Gérard Edmond Lauriette nait en 1922, il grandit à Schœlcher, section de Trois-Rivières. Il fait une excellente scolarité : certificat d’études à 12 ans, brevet élémentaire à 15, entrée à l’École Normale, sorti majeur de sa promotion à 19 ans. À l’École Normale, il aura connu une expulsion de 6 mois – la première d’une longue série de rejet par le système.
En 1941, il commence le métier d’instituteur. Lauriette a très tôt une pensée et une pratique critique de l’enseignement, de son contenu et ses méthodes. Il s’attaque notamment aux programmes scolaires élaborés par les instances colonisatrices françaises et à l’usage du seul français pour l’enseignement en Guadeloupe. En 1949, il est expulsé de l’enseignement pour « aliénation mentale ». Il est réintégré en 1951 par décision du Comité médical supérieur de France.
Ses positions sur l’enseignement en créole dérangent fortement et il est suspendu par l’Académie en 1957 pour les avoir exprimées dans deux articles. Puis il est finalement renvoyé définitivement.
Il fonde l’AGEP (Association Guadeloupéenne de l’Éducation Populaire) en 1958 et ouvre sa propre école, l’Institution Lauriette, à Capesterre-Belle-Eau en 1959. La même année il fonde aussi son parti politique : le Parti Mystico-Rationaliste.
J’ai gardé de très bons souvenirs, chez Lauriette. Je me suis retrouvée, c’est-à-dire que j’ai pu m’exprimer carrément en créole comme je le faisais chez moi. Chez Lauriette, c’était son support pédagogique. Il utilisait le créole pour nous permettre de mieux nous exprimer en français, c’était très bien. J’arrivais effectivement à réfléchir en créole, transposer tout cela en français, c’était très bien, je trouvais cela extraordinaire et je continue à jouer ce jeu jusqu’à ce jour… il nous disait qu’un homme ça devait rester chez lui pour faire avancer son pays, sa culture, rester sur place, on appartient à une communauté, on essaie de faire avancer sa communauté…
Il était adepte de ce qu’il appelait la pédagogie des bras ballants :
Il répétait qu’il fallait enseigner sans livre, que le cahier de l’élève devait être le fruit de ses découvertes personnelles et son seul livre d’école, qu’un élève qui avait réussi à comprendre en classe ce qu’avait expliqué le maître n’avait plus à apprendre de leçon à la maison.
Lauriette a été le premier, et de sa génération le seul, enseignant à proposer une méthode d’enseignement qui partirait du savoir de l’élève.1
Tout au long de sa vie il écrit et publie ses critiques, ses préconisations et rédige des manuels adaptés aux réalités culturelles des enfants de la Guadeloupe. On peut citer :
- « Pour apprendre à lire rapidement aux analphabètes guadeloupéens » (1957)
- « L’enseignement raisonné du calcul écrit aux débutants et dégoutés » (1965)
- « Enseignement plurivalent aux guadeloupéens de 11-12 ans : à partir de textes composés par des adolescents guadeloupéens du 1er degré et rectifiés par l’enseignant Gérard Lauriette » (1971).
En tout une trentaine de publications.
Laurette a aussi fait partie des 18 guadeloupéens arrêtés suite aux événements de Mai 1967, inculpés et jugés en 1968 pour avoir appartenu ou apporté de l’aide au GONG. Le Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe était accusé d’avoir porté atteinte à la sécurité de l’État français : suite à une mobilisation des ouvriers du bâtiment à Pointe-à-Pitre le pouvoir colonial avait fait au moins une centaine de morts et il entendait profiter de la révolte générée pour décapiter le nationalisme guadeloupéen à travers le GONG. Lauriette était accusé d’avoir prêté une machine à ronéotyper à l’organisation, d’avoir tenu des propos indépendantistes et d’avoir incité à la révolte, à la violence, dans des tracts ou des articles du journal de Félix Rodes Le Progrès social.
À partir des années 80, Gérard Lauriette publie aussi des textes sur ses expériences proprement politiques. De 1983 à 1989 il est Maire de Capesterre-Belle-Eau.
Gérard Lauriette dit Papa Yaya meurt en 2006.
À ce que l’on peut en juger, Gérard Lauriette était une personnalité assez déroutante, un esprit pointu et rebelle, quelqu’un qui ne disait pas ce qu’on attendait de lui. C’est effectivement ce qui ressort du parcours de Papa Yaya : la lutte contre un système dans lequel il s’était pourtant taillé un avenir « prometteur ».
