Mort d’Alassane Sangare en détention : « Le ciel nous tombait sur la tête. »

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INTERVIEW

MORT D'ALASSANE SANGARE EN DÉTENTION : « LE CIEL NOUS TOMBAIT SUR LA TÊTE »

L'histoire d'Alassane Sangare illustre de manière tragique la rapidité avec laquelle on peut perdre la vie dans les prisons françaises. Placé sous mandat de dépôt à Fleury-Mérogis suite à un conflit de voisinage, cet homme de 36 ans y est décédé 5 jours plus tard. Depuis, sa famille se bat pour obtenir la vérité sur une mort suspecte que les autorités présentent comme un suicide.

La linea (Photo : Toàn)

Par Cases Rebelles

Mars 2023

La famille d'Alassane est allée de choc en choc : la stupeur face à un emprisonnement des plus inattendus le 19 novembre 2022, la mort incompréhensible 5 jours plus tard, l'absence d'explications, la thèse du suicide avancée par l'administration pénitentiaire... Alors qu'ils s'apprêtent à rejoindre ce samedi 18 mars 2023 la marche organisée à Paris dans le cadre de la Journée internationale de mobilisation contre les violences policières et le racisme systémique, nous avons interviewé Djeneba, sa grande sœur. Elle nous fait le récit effarant de la manière dont on leur a appris la mort de son frère, ainsi que le traitement désastreux que la famille subit de la part des institutions.
CASES REBELLES : Dans quelles circonstances Alassane est-il mort en prison ?

DJENEBA SANGARE : Alassane Sangare, mon frère, est décédé le 24 novembre à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Alassane avait 36 ans, était marié et père de 3 enfants : Tidiane 8 ans, Halima 4 ans et Amy 3 ans. Il était responsable de réseau à Bouygues Service énergie. Alassane a été incarcéré à Fleury-Mérogis le 18 novembre pour un conflit de voisinage. Il était harcelé par une voisine depuis plus d’un an, qui bénéficiait d’un contact au commissariat de Montgeron pour porter plainte pour diverses raisons, tapage diurne, etc. Et il était souvent convoqué dans ce commissariat malheureusement pour répondre de ces plaintes et mains courantes. Alassane répondait à chaque fois de façon très honnête. Sauf que nous ne savions pas que ça alourdissait son dossier. Le dernier fait en date c’est une altercation qui a eu lieu entre ma belle-sœur et une voisine du même palier. Alassane n’y avait pas participé : après son décès on a retrouvé une vidéo, où il filmait justement pour témoigner de ce qui se passait. Il allait utiliser cette vidéo justement pour prouver son innocence. Mais il n’a pas eu le temps puisqu'il est décédé 5 jours après le début de sa détention provisoire pour un jugement qui devait avoir lieu le 9 janvier 2023. Nous avons été alerté⋅es de son décès le 25 novembre à 15 heures, soit un jour et demi après son décès. C’est sa femme qui a été alertée par le commissariat de proximité, sans aucune autre information. Ensuite on nous a demandé d’attendre tout le week-end pour appeler un numéro qu’on nous a donné. Là, on s’est dit que c’est le ciel qui nous tombait sur la tête, parce qu’apprendre son décès 5 jours après sa détention provisoire, déjà on n’a pas compris et en plus on nous laisse sans réponse...

Je suis la voisine d’Assa Traoré, donc après avoir appris cette nouvelle bouleversante, le soir-même je l’appelle et je lui raconte. Tout de suite elle nous dit : « Mobilisez vous, allez devant la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour demander des comptes. » C’est ce qu’on a fait pour avoir des réponses et pouvoir identifier formellement son corps, parce que là sincèrement on n’y croyait pas. Être incarcéré déjà pour un conflit de voisinage ça nous semblait surprenant, mais décéder 5 jours après, c’était complètement incroyable.

Que s'est-il passé ensuite et quand avez-vous obtenu des informations ?

