Rencontre avec le poète Andy Davigny Péruzet

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Andy Davigny PéruzetNatif des Abymes en Guadeloupe, le poète Andy Davigny Péruzet  prête à ses poèmes des images belles et saisissantes qui témoignent d’une grande sensibilité. « Physiques », son premier recueil, nous livre des textes contemporains au vocabulaire aussi riche que travaillé, rythmés par des ondes harmonieuses qui sillonnent l’espace et le temps.

Cases Rebelles : Comment aurais-tu envie de te présenter ?

ANDY DAVIGNY PÉRUZET : Andy Davigny Péruzet c’est le nom que j’ai choisi. Je m’appelle Andy Davigny mais j’avais envie d’un nom d’auteur. Au début, je voulais prendre celui de ma femme, mais il était un peu long et cette idée ne lui plaisait pas donc j’ai opté pour celui de ma mère. Et je fais de la poésie, enfin j’essaie, je suis apprenti poète.

Comment en es-tu venu à l’écriture ?

Ça s’est fait en deux temps. Dans un premier temps c’était par des musiques populaires c’est-à-dire pop, électro, ce qu’on qualifie aussi de « world music ». Il y avait des forums au début des années 2000 et à force de parler, il y a eu des affinités qui se sont créées par rapport aux musiques populaires. Quand quelques-uns qui étaient un peu plus geeks que les autres ont voulu fonder un site, ils m’ont recruté pour être chroniqueur. Il s’agissait  de musiques populaires et comme je n’ai fait ni conservatoire, ni solfège ni quoi que ce soit, j’étais désarmé par rapport à la technicité de la chose, mais il me restait la capacité d’évocation donc écrire et parler. Et quand il s’agit de parler de musique sans avoir la technique, il reste les images. J’ai découvert le monde de la poésie contemporaine à Châtelet ! (rires) Et j’ai acheté quelques recueils tellement ça m’a plu, tellement je trouvais ça beau. Et dans un deuxième temps, après la fin de cette aventure de chroniqueur, j’étais allé pour la deuxième fois de ma vie à Fort-de-France où il y avait la plage de la Française. J’ai trouvé cette vue magnifique de la plage, qui ne correspondait pas à ce que je connaissais de Pointe-à-Pitre. Ça faisait presque Promenade des Anglais ; en même temps il y a eu un flash lumineux qui était des poissons volants et là j’ai essayé de prendre des photos vite fait pour les envoyer à ma femme. Les photos étaient nulles ! Elles étaient incapables de rendre compte de quoi que ce soit. Résultat, à force de ramer pour prendre une photo, je me suis dit : « Écoute ça ne marche pas. Ce n’est pas le bon support pour véhiculer ce qui relève d’une émotion esthétique, » et donc j’ai écrit des lignes et c’est comme ça que j’ai écrit mon premier poème, « Tropique des dimanches », qui fait partie du recueil d’ailleurs. J’ai continué jusqu’à avoir un recueil. Et là je travaille sur un autre poème avec d’autres techniques mais c’est devenu une habitude dont je ne saurai me passer.

Réfractrion lagunaires, de Andy Davigny

Qui sont les poète.sses qui t’ont marqué ?

Il y a deux personnes vraiment qui ont compté. Il y a Aimé Césaire. J’avais lu quelques textes où je ne comprenais que dalle ; il y avait un vocabulaire très dense, très riche mais il y avait de la beauté qui émanait du texte. Et puis il y en a un autre qui m’a plu, qui continue à me plaire et me plaît davantage, j’ai l’impression d’être un traître à la patrie en disant ça : c’est Saint-John Perse. Lire Saint-John Perse avec ses histoires de palmes… c’est la première fois que j’ai compris qu’un texte avait vocation à faire autre chose que de la communication. Ce n’était plus du langage pour communiquer, c’était le langage comme au-delà, par delà la communication et c’est éblouissant. Après j’ai lu beaucoup d’auteur.es haïtien.nes comme Makenzy Orcel, Stéphane Martelly, etc. J’ai été beaucoup frappé par le talent des haïtien.nes. Et sinon parmi mes influences, il y avait d’autres personnes plus avant-gardistes comme Yoko Ono ou E.E. Cummings. Après il y a eu Maïakovski, Edouard Glissant.
En poésie on peut tout faire, il y a cette liberté et c’est ça qui m’a donné envie de m’y mettre. Il suffit d’avoir une existence pour avoir une sensibilité poétique. Après il y aurait le talent qui fait qu’on écrit ou pas, ou bien l’inconscience…

Tu es poète mais tu es aussi scientifique et c’est très présent dans le recueil…

J’ai une formation purement scientifique, mais il y a une école de poètes scientifiques. Jacques Roubaud, des gens comme ça. Ils ont écrit des poèmes virtuoses parce que très techniques. Dans Physiques j’ai joué sur le niveau de langue. Je ne sais pas exactement où je voulais en venir avec ce titre. Je me suis dit : « tu fais de la poésie, tu as besoin de la matière. La matière c’est les mots. Tu vas commencer à partir des mots et quel est le mot qui t’a le plus accompagné dans ta vie, c’est « physique ». Parce que c’est ton métier mais aussi parce que ça renvoie à d’autres choses. » C’est un mot tellement mystérieux et c’est un mot qui m’a tellement défini en surface que je l’ai gardé, et du coup j’ai embrassé la physique, ma discipline, pour faire un découpage en chapitres qui sont des clins d’œil puisque je fais la même chose en classe. Et ça fait sens ; du moins j’espère.

