SÉRIE
DES FORCES RÉACTIONNAIRES n°4 : Spécial Mé 67
Dans la série Des forces réactionnaires on se propose de vous parler de groupes, d'événements, de mouvances, d'idéologies réactionnaires en France ou liés à la France, en partageant également des ressources accessibles.

Par Cases Rebelles
Mai 2022
On poursuit notre série en revenant exceptionnellement cette semaine sur le massacre de Mé 67. On commémorait ce 26 et 27 mai qui vit en Guadeloupe l’État colonial français tirer sur une foule rassemblée place de la Victoire à Pointe-à-Pitre et mener pendant deux jours une répression sanglante, suite à une grève d’ouvriers du bâtiment. On vous raconte brièvement le contexte historique et les événements (plus détaillés dans un autre article sur notre site : « Mé 67 dans nos coeurs et nos écrits ») et on attire votre attention sur quelques figures emblématiques de la violence coloniale du mois de mars et de mai 67 : Pierre Bolotte, Jacques Foccart, Vladimir Srnsky et Jean Canalès.
L’année 1967 en Guadeloupe avant sans doute commencé en mars dans l’éclat de révolte qui avait déferlé sous le ciel de Basse-Terre. Le dogue d’un négrophobe lâché sur un des nôtres. D’un côté, l’Europe arrogante, bourgeoise et commerçante, en la personne de Srnsky, propriétaire d’un magasin Sans Pareil et ami de Jacques Foccart. De l’autre Balzinc, cordonnier âgé handi noir, et pauvre. Mais ni là ni avant, ni aujourd’hui ni demain, il est dit que notre peuple subira toujours. La foule apprend l’attaque ; on appelle la police. La police ne fait rien. La police ne fit rien. À part aider Srnsky à fuir. Alors, pendant trois jours la colère tonne de soif de justice. Et le peuple se masse devant le magasin. Dans un même mouvement le préfet Bolotte feint de soutenir la foule et envoie la foudre : renforts, arrestations massives, tabassages, interdiction d’attroupement et de réunion, fermeture des débits de boissons, ville quadrillée. Sans surprise, une vingtaine de guadeloupéens seront lourdement condamnés à la fin de l’année 67 alors que Srnsky, lui, a opportunément disparu et ne sera jamais jugé.
Le 23 mars, à Pointe-à-Pitre, la dynamite explosait une partie de la façade d’un magasin Sans Pareil appartenant au frère de Srnsky.
Depuis mars, l’administration coloniale est sur les dents. Décidée aussi. Décidée à faire payer l’affront de la révolte. La France craint aussi clairement le nationalisme guadeloupéen qui, stimulé par l’exemple algérien, se développe considérablement depuis une décennie avec notamment la fondation du Front antillo-guyanais pour l’autodétermination (FAGA), à l’initiative d’Albert Béville, Édouard Glissant, Cosnay Marie-Joseph et Marcel Manville — Front très vite dissous par de Gaulle et contraint à l’activité clandestine. En 1962 se produit le mystérieux crash du Boeing, qui, ça tombe bien pour le pouvoir colonial, coûte la vie à de nombreux militants : Béville, Tropos, le guyanais Catayé et bien d’autres.
Le GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe), né en France en 1963, s’implante en Guadeloupe dès 1964 pour propager ses idées indépendantistes et ses actions.
En 1967, il est le groupe dont le pouvoir colonial a le plus peur, surestimant d’ailleurs largement ses capacités organisationnelles et insurrectionnelles de l’époque.
