Quels sont les points communs entre tous ces évènements ?

1. Ce sont pour l’essentiel des crimes crapuleux à caractère raciste.
2. À aucun moment il n’est possible d’évoquer la légitime défense. Les seules armes de Charles-Henri étaient son sac d’étudiant et ses cahiers. La seule arme de Gilles était son ballon de football. D’autres réclamaient leurs droits, certains ne faisaient que passer.
3. Aucun des responsables n’a été puni à l’exception de Christian RICHEROL, l’assassin d’Alain JOVIGNAC, condamné à neuf ans de prison.
4. Chacun de ces crimes implique des représentants de la « loi » qui ont été protégés par la « justice » française.

Pour Gilles PRUDENT, le procureur de la république a menti.

Pour Charles-Henri SALIN, le procureur DUPUY a menti.

Pour Didier ASSOR, le procureur de la république de Basse-Terre, Samuel FINIELZ a menti.

Aujourd’hui, pour Claude JEAN-PIERRE, le procureur de la république Xavier SICOT ment.

EH OUI !!!

Le gendarme français en pays colonisé est bien un délinquant en uniforme à qui l’État français a délivré le permis permanent de tuer. Un délinquant qui bénéficie de la protection de l’appareil judiciaire français.

Le drapeau français est souillé du sang de nos sœurs et de nos frères partis trop tôt.

Ces gens-là ne sont pas nos amis. Les forces militaires françaises présentes en Guadeloupe ne sont pas là pour nous protéger. Ce ne sont pas des forces de l’ordre : ce sont les forces de l’ordre colonial. Elles sont les garantes d’un système qui ne peut se maintenir que grâce à leurs interventions.

Le drapeau français hissé partout en Guadeloupe est une insulte à notre conscience et à notre dignité.

UNE SEULE RÉPONSE
CONSCIENTISATION ET MOBILISATION POPULAIRE

VÉRITÉ É JISTIS POU DIDIER ASSOR

VÉRITÉ É JISTIS POU CLAUDE JEAN-PIERRE

Pour le KSG
Thierry CESARUS
Mars 2021

* * *

Quelques éléments nouveaux qui n’étaient connus du grand public au moment de la première publication de ce texte en mars 2021 ont été révélés lors de la conférence de presse du collectif des avocats de la famille de Claude JEAN-PIERRE le jeudi 24 juin à Deshaies. Ils précisent en substance que :

▸ Les deux gendarmes mis en cause ont été auditionnés dans le courant du mois de janvier 2021.
▸ Les avocats ont pu avoir accès à la retranscription des échanges téléphoniques entre le chef de patrouille impliqué et le SDIS2.

L’audition des gendarmes mis en lien avec la retranscription des échanges téléphoniques et les images vidéo laisse apparaitre des contradictions troublantes.

À aucun moment on ne peut parler de délit de fuite. Lorsque Claude JEAN-PIERRE est extrait de sa voiture avec violence, les gendarmes sont déjà en possession des clés du véhicule.

Le docteur FOUCANT qui a réalisé l’autopsie avait préconisé une expertise avec un collège d’experts. Celle-ci, à la demande du juge d’instruction a été confiée à un médecin généraliste. Les conclusions de ce médecin sont loin d’être impartiales. C’est une véritable supercherie. Les avocats ont donc demandé une contre-expertise qui a été ordonnée par le juge d’instruction le 14 juin 2021. Les résultats de cette contre-expertise qui sera réalisée par un collège d’experts (neurologue, médecin spécialisé en réanimation d’urgence, médecin spécialisé en imagerie médicale…) auprès de la Cour de cassation seront rendus vers la fin du mois de novembre 2021.

Les deux gendarmes mis en cause sont aujourd’hui placés sous le statut de témoins assistés. C’est un statut hybride entre la situation de personnes ayant simplement été témoins d’un évènement et la mise en examen.

La reconstitution des faits concernant la mort de Didier ASSOR a eu lieu le 09 juin 2021 à Trois-Rivières. Elle révèle, selon le bâtonnier Roland EZELIN, des discordances exceptionnelles entre les témoignages des deux gendarmes mis en cause.

LE COMBAT CONTINUE
VÉRITÉ ET JUSTICE POUR DIDIER ASSOR
VÉRITÉ ET JUSTICE POUR CLAUDE JEAN-PIERRE

Juillet 2021

  1. voir mise à jour à la fin du texte []
  2. service départemental d'incendie et de secours []