Il y a un sentiment assez fort de nostalgie et de perte qui émane de ta poésie. Ça vient du fait d’avoir quitté la Guadeloupe adolescent pour la Baie de Somme?

Le déplacement n’a pas été quelque chose de traumatisant même si sur le papier ça aurait pu. Mais la Baie de Somme est complètement absente de mon écriture. Je ne vois pas un seul moment où elle apparait dans le texte. Mon expérience culturelle forte c’est la Guadeloupe et elle revient assez souvent.

Contre toute attente, Davy Davigny

Tu es très autocritique dans le poème contre toute attente…

J’avais le sentiment d’appartenir à une génération molle et amorphe politiquement et j’avais une obsession par rapport à la lecture du monde que j’ai pu acquérir dans mon parcours scolaire : l’obsession des injustices et du progressisme. Surtout quand j’entends ou lis un discours éditorialiste qui est de plus en plus conservateur. On a presque honte d’évoquer le progrès ! J’ai peur de faire partie de ces gens qui, un siècle après, seraient condamnables de n’avoir même pas trouvé ça anormal. On n’est pas toujours en capacité d’agir, d’œuvrer politiquement, mais quand même on a le droit et le devoir de considérer comme révoltantes des choses qui sont considérées comme révoltantes unanimement après et normales unanimement avant. Et à un moment, il y a cette phrase avec cette histoire de « contingences du grand ouest ». L’idée de la phrase est de dire que la seule qualité qu’on requiert d’un individu politique, c’est d’être capable de voir les injustices, de les dénoncer et éventuellement de les condamner mais sincèrement.

Dans tes poèmes il y a des mots très courants issus de notre modernité mais aussi des mots très rares, peu connus…

Il y a un emploi de mots que j’ai empruntés de mes lectures. Mais j’avais une obsession, c’est que ça vienne à point nommé. Si c’est artificiel, c’est ridicule. Et ça faisait écho à la notion dont je te parlais, « physiques ». Quand je parlais de surface, d’esthétique, les mots étaient ma matière. C’est ma conception esthétique de ce recueil particulier qui est de mettre en avant certains mots. Il ne faut pas non plus en avoir plus, les mots ont un sens ; ça ne fait pas tout qu’ils soient rares, beaux ou stylés, qu’ils soient marqués litt. dans le TLF1 , il faut aussi que ces mots servent, accompagnent ou nourrissent un texte. Il faut apporter de la littérature au texte. Je suis incapable d’écrire un roman, je ne sais pas faire ça, mais la poésie que j’ai envie d’écrire a une certaine ambition littéraire. Ça c’est peut-être le complexe ou l’éclairage de ces prédécesseurs comme Saint-John Perse et Aimé Césaire.

Il y a pas mal de références musicales dans ton texte. Tu écris dans le silence ou en musique ?

Jamais en musique, toujours le silence. Dans mon texte introductif « Avec deux y », je disais « pour tendre l’oreille aux oiseaux fous de nuit quand le long vibrato s’affaisse ». J’ai l’impression d’essayer de faire un travail de traduction d’une espèce de musique et quand je l’écris, j’essaye de traduire, retranscrire quelque chose et pour l’entendre il me faut du silence.

Communion, de Samuel Gelas (2018)
« Communion », de Samuel Gelas (2018)
Peux-tu  nous parler de ton projet en cours ?

Cette fois, l’écriture est complètement ouverte. Instagram est mon atelier. Même quand ils ne sont pas finis, je les lance, je dis voilà il faut que je travaille ceci ; je partage mes pensées sur ce qui ne va pas, etc. J’ai pour idée d’être plus ouvert dans le processus d’écriture. Il y a déjà des textes publiés dans des revues. L’intention est d’être plus libéré et plus profond. D’ailleurs le titre est un néologisme et là le ton est donné puisqu’il ne s’agit pas d’être en représentation et de montrer l’aspect esthétique des choses, mais d’aller à l’intérieur même. Intravagances parce que j’aimais bien le mot « extravagances » et je trouvais « intravagances » encore plus beau. Et là ce que j’essaie de faire, c’est de prendre appui sur des supports, ce sont des tableaux. J’ai collaboré avec Samuel Gelas qui est un artiste peintre, Mac Bright un photographe que j’ai rencontré sur Insta, j’ai aussi rencontré et apprécié Cedrick-Isham photographe guadeloupéen… J’essaie de construire des poèmes, des textes à partir de ces supports là ou à partir de thématiques lancées par des revues. L’intention est différente. Le support préexiste et le texte vient rentrer dans le fond de ma propre pensée. Je ne me cache plus, je fais de la poésie de l’intérieur.

"Ode à la nuit", de Andy Davigny
« Ode à la nuit » (extrait du futur recueil Intravagances, de Andy Davigny Péruzet)

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Interview réalisée le 21 février.
On remercie chaleureusement Andy Davigny Péruzet.

  1. Trésor de la Langue Française []