D’un point de vue du contexte politique, il ne faut pas négliger non plus l’importance du Parti communiste guadeloupéen (PCG), bourgeois dans ses orientations, très opposé aux positions nationalistes et qui n’hésites pas à s’acharner sur ses dissidents. C’est un communiste, Henri Bangou, qui est à l’époque maire de Pointe-à-Pitre : le pouvoir sait donc qu’il peut compter sur le PCG comme allié passif. Ça se vérifiera dans les prises de position délirantes d’après les massacres, qui parlent notamment de complot visant à éliminer le PCG ourdi par des impérialistes présents dans les milieux gauchistes. En gros, le PCG accusera le GONG et la Vérité (groupe dissident d’anciens membres du PCG) d’être manipulés par la CIA. Le PCG ira même, après ce véritable massacre colonial, jusqu’à réprouver les violences racistes de certain·e·s révolté·e·s qui s’en seraient pris·es à des touristes ou passants innocent·e·s. Mais venons-en aux évènements.
Le mercredi 24 mai 1967 la grève des ouvriers des bâtiments débute en arrêts limités, et elle est suivie à 100 %. Ils réclament une hausse des salaires de 2 %.
Le jeudi 25 mai, la grève s’étend et les travailleurs décident d’arrêter complètement le travail.
Dans la matinée du 26, de nombreux ouvriers s’attroupent autour de la Chambre de commerce où ont lieu les négociations. A 12h45, les négociations sont ajournées. Les grévistes demeurent. Vers 14h30, la police se retire et ce sont les CRS qui arrivent pour aider les patrons à s’éclipser. Les oups et les gaz lacrymogènes commencent à pleuvoir. Les manifestants demeurent une fois les employeurs évacués. Vers 15h, Bolotte ordonne de tirer sur la foule :
Les documents prouvent que de mars (émeutes de Basse-Terre) à mai (tueries de Pointe-à-Pitre) le préfet Bolotte, qui avait été un ancien secrétaire général à la préfecture d’Alger durant « la bataille d’Alger », s’était préparé à exercer une répression judiciaire et militaire « sans faiblesse » préventive contre le GONG, considéré comme l’organisation responsable de la montée de revendications contre l’État. C’est pourquoi, dès les premières échauffourées de l’après-midi le préfet ordonne de tirer et rappelle l’escadron des forces spéciales de la gendarmerie mobile, en attente depuis le 22 mars et en cours d’embarquement à l’aéroport du Raizet. La même logique de la culture de répression coloniale fortifiée en Algérie, lui fera obtenir sans discussion la permission de Jacques Foccart, secrétaire de l’Elysée et de Pierre Messmer, Ministres des armées, pour l’engagement de l’armée. (Jean-Pierre SAINTON, « Mé 67 en Guadeloupe : une répression de plus ? »)
Jacques Nestor, membre du GONG, est le premier à tomber, le 26 mai, explicitement désigné comme cible par le commissaire Canalès. Deux autres guadeloupéens tomberont encore. Ensuite, la colère populaire explose, dérisoire, face à la détermination meurtrière du pouvoir colonial qui envoie gendarmes mobiles et CRS. Toute la nuit, ça tire à vue un peu partout en ville, notamment à la mitrailleuse.
Le samedi 27, des jeunes, lycéen·ne·s et étudiant·e·s partent en manifestation contre le pouvoir assassin à la sous-préfecture. Képis rouges et CRS attaquent de nouveau et la ville prend feu.
Le 28 mai, le calme est revenu. En préfecture, le patronat va signer une « surprenante » augmentation de 25 % pour les ouvriers du bâtiment, beaucoup plus importante que celle refusée aux ouvriers quelques jours avant ! Tout cela avant que ne soit lancée une répression visant à faire porter au peuple guadeloupéen la responsabilité du massacre orchestré par les forces colonialistes.
La répression
Suite aux évènements, environ 70 guadeloupéen·ne·s seront arrêtés : certains sous des inculpations de droit commun (violences, attroupement, destruction, etc.), d’autres pour séparatisme. Quinze guadeloupéens prétendument arrêtés en flagrant délit sont au tribunal dès le 31 mai. Le 7 juin, des condamnations à leur encontre sont prononcées, allant de 6 mois avec sursis à 30 mois ferme.