On m’a renvoyé de l’école officielle pour « aliénation mentale ». Alors j’ai dû créer une école nouvelle avec des concepts nouveaux. Et surtout reprendre non seulement la pédagogie, c’est-à-dire l’art d’enseigner, mais le contenu même des enseignements. J’ai donc refait tous les livres d’enseignement pour les enfants depuis 6 ans jusqu’à 15 ans. Et, cela a continué ainsi. J’ai dirigé cette école. J’ai eu beaucoup d’élèves. Et actuellement beaucoup d’individus s’intéressent aux résultats de ce que j’ai écrit […]. Actuellement on cherche surtout une philosophie de l’enseignement ou encore de la vie. Il faut que celui qui enseigne croit en quelque chose, ait une foi, et essaie de transmette cette foi à celui à qui il enseigne.
Aujourd’hui, c’est surtout ses travaux pédagogiques qui sont mis à l’honneur, notamment par l’Assocation LAIGLE2 qu’il avait créé en 1976. En avril 2012 LAIGLE a réédité la biographie de Lauriette « Une enfance guadeloupéenne dans les années 1930 » publiée en 1967, et l’a distribuée aux écoles primaires de Capesterre-Belle-Eau. Papa Yaya est reconnu comme un précurseur du combat pour l’apprentissage du créole à l’école, le créateur de pédagogies inspirées par le vécu et la culture des élèves de Guadeloupe.
Le créole est entré à l’école dans les années 703 : en 1976 la sociologue Dany Bébel-Gisler ouvre une école uniquement créolophone au Lamentin. En 1977 au Collège Saint Ruf de Capesterre-Belle-Eau, les enseignants Sylviane Telchid, Hector Poullet et Danièle Montbrand mettent en place un programme d’enseignement du créole dans des d’ateliers, dans le cadre d’activités périscolaires. Puis en 1983 le créole entre officiellement au collège de Capesterre sur la base du volontariat. C’est vraiment dans les années 2000 que son enseignement a commencé dans les écoles élémentaires et secondaires. En 2001 le CAPES Créole est créé, grâce au GEREC ; un CAPES en créole guadeloupéen, martiniquais, guyanais et réunionnais. Le GEREC-F (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone et Francophone4 ) a été fondé en 1975. En plus de ses activités de recherche le GEREC est à l’origine des enseignements en université (Licence et master créole), et crée des outils pédagogiques. Mais depuis 2001, 52 postes ont été ouverts en Guadeloupe par exemple pour 79 établissements publics secondaires, et seulement 5 de ces postes sont à plein temps.5 Pour les écoles élémentaires ça reste difficile aussi, compte tenu du peu de moyens financiers que l’Académie dédie à cet enseignement, et aux horaires dissuasifs de certains cours par exemple.
« Le créole de la Guadeloupe. Nègres marrons »
En Octobre 75, suite à une condamnation avec sursis en passe d’être exécutoire, Lauriette part en marronnage dans les hauteurs de Vieux-Habitants. Il raconte ici cette expérience et ses échanges avec Henri Lépante, un paysan du Morne Aulard dans les hauteurs de Grande-Rivière. En même temps que leurs dialogues nous expliquent les habitudes et les cultures sur les mornes (artisanat, habitat, travaux des champs), Lauriette reconstitue petit à petit l’histoire de nègres-marrons ayant vécu là autrefois. Son récit-leçon est noué à l’apprentissage du créole. Derrière le marronnage, au sens d’émancipation, il y a l’appropriation d’une terre et la vie en prise directe avec elle.
« Le Créole de la Guadeloupe. Nègres marrons. » (1981) de Gérard Lauriette dit Papa Yaya : à télécharger ici.
Cases Rebelles
Publié en Mai 2013 – Mis à jour le 13/02/2014
(À écouter dans l’émission n°28).
- « Hommage à Gérard Lauriette : « Sur les épaules de Papa Yaya » », Bondamanjak, 26/12/2012. [↩]
- L’Amicale de l’Institution Gérard Lauriette Edmond. [↩]
- Marie-Héléna Laumuno, Gwoka et politique en Guadeloupe : 1960-2003, 40 ans de construction du « pays », 2011. [↩]
- GEREC-F : Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone et Francophone. [↩]
- sources : Collectif de Vigilance pour la création de postes de créole en Guadeloupe ; Question au Sénat du sénateur Jacques Guillot (Guadeloupe). [↩]
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