Le 25 novembre au soir on part donc devant Fleury-Mérogis, mais là il n’y avait pas de cadres, il était déjà tard. Nous sommes revenu⋅es le lendemain pour tenter d’avoir des explications. Deux gardiens, sur le pas de la porte, nous annoncent qu’apparemment il se serait suicidé, et là c’est le ciel qui nous tombe sur la tête : « Mais quoi ?! De quoi vous parlez?! Alassane ne se serait jamais suicidé. Et puis on n’annonce pas ce genre de nouvelles comme ça, sur le pas de la porte ; c’est incroyable ce mépris que vous avez pour les familles ! » On décide donc de faire le pied de grue et de ne pas partir tant que nous n’aurons pas d’informations. Là on a des gradés, des cadres comme il les appellent, qui viennent à notre rencontre. C’est toujours le même discours : « Une enquête est en cours nous n’avons pas d’informations ». Il n'y a donc eu aucune réponse à nos questions jusqu’à ce que la gendarmerie vienne également et nous dise qu’il se serait suicidé. Mais quand on posait des questions, leurs réponses étaient très évasives : « Vous savez il y a plein de moyens de suicide ». Nous on se dit mais c’est n’importe quoi ce que vous faites.

En parallèle on mène notre propre enquête, puisque c’était un jour de parloir, un samedi, et on demande aux familles présentes de demander à leurs proches qui sont à l’intérieur de leur donner quelques informations peut-être sur ce qui se serait passé ce jour-là. On attend et là il n'y a pas forcément de retours concrets. Les gens n’ont soit rien entendu, soit ne savent pas ; sauf un témoignage assez concret où une personne nous dit qu’apparemment il y aurait eu une altercation et que la personne se serait fait tabassée à mort. Là on repart. On ouvre une page Instagram Pour Alassane Sangare où on a fait — mais aussi via d’autres soutiens bien sûr — un appel à témoins.

Quand avez-vous pu voir Alassane ?

On recueille des informations et six jours après on nous contacte en nous disant que l’autopsie a eu lieu et que nous pouvons voir le corps, ce que nous nous sommes empressé⋅es de faire. L’une des premières choses qu’on a faites c’était surtout regarder son cou, pour voir s’il y avait des traces de pendaison, et nous n’avons rien constaté. On avait déjà beaucoup de doutes quant à ce qui s’était réellement passé, mais là nos doutes se sont complètement confirmés.

Que se passe t'il au niveau procédure ?

Aujourd’hui on a recueilli pas mal d’éléments qui sont entre les mains de notre avocat et de la justice, et nous attendons la désignation d’un juge d’instruction et l’ouverture d’une enquête pour pouvoir avancer. Il faut savoir que le parquet, depuis l’annonce du décès d’Alassane, ne souhaite communiquer aucune information à notre avocat ni le rapport d’autopsie qui est disponible depuis début janvier. Le parquet alimente donc nos soupçons puisqu’il ne communique pas, et à chaque fois nous avons du nous mobiliser pour tenter d’avoir des informations supplémentaires. Aujourd’hui donc on se mobilise pour tenter d’obtenir la vérité sur ce qui se serait réellement passé et on interpelle des élu⋅es, l’opinion publique parce que ce qui lui est arrivé est effroyable, ce qui nous arrive nous en tant que famille c’est inimaginable, parce qu’en face on n’a droit qu’au mépris des institutions. Nous avons décidé de nous battre pour obtenir la vérité pour Alassane. C’était un père de famille aimant, aimé, de 36 ans, un frère, un fils, un collègue, un ami.

Interview réalisée le 15 mars 2023 par Cases Rebelles.

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Pour soutenir le combat pour la vérité et la justice pour Alassane Sangare signez et faîtes signer la pétition lancée par sa famille . Et suivez la page instagram Pour Alassane Sangare. Force et amour pour la famille Sangare. Justice pour toutes les victimes !