Le pouvoir colonial va utiliser les massacres pour lancer une chasse dirigée contre le GONG, mais visant également La Vérité, Le Progrès social et le CPNJG (Comité populaire et national de la jeunesse guadeloupéenne). Les détenus, considérés comme politiques, sont envoyés en France à la prison de la Santé. Ils voient leur procès débuter le lundi 19 février 1968. Dix-huit hommes comparaîtront devant la Cour de sûreté de l’État pour « atteinte à l’intégrité de la sûreté nationale ». Treize seront acquittés. Les autres seront condamnés à des peines de sursis allant de 3 à 4 ans.
En avril 1968 débutent les procès de 25 guadeloupéens défendus par un collectif impressionnant d’avocats dont Darsières, Gratiant et Félix Rodes lui-même, tout juste sorti des geôles françaises. La mobilisation locale est énorme, notamment par le biais du COGASOP (comité guadeloupéen d’aide et de solidarité populaire), né un mois après les évènements grâce à la sagacité d’Alain Aboso. Le 17 avril, le tribunal prononçait des acquittements et peine de sursis.
Pendant ce procès, Canalès, chef de la police pendant les massacres et chef d’orchestre de la répression qui suivit, tenta à plusieurs reprises d’échapper à la barre. Mais il faut finalement contraint de venir y témoigner.
Neuf mineurs furent plus tard libérés, après être passés devant le tribunal de Basse-Terre.
Toutes les peines furent amnistiées par la loi du 30 juin 1969.
Quelques figures de la violence coloniale de mars et mai 67
Pierre BOLOTTE
Bolotte est nommé préfet de Guadeloupe en 1965, après un parcours qui l’aura vu occuper notamment en Indochine et en Algérie, pendant la guerre (sous-préfet à Miliana, directeur de cabinet du préfet d’Alger) et dans des colonies départementalisées. Il s’agit en fait d’un retour puisqu’il avait été au secrétariat général du département de la Guadeloupe de 1951 à 1952. La carrière de ce haut fonctionnaire débute sous le régime de Vichy en 1944 en tant que chef adjoint du cabinet du préfet de Morbihan, Roger Constant. Mais son ascension dans l’administration française ne sera en rien entravée après la Libération. Bolotte a une trajectoire paradigmatique ; il fait ses armes dans des territoires colonisés, se forge un savoir dans la lutte anticoloniale et la conte-insurrection.
Jacques FOCCART
Dans notre série Des Forces réactionnaires, nous reviendrons souvent sur cet individu, bourgeois, fils d’un planteur guadeloupéen, béké créole, bras droit du général de Gaulle, dirigeant et architecte des réseaux françafricains, tant il a de sang sur les mains.
Quelques ressources
Pour des sources sur les évènements de Mé 67, vous pouvez lire :
- le classique Mé 67, de Raymond GAMA (bientôt en podcast dans Cases Rebelles) et Jean-Pierre SAINTON
- Le procès des Guadeloupéens – 18 patriotes devant la cour de sureté de l’État français
- Liberté pour la Guadeloupe – 169 jours de prison, de Félix RODES
- Vie et survie d’un fils de la Guadeloupe, de Pierre SAINTON
- Luttes syndicales et politiques en Guadeloupe, de Paul TOMICHE
Sur le site de la Médiathèque Caraïbes (LAMECA), vous pouvez retrouver une série de témoignages à écouter : « Recueil des mémoires de 1967 ».
Sur Pierre BOLOTTE :
- À lire sur BastaMag : « Des massacres oubliés de mai 1967 en Guadeloupe aux prémices de l’ordre sécuritaire moderne dans les quartiers », de Mathieu Rigouste
Sur Jacques Foccart :
- Beaucoup de choses sont à lire sur survie.org, et il y a également une émission Rendez-vous avec X en 2 parties à écouter et télécharger ici.
Et sur Pierre Canalès :
- il y a cet intéressant article du Monde sur son refus de comparaître à la Cour d'appel de Basse-Terre en Avril 1968, suite au massacre : « Le commissaire central disparaît et les policiers se mettent en grève Le tribunal décide la mise en liberté des Guadeloupéens inculpés ».